Vertiges

Texte et mise en scène de Nasser Djemaï, collaboration artistique Clémence Azincourt – au Théâtre des Quartiers d’Ivry / CDN du Val-de-Marne – Manufacture des Œillets.

@ Christophe Raynaud De Lage

Le violoncelle ouvre le bal, côté cour (Chiara Galliano). Ambiance famille, généreuse, avec bataille de polochon sur une scénographie judicieuse (Alice Duchange). Nadir, le fils aîné, peu présent depuis pas mal d’années, annonce son passage, à la surprise générale. Son père, mal en point, semble en sursis, vient-il le voir ? Même la mère s’étonne.

Ce que ne dit pas Nadir, c’est qu’il va rester un certain temps, car il y a de l’eau dans le gaz dans son foyer, on le comprend par les coups de fil qu’il donne et qu’il reçoit, de manière dérobée, avant qu’il n’informe ses parents de son divorce. C’est donc d’un retour dans la famille dont il s’agit et de l’ébranlement de tout l’édifice familial, dans cette situation. Nadir s’était inventé une vie autre, sans doute meilleure pensait-il, ce retour le met en danger, ainsi que la famille, qui essaie de le décrypter. Ses habitudes, ses mœurs, ses vues sur la vie ont changé. Il déconcerte ses parents, son frère et sa sœur, par ses exigences, et doit revoir sa copie et ses petits arrangements avec lui-même.

@ Christophe Raynaud De Lage

Son père est en plein désarroi face à la maladie, il dit ne plus pouvoir même prier et s’accroche à l’idée de repartir au pays pour un temps, comme chaque année. Tous essaient de l’aider entre les visites médicales et les traitements à suivre et Nadir, en plein chaos, apporte ses bonnes intentions et son autorité d’aîné, qui déstabilisent tout le monde. Une voisine passe, va et vient dans la maison, évanescente, guidée par une petite lumière rouge, oiseau de mauvais augure ou mauvais œil, elle fait partie de la famille. C’est l’espace fantasmatique et déréalisé de la pièce, contrepoint qu’aime à faire apparaître Nasser Djemaï dans ses pièces, comme opposition au réalisme de la situation familiale. Cette part du fantastique se trouvait déjà dans Héritiers en 2019, Les Gardiennes en 2022 et Kolizion en 2024, il continue à creuser son sillon. 

Nadir est donc un transfuge de classe, déserteur ou insoumis. La famille s’interroge sur ce frère et ce fils devenu quelque peu étranger dans ses réactions et positions envahissantes et décomplexées, et qui retrouve une famille différente et une ville changée – des images montrent le quartier (création vidéo Claire Roygnan et Nadir Bouassria). Dans sa quête de l’altérité, Nasser Djemaï reconnaît une proximité d’inspiration avec Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde, Peter Handke dans Par-delà les nuages ou encore Didier Eribon dans Retour à Reims.

@ Christophe Raynaud De Lage

À certains moments chacun joue à être quelqu’un d’autre, tiraillé entre des identités incertaines, deux pays, plusieurs familles, quelques projets. Nasser Djemaï s’inspire de sa biographie et recrée le spectacle qui avait vu le jour en 2020. Il a retravaillé le texte et renouvelé sa distribution. Tous habitent avec élégance et profondeur leurs personnages (Lounès Tazaïrt le père, Farida Ouchani la mère, Yassim Aït Abdelmalek le frère, Zaïna Yalioua la sœur, Martine Harmel la voisine). Nasser Djemaï est ce fils aîné, un retour pour lui sur le plateau, en relais avec Anthony Audoux.

La montée de la tension dramatique mène la famille vers le départ du père, valise à la main où se superposent l’idée du départ au pays et l’idée de la mort. Espace mental, divagation, illusion, extravagance, hantise ou obsession, le père se dit prêt. Le spectacle se termine sur un rituel de mort où la voisine présente/absente tient lieu de grande prêtresse et sur l’image de la valise pleine du quotidien, montant dans les cintres, ou dans les cieux, ou dans les abysses.

Nasser Djemaï poursuit ses investigations sur le multiculturel, la famille, la différence et l’altérité. Il a fait du Théâtre des Quartiers d’Ivry qu’il dirige depuis cinq ans, une maison des auteurs, attentifs aux artistes émergents. Il poursuit sa quête identitaire, individuelle et collective, à travers textes et rencontres et dans une qualité artistique toujours renouvelée.

Brigitte Rémer, le 3 décembre 2025

@ Christophe Raynaud De Lage

Avec : Yassim Aït Abdelmalek, Nasser Djemaï en alternance avec Anthony Audoux, Chiara Galliano (violoncelle), Martine Harmel, Farida Ouchani, Lounès Tazaïrt, Zaïna Yalioua – assistants mise en scène, Célia Bolzoni et Rachid Zanouda – scénographie Alice Duchange – casting, Nathalie Cheron (ARDA) – création lumière Renaud Lagier et Vyara Stefanova – création musicale Frédéric Minière et Chiara Galliano – création costume Benjamin Moreau – création vidéo Claire Roygnan et Nadir Bouassria – régie générale et régie plateau, Lellia Chimento – construction Ateliers décors MC2 Maison de la Culture de Grenoble. Le texte est publié aux éditions Actes Sud (2017).

Du 20 au 30 novembre 2025, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne Manufacture des Œillets, 1 Place Pierre Gosnat. – 94200. Ivry-sur-Seine – métro : Mairie d’Ivry – site : www.theatre-quartiers-ivry.com – tél. : 01 43 90 11 11.

@ Christophe Raynaud De Lage

En tournée :  11 et 12 décembre 2025, Comédie de Colmar/ CDN Grand-Est-Alsace – 9 et 10 janvier 2026, CDN de Normandie-Rouen –  4 au 6 février 2026, Théâtre de l’Union/CDN du Limousin (Limoges) – 12 au 13 février 2026, Le Préau/CDN de Normandie (Vire) – 20 et 21 mars 2026 Maison des Arts de Créteil – 24 mars 2026, Théâtre de Nîmes/ Scène conventionnée – 27 mars 2026, Théâtre Molière/Scène nationale archipel de Thau (Sète) – 8 et 9 avril 2026, Théâtre de Lorient/ CDN de Bretagne.