Trissotin ou Les Femmes Savantes

© Loll Willems

Texte Molière – mise en scène, décor et costumes Macha Makeïeff, à La Scala/Paris.

C’est une comédie dite de caractère, écrite en vers et créée en 1672, un an avant la mort de Molière qui tenait le rôle du bon bourgeois Chrysale. Cinq actes où les hommes n’ont pas le même point de vue que les femmes et où la famille se déchire en deux clans sur un mode assez proche des Précieuses Ridicules, comédie en un acte que Molière avait publiée douze ans avant et qui eut un important retentissement.

Trois femmes de la maison Chrysale militent avec tambours et trompettes contre le mariage et s’amourachent de poésie, de science et de philosophie : l’épouse du maître de maison, Philaminte, maîtresse femme et grande snob extravagante (Marie-Armelle Deguy), sa belle-sœur, Bélise, un tantinet érotomane (Jeanne-Marie Levy ou Anna Steiger), sa fille Armande qui choisit la philosophie plutôt que Clitandre, un temps amoureux d’elle (Caroline Espargilière). « Elles croient s’instruire… » dit Chrysale, le maître de maison (Vincent Winterhalter) débordé par les événements. Dans l’autre clan et autour de Chrysale, son frère, Ariste (Arthur Igual ou Philippe Fenwick), sa seconde fille Henriette, amoureuse de Clitandre et réciproquement, et qui lui est promise (Vanessa Fonte), Martine la servante, la tête froide et beaucoup de bon sens (Karyll Elgrichi ou Louise Rebillaud) assistée du laquais L’Épine (Valentin Johner).

Le nœud de l’intrigue se passe autour du mariage d’Henriette arrangé par sa mère avec l’ectoplasme arriviste, faux scientifique et parfait séducteur, Trissotin, aux longs cheveux et profil de Tartuffe (Geoffroy Rondeau). Il les berce toutes les trois de ses poèmes obligés, de son esbroufe et de sa roublardise, plus motivé par l’argent de la famille que par l’érudition des trois femmes. Clitandre (Ivan Ludlow) à l’acte IV aura l’occasion de provoquer l’intrigant, non pas en duel mais en mots : « J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance Qui faisait les grands sots, et non pas la science. Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant, Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant. » Autre savant, autre pédant, Vadius, camarade et rival de Trissotin (Pascal Ternisien) qui tente aussi de briller au sommet.

Directrice de La Criée, Théâtre National de Marseille, Macha Makeïeff situe la pièce dans les années 70 – costumes, architecture et mobilier – et cela fonctionne (une scénographie bien pensée, qu’elle signe, avec une maison à étage côté cour, une circulation entre portes et couloirs, côté jardin). Elle force le trait sur la toute-puissance de Philaminte qui, avec ses consoeurs, réalise des expériences scientifiques à la Flaubert, mettant en péril la maison. « Car enfin je me sens un étrange dépit Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit, Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes De cette indigne classe où nous rangent les hommes ; De borner nos talents à des futilités, Et nous fermer la porte aux sublimes clartés. » Face à elle, Chrysale son époux ne s’oppose pas et lui abandonne les rênes, avant de réaffirmer sa volonté de rester maître chez lui. Elles sont féroces ils sont idiots, ils manigancent elles intriguent. La caricature va bon train. Provocation, ambition, complot, humeur et humour sont les mots clés de ce Trissotin ou Les Femmes Savantes monté par Macha Makeïeff en 2015 pour les Nuits de Fourvière, à Lyon, et qui sillonne le monde depuis, avec succès.

La belle Henriette échappe à Trissotin qui tentera pourtant un assaut décisif, alors que le notaire est là pour lier leurs destins (Bertrand Poncet). Le stratagème d’une lettre inventée et portée par Ariste met fin à cette mascarade et permet à Henriette de rejoindre Clitandre son amoureux, à Martine d’être réhabilitée, à Trissotin d’être démasqué dans son hypocrisie, aux reines mères de revoir à la baisse leurs ambitions métaphysiques.

Si Molière critique la Cour et dénonce le mépris social, Macha Makeïeff cultive le comique de situation et des personnages, joue la carte du pathétique autour de la place des femmes et ne rachète ni les hommes ni les femmes. Dans le jusqu’au boutisme des personnages, les acteurs se glissent avec talent, plein de creux et de scintillement qui dans la bêtise, qui dans la roublardise, qui dans l’ambition, qui dans la truculence. Le spectacle mené tambour battant met fin aux illusions, renforce le suspense et déploie le burlesque, sans gommer la férocité du texte.

Brigitte Rémer, le 19 avril 2019

Avec : Chrysale, bon bourgeois, Vincent Winterhalter – Philaminte, femme de Chrysale, Marie-Armelle Deguy – Ariste, frère de Chrysale, Arthur Igual, Philippe Fenwick, en alternance -Armande, fille de Chrysale, Caroline Espargilière – Henriette, fille de Chrysale, Vanessa Fonte – Trissotin, bel esprit, Geoffroy Rondeau – Bélise, soeur de Chrysale, Jeanne-Marie Levy, Anna Steiger, en alternance – Clitandre, amant d’Henriette Ivan Ludlow – Vadius, savant, Pascal Ternisien – Martine, servante de cuisine, Karyll Elgrichi, Louise Rebillaud, en alternance – L’Épine, laquais,  Valentin Johner – Le Notaire, Bertrand Poncet.

Lumières Jean Bellorini assisté d’Olivier Tisseyre – son Xavier Jacquot – coiffures et maquillage Cécile Kretschmar assistée de Judith Scotto – arrangements musicaux Macha Makeïeff, Jean Bellorini – assistants à la mise en scène Gaëlle Hermant, Camille de la Guillonnière – assistante à la scénographie et accessoires Margot Clavières – construction d’accessoires Patrice Ynesta – assistante aux costumes Claudine Crauland – régisseur général André Neri – iconographe Guillaume Cassar – diction Valérie Bezançon – fabrication du décor Atelier Mekane, Stagiaires (Pavillon Bosio), Amandine Maillot, Sinem Bostanci.

Du 10 avril au 10 mai 2019, à 21 heures, dimanches, à 15 heures – La Scala, 13, boulevard de Strasbourg 75010 Paris – Métro : Strasbourg Saint-Denis – Téléphone : 01 40 03 44 30 – Site : www.lascala-paris.com