Texte et mise en scène Tatiana Spivakova – avec des extraits de textes de Mahmoud Darwich – au TPM, Théâtre Public de Montreuil.
Quand je n’existais pas… murmure un homme à notre oreille, avant que n’en surgisse un autre de la salle, prenant place dans un avion, à côté d’une jeune femme plongée dans un livre de poèmes. La conversation s’engage autour de Mahmoud Darwich, grand poète palestinien, à propos de La Terre nous est étroite qu’elle lit, soulignée par le oud du musicien Yacir Rami situé côté jardin. « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions des femmes sur les hommes… » Derrière lui, un vaste espace fermé d’un rideau de plastique transparent qui permettra des jeux de lumières et des effets miroir (scénographie Salma Bordes).
La pièce est rythmée par les bilans de santé du compagnon de cette jeune femme, un Palestinien dont le pronostic vital est engagé et qui se trouve sous coma artificiel. Une plateforme/praticable central, sera entre autres l’espace de l’hôpital où régulièrement l’infirmière viendra donner des nouvelles sur un ton de sergente-chef, où une amie des plus maladroites fera de bruyantes apparitions. L’absent est au coeur du sujet, sa compagne se débat dans le système hospitalier pour le garder en vie, avec une puissante force de persuasion. Elle (Hayet Darwich) bataille contre les rêves enfuis. « Je suis si loin et en même temps si près de moi. » Réflexes, stimulation, tout semble tenté pour le malade, elle, passe de l’espoir à l’euphorie, de l’abattement à l’écroulement. La stridence de son cri, comme une scie musicale, nous atteint. Comment croire encore ? « On s’inquiète pour vous !» Pourtant, La vie doit continuer…
Flash-back. Même inhospitalité à l’aéroport (derrière le rideau transparent), où la fouille au corps pour certains est de mise, où « celui qui vit dans un pays qui n’existe pas, n’existe pas. » Flash-back sur leur période amoureuse avec légèreté et petits bonheurs. « Mon corps est bien vivant dit-elle ». Retour sur le passé, Haïfa, Gaza… Souvenirs d’enfance… Lui s’incarne pour le spectateur, apparaît, et se place derrière elle. Comme un crucifié, il commente les rythmes du cerveau « chef d’orchestre de la mémoire, des pensées. » Tous deux prononcent un texte, ensemble, dans un même souffle.
Retour dans l’avion où chaque passager doit remplir un questionnaire, parfois sans trop le comprendre. Une réflexion sur la langue s’engage. Sans comprendre vraiment, que se passe-t-il dans la tête et comment se croisent impressions et pensées ? « Pourvu que tu n’aies pas froid… J’arrive, seras-tu à l’arrivée ? » On entre en nostalgie s’il s’agit de la patrie, des rêves, de sa voix. « Je suis de là-bas… » Et la poésie de Mahmoud Darwich revient : « Je ne rêve pas que je rêve. Tout est réel. Je sais que je m’oublie… Et que je m’envole. Je serai ce que je deviendrai… J’ai été et Je n’ai pas été. »
Entre temps de nombreuses séquences se sont enchaînées, pas toujours indispensables, car certaines se répètent, le rythme de l’ensemble s’essouffle et la durée s’étire. D’une scène à l’autre, l’idée de morcellement s’impose et renvoie la photo d’une femme défaite face au drame de sa vie, son amour, si singulier, si autre, qui s’envole avec l’absence, et traite aussi en sous-teinte, du déracinement. Il y a de la poésie dans le spectacle, sous-tendu par des lumières qui traduisent avec talent les différentes atmosphères (Cristobal Castillo), par la création sonore de Malo Thouément et par la musique, un peu trop discrète, de Yacir Rami.
Artiste en résidence au Théâtre Public de Montreuil, Tatiana Spivakova signe le texte et la mise en scène du spectacle. Ton corps – Ma terre, nous emmène dans un autre espace-temps – que les scènes les plus réalistes viennent parfois perturber, décalant le geste poétique et la lisibilité de l’ensemble, qui hésite parfois sur la trajectoire à prendre.
Brigitte Rémer, le 26 janvier 2023
Avec Hayet Darwich, Maly Diallo, Luana Duchemin, Alexandre Ruby, Raymond Hosny, Yacir Rami – collaboration artistique Tamara Al Saadi – création lumière Cristobal Castillo – création sonore Malo Thouément – création musicale Yacir Rami – scénographie Salma Bordes – costumes Laurane Le Goff – assistanat à la mise en scène Shadya Karbal – régie générale et plateau Marion Koechlin – visuel Ilona Kardanova – Le texte est lauréat de l’aide à la création de textes dramatiques 2021Artcena – En tournée : Juillet 2023, Nouveau Gare au Théâtre, Vitry-sur-Seine – 2023/24, Théâtre du Beauvaisis – Scène nationale.
Du 10 au 28 janvier 2023, du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h, relâche les dimanches et lundi 16 janvier – Théâtre Public de Montreuil, salle Maria Casarès, 63 rue Victor-Hugo, Montreuil – s tél. : 01 48 70 48 90 – site : theatrepublicmontreuil.com