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Yoann Bourgeois et Patrick Watson

© David Gallard

Conception Yoann Bourgeois, mise en scène Yoann Bourgeois en complicité avec Patrick Watson et les interprètes – composition musicale et interprétation Patrick Watson – à la Philharmonie de Paris.

Le spectacle est né de la rencontre entre deux artistes de haute tension, Yoann Bourgeois, l’envolé, danseur aérien, chorégraphe et performeur, directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble, et l’auteur-compositeur-interprète canadien Patrick Watson, maître du rock indépendant et de la pop, posé avec piano, instruments et pupitres sur une plateforme surplombant l’ensemble du dispositif. Belle et inventive la scénographie construit des espaces extravagants et poétiques dont s’emparent les quatre interprètes danseuses-danseur et acrobates qui entourent Yoann Bourgeois. Ensemble ils pénètrent avec intensité dans l’univers musical de Patrick Watson qu’ils interprètent en apesanteur à travers plusieurs scénarios.

Le premier, sur une grande plateforme de bois de forme carrée qui tourne sur elle-même, la danseuse acrobate recherche son aplomb, marche, court, avant-arrière, et accompagne la mobilité du support. Sur ce même carré de bois qui tourne de plus belle, elle dialogue, au cours d’une autre séquence, avec une danseuse qui l’a rejointe. Ensemble, elles recherchent la gravitation et leur équilibre. Second scénario, à partir de mobilier truqué – chaises et tables qui les catapultent – les performeurs se jettent et plongent d’une paroi toboggan aussi à pic que l’aiguille des Drus et sont rattrapés sur un tapis roulant. Là ils exécutent de savantes figures, remontent et retombent en une course folle et des mouvements récurrents. Autre séquence, subaquatique, une femme en robe blanche, une mariée peut-être, dansant comme une sirène dans le cylindre-aquarium situé au centre du dispositif qui, dans ce monde inversé, fait penser à Chagall et à ses personnages s’envolant au-dessus de la ville. Enfin l’éblouissante partition sur trampoline où les acrobates agissent avec un naturel désarmant, regardant le monde de travers.

Yoann Bourgeois et Patrick Watson proposent un spectacle plein de poésie, entre action et méditation. Bien connu des scènes françaises, le premier provoque toujours, par sa virtuosité, la même admiration, on le connaît avec de nombreux spectacles présentés depuis une vingtaine d’années dont Celui qui tombe, Opening, Minuit, ou encore Fugue Trampoline sur la musique de Philip Glass. Récemment c’est avec la pianiste Célimène Daudet qu’il a présenté à la Philharmonie LHomme est un point perdu entre deux infinis. Dans le dialogue qu’il construit ici avec Patrick Watson – piano presque classique en introduction, éblouissante partition vocale, instruments inventifs dont le musicien joue au cours du spectacle pour soutenir l’action, épisodes folk et pop – tout nous réjouit dans leur échange et l’entremêlement de leurs univers.

© David Gallard

Cette rencontre artistique entre les deux hommes s’est construite dans le cadre d’une nouvelle collaboration entre le Lieu unique à Nantes et le webzine musical La Blogothèque, qui ont donné carte blanche à Yoann Bourgeois pour une création pluridisciplinaire, avec l’artiste musical de son choix. « En haut de ma liste figurait Patrick Watson » dit le performeur. C’était début 2020, peu avant le début de la pandémie, autant dire que l’élaboration du spectacle fut nourrie d’une profonde inquiétude et le temps de création, très court, cela lui donne une force de résonance singulière.

Le spectacle, Yoann Bourgeois et Patrick Watson,  jongle en effet entre les disciplines – cirque, danse, musique, théâtre – et les lois de la pesanteur. Les interprètes-performeurs, acrobates et danseurs, font corps avec la musique – neuf chansons, dont deux écrites pour l’occasion et plages instrumentales – et l’accompagnent en profondeur, devenant oiseaux, animaux aquatiques ou funambules. Ils s’envolent comme des Icare. Nous sommes en haute altitude, Yoann Bourgeois et Patrick Watson inventent leur nouveau monde et le font partager.

© David Gallard

Conception, mise en scène, scénographie et interprétation, Yoann Bourgeois, composition musicale Patrick Watson, interprétation Marie Bourgeois, Yoann Bourgeois, Emilie Leriche, Olivier Mathieu, Fanny Sage et Patrick Watson.

Scénographie Goury et Yoann Bourgeois, lumière Jérémie Cusenier, régie générale David Hanse, régie plateau Nicolas Anastassiou et Eric Prin, coproduction Le lieu unique, La Blogothèque, le CCN2 de Grenoble, la Philharmonie de Paris – en partenariat avec Marine Serre pour les costumes.

Spectacle du 3 au 7 novembre 2022 à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès. 75019 Paris – métro : Porte de Pantin – tél. : +33 (0)1 44 84 44 84 – site : philharmoniedeparis.fr – voir aussi l’installation monumentale créée par Yoann Bourgeois : Face au vide une œuvre à pratiquer, au Centquatre-Paris, jusqu’au 29 janvier 2023 – site : www.104.fr

Brigitte Rémer, le 10 novembre 2022

Scala

© Géraldine Aresteanu

Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois –  à La Scala / Paris.

L’ai-je bien descendu ? L’escalier central du dispositif imaginé par Yoann Bourgeois, pour sa troupe a marqué la réouverture de la salle parisienne, Scala, à la programmation ouverte et éclectique et qui a inspiré le metteur en scène pour le titre de son spectacle.

Célèbre café-concert au début du XXe siècle, cinéma reconstruit à l’italienne après sa destruction dans l’entre-deux guerres à la manière du modèle milanais, temple du porno dans les années soixante-dix, la Scala est aujourd’hui « théâtre d’art privé d’intérêt public » à l’initiative de Mélanie et Frédéric Biessy.

Acrobate, jongleur et danseur, Yoann Bourgeois a mis en scène et en espace depuis 2010 une douzaine de spectacles comme Cavale et Les Fugues, Celui qui tombe ou Les Passants. Il co-dirige avec Rachid Ouramdane le Centre chorégraphique national de Grenoble, une première pour un artiste de cirque. Il présente aujourd’hui Scala avec sept danseurs-acrobates et fait tourner son poétique manège sur le déséquilibre, la chute, la suspension, l’illusion et la disparition avec une grande vitalité et virtuosité. Le grand escalier s’inscrit dans une scénographie pleine de cachettes, de toboggans et trampolines. Une histoire envolée se construit. Cela commence par des trous dans lesquels les danseurs-acrobates disparaissent un à un, où les cadres tombent et les portes grincent, où se démultiplient les personnages comme autant de sosies – quatre hommes en jeans et chemises à carreaux, deux femmes en shorts et tee-shirts – où les chaises sont truquées, où les meubles s’écroulent et se redressent. Mirage, génie du mirage… Yoann Bourgeois dit s’être inspiré des wakouwas, ces petits animaux de bois qui, d’un petit coup de poussoir se désarticulent, gisent et se relèvent.

Il se joue mille et une aventures sur le plateau de la Scala où les corps roulent comme l’eau en cascades descendant l’escalier, où se désynchronisent et se désarticulent de singuliers duos et trios, où de subtils mouvements collectifs, nous conduisent petit à petit dans le monde des morts-vivants. Un environnement animal rampant, des mouvements incessants et lancinants qui font penser aux travailleurs d’une mine d’or repartant inlassablement à l’assaut de leur montagne, ou à l’univers de la cave musicale et solidaire du Roi et l’Oiseau. Les lits sont truqués, la bande son joue entre le grésillement des criquets et les bruits d’usine, elle nourrit l’imagination. Hommes et femmes s’abattent comme des aigles et sont catapultés jusqu’au ciel. Ils sont virtuoses dans leur art.

Le spectacle débute dans l’insouciance du burlesque et la légèreté, puis la tension monte et l’horizon se charge. La construction dramaturgique nous conduit au gris- bleu nuit du trouble profond. C’est talentueux et magnifique, c’est inscrit dans le lieu, c’est la gravité même, tête en bas.

 Brigitte Rémer, le 3 novembre 2018

Avec : Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard, Lucas Struna – lumières Jérémie Cusenier – costumes Sigolène Petey – son Antoine Garry – conception et réalisation de machineries Yves Bouche – conseil scénographique Bénédicte Jolys – collaboration artistique Yurie Tsugawa.

La Scala/Paris, 13 bd de Strasbourg, 75010. Paris. Métro : Strasbourg-Saint-Denis. Jusqu’au 24 octobre 2018, puis en tournée – Tél. : 01 40 03 44 30 – www.lascala-paris.com – www.ccn2.fr