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Devenir

© Peter Lindbergh, New-York, 1996  *

Exposition des photographies de Peter Lindbergh, Pavillon Populaire, Montpellier – Tara Londi, commissaire de l’exposition – Gilles Mora, directeur artistique du Pavillon – avec le soutien de Simon Brodbeck, directeur de la Peter Lindbergh Foundation.

Au-delà de la beauté des femmes qu’il photographie magistralement, Peter Lindbergh (1944-2019) invente des scénarios et raconte. Par son récit il apporte de la magie et du rêve, de l’extravagance et de la simplicité, de l’authenticité et de la poésie.

Devenir, titre de la rétrospective proposée en huit étapes au Pavillon Populaire de Montpellier couvre les quarante ans de carrière de Peter Lindbergh dans le contexte de la mode et montre sa manière singulière de la percevoir. Ses influences et références sont multiples et transversales, elles passent notamment par la peinture, la sculpture et la littérature. Peter Lindbergh nourrit l’image de la femme de sa réflexion qu’il inscrit dans un processus toujours en marche. Il travaille le plus souvent avec un Nikon argentique, à des vitesses élevées, et ne recadre pratiquement jamais ses photographies.

Né à Lissa, en Pologne, ville annexée à l’Allemagne par le Reich, de son vrai nom, Brodbeck, Peter Lindbergh y passe sa jeunesse avant de rejoindre l’Académie des Beaux-Arts de Berlin qu’il fréquente, mais qui ne le passionne pas. Il préfère butiner son inspiration autour des toiles de Van Gogh, qui le captivent. Il partira même ensuite sur les traces du peintre, s’installer à Arles. Le premier chapitre de l’exposition, la première salle, s’intitule Van Gogh. Un peu plus tard il approfondira l’art conceptuel de Joseph Kosuth dont on trouvera trace à la fin de l’exposition. En 1971 Lindbergh s’installe à Düsseldorf, s’initie à la photographie avec l’artiste allemand Hans Lux avant d’ouvrir, deux ans plus tard, son studio. Il est très vite reconnu pour son talent et collabore au magazine Stern où il côtoie les plus grands photographes et travaille pour les marques et magazines les plus prestigieux. En 1978 il revient s’installer à Paris où il développera sa carrière à partir d’une nouvelle conception de la femme, dans une approche qu’on peut qualifier d’humaniste et avec une certaine idéalisation. D’emblée, il introduit dans son œuvre une fonction narrative. La photo des Supermodels en 1988 – titre du second chapitre de l’exposition – six jeunes femmes en longues chemises blanches regardant l’objectif avec beaucoup de naturel, pose le nouveau concept des top modèles.

© Peter Lindbergh, Malibu, 1988 *

Le chapitre trois, Histoires, met en exergue le rapport du photographe au cinéma. Le cinéma est présent dans ses plans arrêtés dans lesquels pourtant le mouvement prédomine. La littérature est également sous-jacente, ici par la référence à Lolita de Vladimir Nabokov. Harry Dean Stanton, acteur dans Paris Texas de Wim Wenders est avec Milla Jovovich dans le désert des Mojaves, en Californie. Dans la salle quatre, le chapitre Devenir Femme, prend sa source dans les mots de Gilles Deleuze et Félix Guattari issus de Qu’est-ce que la philosophie, mots non dénués de provocation : « Et qu’arrive-t-il si la femme elle-même devient philosophe ? » Que pourrait-il se passer en effet si les femmes pensaient par elles-mêmes ? Au fil du temps ce sont souvent les mêmes femmes qui apparaissent et ré-apparaissent devant l’objectif de Lindbergh – ainsi Kate Moss, et bien d’autres – photographiées sur plusieurs décennies.

© Peter Lindbergh, Pont-à-Mousson, 1988 *

Autre thème, les paysages industriels semblables à ceux de l’enfance de Peter Lindbergh, passée dans la Ruhr, paysages dans lesquels il met en avant une grande poétique. Sa référence s’attache au travail du photographe et sociologue américain Lewis Hine qui dans Portraits de travail, saisissait en 1920 des images d’enfants perdus au milieu de machines, notamment dans les filatures où ils travaillaient. Lindbergh met ainsi en scène et en image, en 1988, Michaela Bercu, Linda Evangelista et Kristen Owen vêtues d’un uniforme dans les aciéries de Pont-à-Mousson, à travers un magnifique tirage présenté ici. « Il y a de la beauté dans nos origines, affirme-t-il, et, pour moi, c’est une vraie source d’inspiration. » Il dialogue avec Grand central Station de Hal Morey, photographie prise à New-York en 1934, où des rideaux d’une lumière crue tombent en diagonale des fenêtres de la gare.

Dans le chapitre intitulé L’émotion, Lindbergh dit son admiration devant l’œuvre du sculpteur Alberto Giacometti dont il capte l’univers à travers plusieurs images : « Une sculpture n’est pas un objet, c’est une interrogation » et il compare le grain de ces sculptures au flou de la photo, qui pour lui traduit l’émotion. L’exposition montre ensuite la manière dont Lindbergh capture le mouvement à travers la danse qu’il affectionne particulièrement. Il a notamment collaboré avec Pina Bausch, danseuse, chorégraphe et fondatrice du Tanztheater de Wuppertal dont il a réalisé un magnifique portrait à Hollywood, en 1996, présenté ici sous forme d’un grand tirage, un portrait impressionnant de vérité et de simplicité. « J’aime quand on peut improviser avec l’énergie des danseurs dit-il. Il faut laisser de l’espace pour que quelque chose arrive. » Il y a une construction théâtrale dans ses clichés dont certains se rapprochent de l’art conceptuel, comme ses Chaises, prises au Touquet, qui évoquent les One and Three Chairs de Joseph Kosuth questionnant la relation entre les idées, les mots et les images. Pour Lindbergh l’art est avant tout une activité intellectuelle.

© Peter Lindbergh, New-York, 1993 *

L’exposition, ce sont aussi des planches contact qui démultiplient le mouvement ; des portraits dont celui de Catherine Deneuve prise à partir d’une boîte noire s’inspirant de La Femme sur la lune film muet de 1929 tourné par le réalisateur expressionniste allemand, Fritz Lang ; ceux de Jeanne Moreau, Charlotte Rampling et Naomi Campbell. Vivre sa vie ferme la rétrospective, avec notamment la photographie de L’Ange, prise à New-York en 1993 où Amber Valletta dans la ville, presque irréelle au milieu des passants et des voitures, porte des ailes de plumes blanches, prête à voler.

Tirés en très grand format, les photographies en noir et blanc de Peter Lindbergh présentées au Pavillon Populaire sont de toute beauté, une belle proposition de la ville de Montpellier ! L’exposition est riche et fait dialoguer l’œuvre du photographe – proche, d’une certaine manière, du photojournalisme – avec d’autres formes artistiques qui nourrissent son œuvre. « On ne peut vraiment inventer quelque chose que si on se connecte au monde réel, quoique cela signifie. » Sa définition de la beauté à travers les femmes qu’il cadre dans son objectif a façonné un imaginaire collectif nouveau, plein de poésie, d’authenticité et de vérité. « Pour moi, la beauté réside dans le courage d’être qui vous êtes » ajoutait-il.

Brigitte Rémer, le 12 août 2022

Du 23 juin au 25 septembre 2022, Du mardi au dimanche, 11h/13h et 14h/19h – Pavillon Populaire, Esplanade Charles de Gaulle. 34000 Montpellier (entrée libre) – tél. :  +33 (0)4 67 66 13 46 – site : www.montpellier.fr/les-expos-du-pavillon-populaire) – Catalogue Peter Lindbergh. On Fashion Photography 40th édit. de Peter Lindbergh, édition multilingue Taschen (20 euros). PS. Les photographies de Peter Lindbergh rapportées dans l’article ont été prises par BR lors de sa visite de l’exposition.  * Photo 1 : Annie Morton – * Photo 2 : Estelle Lefébure, Karen Alexander, Rachel Williams, Linda Evangelista, Tatjiana Patitz, Christy Turlington – * Photo 3 : Michaela Bercu, Linda Evangelista, Kristen Owen – * Photo 4 – Amber Valletta.

United States of Africa

© Halle Tropisme

L’Afrique à 360° – Expositions et installations présentées à la Halle Tropisme de Montpellier, dans le cadre de la manifestation Africa 2020 – En partenariat avec la ville de Montpellier et la région Occitanie.

Au coeur d’une friche militaire réhabilitée de plus de 4000 m2, à Montpellier, la Halle Tropisme est un lieu culturel porté par la coopérative illusion & macadam, qui a ouvert en 2019. Inspiré des tiers-lieux, cet espace   fonctionne comme l’incubateur de projets articulés autour d’une cité créative en devenir. Elle est dédiée à l’art et à la culture, aux formations et aux résidences artistiques.

Pendant 9 jours, du 3 au 12 juillet 2021, la Halle est devenue territoire africain oeuvrant pour la promotion des 54 pays du continent. United States of Africa est comme un festival et montre la dynamique de la création africaine. Tous les créateurs invités – musiciens, plasticiens, penseurs, cuisiniers, entrepreneurs, danseurs, cinéastes – ont en commun d’incarner l’Afrique d’aujourd’hui, multiple, complexe et créative. Ils réinventent au quotidien la façon de créer, d’entreprendre et de construire des futurs possibles.

Ainsi l’exposition Wake up Africa/Afrique réveille-toi, présente les travaux de quatre artistes dont chacun est à la tête d’un centre d’art, dans son pays : Barthélémy Toguo, du Cameroun, a créé la Bandjoun station, un centre d’art situé sur les hauts plateaux du pays où un projet agricole côtoie le projet culturel, créant des liens entre les artistes et la population locale. Il présente une cafétéria mobile inspirée des cafés de rue africains. Mansour Ciss Kanakassy, du Sénégal, est responsable d’un centre de formation pour les arts numériques dédié aux jeunes et aux résidences d’artistes, la Villa Gottfried, située dans un village de pêcheurs, Ngaparou, à 70 kilomètres de Dakar. Mostapha Romli, du Maroc, artiste photographe, dirige le Centre d’art contemporain d’Essaouira, lieu d’échange et de transmission de la culture. Ensemble, ils ont construit une zone autonome cherchant à définir une identité panafricaine qu’ils représentent symboliquement par l’idée de passeports, le Global Pass et de monnaie unique africaine de la Banque Afro, s’interrogent sur la circulation des biens et des personnes. Ils posent les questions les plus simples et les plus pertinentes : « Comment se fait-il que le cacao ivoirien voyage plus facilement que l’ivoirien, qui le cueille ? Pourquoi les régions riches en ressources naturelles sont-elles les plus pauvres ? » Vitshois Mwilambwe Bondo de République Démocratique du Congo a créé à Kinshasa le Kin Art Studio s’intéressant aux arts visuels de manière hybride. Il travaille sur l’urbanité et les espaces publics de Kinshasa et présente The color of Kinshasa.

Formée en 2002 à la photographie argentique au Centre de Formation Audiovisuel Promo-Femmes de Bamako, la photographe malienne, Fatoumata Diabaté est l’une des rares femmes photographes à vivre de son art en Afrique. Elle travaille sur le thème de la métamorphose et des artéfacts. Elle présente ici une exposition autour de deux thèmes, l’un tristement d’actualité, Miroirvide20, une série inédite réalisée pendant la pandémie où elle détourne l’idée de masques – thème sur lequel elle a déjà travaillé – à partir des masques chirurgicaux. Elle s’éloigne du masque africain traditionnel pour s’orienter vers des objets-masques, des accessoires qu’elle demande à son modèle de penser et travaille sur l’idée de déchet. Fatoumata Diabaté utilise la photo pour aborder des questions sociale et sociétale. Elle s’est attaquée à un problème d’envergure en Afrique celui de la dépigmentation de la peau, le Khéssal (ou Xessal) qui fait des ravages sur la santé. Femme caméléon elle se met en scène, se travestit pour montrer la réelle nocivité de ces produits, vendus sur tous les marchés. Elle avait obtenu le Prix Visa pour la création, pour son œuvre « Touaregs, en gestes et en mouvements » lors de l’édition 2005 des Rencontres africaines de la photographie de Bamako.

Enfin, pour la jeune classe d’âge, la Halle Tropisme propose une exposition interactive de Marguerite Abouet et Mathieu Sapin, Akissi ambiance le monde. C’est l’une des séries de bandes dessinées des plus populaires en Afrique. Akissi est une petite fille qui, comme son auteure, grandit à Abidjan où elle fait bêtise sur bêtise. Pour fêter les 10 ans de la BD, l’association Ikowe a construit un bel environnement à l’échelle des enfants : un mini cinéma sous forme de tente où ils peuvent s’allonger pour regarder Akissi en dessins animés, et ils ont un espace ludique et de création qui leur est offert pour s’exprimer.

Deux autres photographes sont aussi exposés : Hassan Hajjaj, spécialiste des photographies très colorées et mises en scène, montre les exploits du Groupe Acrobatique de Tanger dans son spectacle Fiq !/ Réveille-toi, groupe invité à Montpellier lors du prochain festival Arabesques, en septembre 2021 ; la photographe française originaire du Mali, Hélène Jayet, présente un travail documentaire sur des salons de coiffure du 10ème arrondissement de Paris, Colored Only, Chin Up, travail réalisé dans son studio-photo itinérant. Elle s’intéresse aux coupes de cheveux frisés, rasés, tissés, nattés, twistés, relaxés et présente aussi, avec On (H)air, les coupes de cheveux les plus extravagantes dans le bel espace extérieur de la Halle.

Pendant cette dizaine de jours qui fête l’Afrique, United States of Africa propose aussi d’autres activités et notamment tous les soirs des concerts, performances, débats, projections, manifestations de design et de mode, d’art culinaire, à partir de focus sur différents pays : Cameroun, Congo Kinshasa, Égypte, Éthiopie, Maroc. Par cette riche proposition la Halle Tropisme témoigne de la dynamique artistique africaine contemporaine, dans un espace créatif multidisciplinaire de Montpellier, ville qui accueillera en octobre prochain, le sommet Afrique-France.

Brigitte Rémer, le 22 juillet 2021

Du 3 au 11 juillet 2021, Halle Tropisme, 121 rue Fontcouverte. Montpellier – site : www.tropisme.coop