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Also Known as Africa/ AKAA – 8ème édition

Armand Boua © Lis 10 Gallery (1)

Art & Design Fair, dédiée aux scènes artistiques d’Afrique, de ses diasporas et Afro-descendantes – directrice Victoria Mann, directrice artistique Armelle Dakouo, commissaire d’exposition et écrivaine Allison Glenn – du 20 au 22 octobre 2023, au Carreau du Temple.

C’est un rendez-vous annuel incontournable où se rencontrent artistes et galeries internationales. L’édition 2023 a accueilli cette année 120 artistes de 36 nationalités différentes et 37 galeries venant de tous les points du monde. Le thème principal touchait à la pratique curatoriale. Plusieurs invitations ont été lancées à des commissaires et à des artistes pour des projets, installations et contributions écrites qui questionnent cette pratique, et plusieurs tables rondes se sont tenues sur le sujet, dans l’auditorium du Carreau du Temple. Le livre d’art qui depuis trois ans accompagne chaque édition, Others Shall Come/D’autres viendront – signé des trois co-auteures Armelle Dakouo, Allison Glenn et Jeanne Mercier – traite aussi de cette question.

© Prisca Munkeni, Kub’Art Gallery (2)

Si un certain nombre de galeries sont de fidèles adeptes de AKAA et reviennent y présenter leurs artistes, un tiers de nouvelles galeries ont rejoint cette édition qui témoigne de la création et de l’inventivité à nulle autre pareil des artistes d’Afrique, et de la vitalité artistique africaine. Ainsi So Art Gallery et MCC Gallery, du Maroc ; Yosr Ben Ammar, de Tunisie ; Kub’Art Gallery, de la République Démocratique du Congo ; Afronova, d’Afrique du Sud ; Oda’Art Gallery, du Nigeria et d’autres du continent, ainsi que des galeries de Genève, Milan, Los Angelès, Paris. AKAA est une ruche où se côtoient expérimentation et pensée artistique transmettant l’image positive et l’énergie des ailleurs, son format, dans ce lieu du Carreau du Temple, sans grandiloquence mais chaleureux, permet la rencontre.

Nous ne présenterons ici que quelques-unes des galeries invitées et des artistes qu’elles accompagnent, dans une vision très partielle de la Foire. Toutes mériteraient qu’on s’y arrête. Ainsi la Kub’Art Gallery de Kinshasa en République Démoratique du Congo, plateforme des arts visuels créée en 2011 par Yann Kwete qui met en lumière trois artistes : Eddie Budiongo, Rachel Malaika et Prisca Munkeni Monnier, dite Furie. Sous le titre End of transmission, elle parle du genre et des identités post-coloniale, se situe au carrefour du récit historique et de la réécriture du passé par la composition et l’invention d’un nouveau récit, et d’une mise en abyme et en images de la société d’aujourd’hui. La LIS10 Gallery, née en 2019 de la rencontre entre Alberto Chiavacci, collectionneur passionné par l’art contemporain africain et Nicola Furini, galeriste expérimenté dans l’art moderne et contemporain qui, malgré la pandémie traversée juste après la création de la galerie, se sont investis dans la recherche et la rencontre avec les artistes africains. Ils ont notamment exposé deux artistes ivoiriens dans leur nouveau lieu d’Arezzo, en Toscane – Aboudia et Yéanzi – ce dernier est également présenté dans cette édition AKAA, il modifie et renouvelle le portrait en utilisant l’art du feu par le plastique qu’il fait fondre et représente, sans peinture, les personnes qui l’entourent au quotidien. Né à Abidjan, Armand Boua est le second artiste que présente la galerie, un peintre connu pour sa technique de peinture sur carton avec de l’acrylique et du goudron, puis le grattage de la peinture qui crée des espaces négatifs.

T. Ankomah © Gallery Brulhart (3)

Autres galeries, la Karim Francis contemporary Art Gallery met en valeur, en Égypte, depuis 1995, les artistes égyptiens contemporains tous médiums confondus, et notamment peintres et sculpteurs. Il découvre, encourage, soutient, présente et accompagne leur travail au niveau national, régional et international, à partir de sa galerie située au centre du Caire. Il comble ainsi le vide de la scène artistique contemporaine égyptienne. L’œuvre de Mustafa El Husseiny qu’il présente est intitulée Memory Flow. L’artiste travaille sur sa propre mémoire, qu’il cartographie et reconstitue comme un puzzle, en produisant des cartes virtuelles qui renvoient aux lieux où se sont produits les souvenirs évoqués. Sa production, technique mixte sur carton, est assez mystérieuse, il faut y chercher le portrait caché. La Gallery genevoise Brulhart promeut l’art contemporain des femmes d’origine africaine et jette des ponts entre différentes cultures. Elle présente l’œuvre de l’artiste ougandaise pluridisciplinaire Sheila Nakitende qui s’est essayée à la peinture avant d’explorer l’installation et la performance, et celle de la Ghanéenne Theresah Ankomah. Dans un tableau très épuré fait d’un textile peint sur lequel repose une feuille de palmier tressée et teintée qui a pour titre Akwantukɛsaɛ, elle évoque notre voyage sur terre et parle du pouvoir des femmes, au service de la famille et de la communauté.

La galerie d’art contemporain internationale, This is not a white cube, a des espaces d’exposition à Luanda en Angola et à Lisbonne au Portugal, mais c’est la première galerie au Portugal qui, au-delà des milieux lusophones, regarde vers les productions artistiques du Sud en général. Elle s’intéresse aux récits associés au continent africain et à sa diaspora et présente Cassio Markowski, originaire de l’État de São Paulo, au Brésil. L’artiste utilise une diversité de moyens et de techniques allant du dessin au collage et de la peinture à la vidéo. Il parle du Brésil et de sa famille, met en scène les végétaux du pays et la symbolique animale, cherche à créer des images conceptuelles à partir de thèmes qui lui tiennent à cœur comme l’enfance, la nature, l’identité et la mémoire. Son point de départ vient d’illustrations de livres et de magazines sur la botanique et l’Histoire et son travail se situe entre autobiographie et fiction. Très poétique, son œuvre  pose un geste théâtral.

La MCC Gallery de Marrakech, au Maroc – Marrakech Contemporary Collection – fondée et dirigée par Fatima-Zohra Bennani Bennis, participe au renouveau créatif de l’art contemporain au Maroc, qu’elle cultive selon un haut degré d’exigence la plaçant au niveau international. Elle possède un grand espace dans le quartier industriel de Sidi Ghanem et donne corps à l’ambition des artistes qu’elle accompagne. C’est aujourd’hui Amine El Gotaibi, artiste multiforme né à Fès, qui pour ses projets d’envergure dans l’espace et dans le temps, convoque toutes disciplines traditionnelles comme dessin, vidéo ou peinture, ainsi que des installations comme l’ingénierie mécanique ou le voyage. Son œuvre interroge poétiquement les pouvoirs hégémoniques. Pour lui, « créer, c’est l’obsession indéfinie d’un acte défini. » Il s’intéresse aux moutons et explore un savoir-faire ancestral lié à la laine et présente ici, sur un métier à tisser vertical, une œuvre douce et vaporeuse intitulée Désert de laine, réalisée en 2022.

Andrew Ntshabele, Loo and Lou Gallery (4)

Né dans une petite ville rurale d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid et vivant à Johannesburg depuis l’âge de quatre ans, Andrew Ntshabele se souvient de ses fêlures et travaille en lien avec son environnement. Il utilise la technique du collage et plus particulièrement du papier journal qui a valeur de document historique et y transpose des scènes de la vie quotidienne qu’il prend en photo et qu’il peint, mettant l’accent sur les personnes ordinaires. Il présente The Inner city of Johannesburg et Enfance. « Mes sujets reflètent le monde dans lequel je vis, les gens qui m’entourent et mes œuvres d’art sont une forme de commentaire social. » Il est représenté par Loo and Lou Gallery, de Paris.

Une installation monumentale, sur une proposition curatoriale de Fahamu Pecou, artiste et fondateur d’ADAMA – African Diaspora Art Museum of Atlanta – a pris place au cœur de la Foire : Limin/en, de l’artiste jamaïcain Cosmo Whyte, qui vit et travaille à Los Angelès et qui est représenté par la galerie Anat Ebgi. L’artiste cherche à reconstruire les histoires et les identités fragmentées, déchirées par le colonialisme et la suprématie blanche. Il travaille sur la perception et s’appuie sur l’ouvrage du philosophe kenyan, Ngugi wa Thiong’o, publié en 2009, Something Torn and New – An African Renaissance. Il s’inspire des projets architecturaux inachevés de son père et utilise le dessin, la sculpture et la photographie, invitant à la réflexion entre architecture et pouvoir, nationalisme et déracinement. On pénètre dans son espace comme dans un labyrinthe, quelques mots sont posés sur les parois, des personnages telles des ombres s’impriment sur des rideaux de minuscules perles noires disposées en rangs très serrés.

Adama Sylla © Galerie Talmart (5)

Bien d’autres initiatives ont été proposées par AKAA, dont Les Rencontres, plateforme de réflexion et de débats publics où se croisent artistes, curateurs et professionnels de l’art, dans l’Auditorium du Carreau du Temple, sur une proposition d’Armelle Dakouo, directrice adjointe de la Foire. L’une des tables rondes portait sur Le portrait comme conversation ou le portrait miroir d’une société et de ses mœurs, moment passionnant modéré par Jeanne Mercier, critique, commissaire et fondatrice d’Afrique in visu, avec l’artiste franco-sénégalaise, Delphine Diallo, photographe, visionnaire et collagiste – comme elle aime à se présenter – et qui définit le portrait comme « la porte de l’âme. » Représentée par la Fisheye Gallery à Paris, elle explique le processus de ses visions : « Je rêve, je me rappelle mes rêves. Je les mets dans mes collages, je me connecte avec ma vision. »  L’artiste Prisca Munkeni Monnier, dite Furie, représentée par la Kub’Art Gallery de Kinshasa, dont nous avons parlé plus avant dans cet article, évoque ses traumatismes coloniaux à commencer par celui de son identité, par son nom qui avait été coupé, donc tronqué. Elle attire l’attention sur la complexité des choses les plus invisibles, « ce qui se cache, derrière les couches et les calques. » – Ange-Frédéric Koffi, plasticien ivoirien aux pratiques multiples et commissaire d’exposition s’est exprimé sur l’influence du photographe sénégalais, Adama Sylla, qu’il expose. C’est un photographe né en 1934, en Casamance, archiviste de profession et précurseur de la photographie au Sénégal dans les années 1950, qui a documenté avec son appareil photo le quotidien du pays, de l’aube de l’indépendance à nos jours. Après avoir déclaré que « La photo ne marchait pas au coup de cœur » Ange-Frédéric Koffi a parlé des représentations, « When we see us » autrement dit, « Le corps noir, vu par les Noirs. » Une carte blanche des Rencontres a été donnée à l’association Marcelles Marseille qui a présenté un projet d’exposition intitulé La page n’était pas blanche, réalisé par la commissaire Farrah Bencheikh et la scénographe Violette Dadot.

C. Markowski © This is not a white cube (6)

Dans l’immense travail accompli par AKAA pour la réussite de cette édition, se sont tissés des partenariats : avec Ellipse Projects, permettant à Ras Sankara, artiste autodidacte togolais, lauréat du Prix ellipse 2023, de réaliser une performance intitulée Aflanga/Le Drapeau, dans les allées de la Foire. Depuis 2015 il a placé l’art de la performance au centre de sa pratique, et utilise son corps comme medium, faisant référence à son identité et à sa culture ; avec Richard Mudariki, artiste et fondateur de la plateforme artHarare Contemporary, qui a présenté dans la Lounge VIP le travail de cinq artistes femmes, du Zimbabwe : Fungai Marima, Tanaka Mazivanhanga, Ana Uzelac, Linnet Rubaya et Xanthe Somers, selon une scénographie qu’il a imaginée ; avec l’Institut Français du Cameroun et Bandjoun Station qui ont présenté Talents 237, un projet d’exposition sous le commissariat de Carine Djuidje, qui a mis à l’honneur huit jeunes artistes talentueux de la création contemporaine camerounaise : William Bakaimo, Romaric Bidias, Arnold Fokam, Bienvenue Fotso, Roméo Temwa, Leuna Noumbimboo, Grâce Dorothée Tong et Madeleine Wilfried Mbida. Enfin, Véolia a présenté The Raven Collection, avec l’artiste éco-responsable RJ sous le commissariat de Clara Francese.

C’est une magnifique édition 2023 qu’a présentée AKAA,, qui annonce en même temps l’important virage qu’elle prend, par son internationalisation. Les événements et les lieux consacrés à la scène africaine se développent de par le monde – Madagascar, Sharjah ou Washington, entre autres – cela permet de prendre de la distance avec les stéréotypes et d’affiner le regard sur un art africain plein de vitalité, mais elle se tourne aussi vers les Amériques et les Caraïbes, dans le dialogue qu’elles nourrissent avec l’Afrique. En ce sens, AKAA prépare une prochaine édition qui se tiendra du 2 au 12 mai 2024, à Los Angeles. Rendez-vous là-bas !

Brigitte Rémer, le 30 octobre 2023

Visuels – (1) Armand Boua, L’équipe de foot, 2022 mixed media, tar and collage on canvas 148 x 210 cm © Lis10 Gallery, Courtesy Lis10 Gallery – (2) Prisca Munkeni Furie – EXETER chapitre I, Soldai au regard de Joconde – 2022 – 120×80 cm-inkjet baryta paper, photo montage, mixed media-© Prisca Munkeni-Courtesy  Kub’Art Gallery – (3) Theresah Ankomah, Akwantukɛsaɛ © Gallery Brulhart – (4) Andrew Ntshabele, Loo and Lou Gallery © BR – (5) Adama Sylla © Galerie Talmart – (6) Cassio Markowski © This is not a white cube.

Comité de sélection ayant accompagné AKAA dans le choix des galeries retenues :  Ifeoma Dike, psychologue, consultante, curatrice, militante culturelle et productrice, née au Nigéria et vivant au Royaume-Uni – Bénédicte Alliot, directrice générale de la Cité internationale des Arts, à Paris – Anne de Villepoix, directrice de galerie à Paris. Responsables de production, Yannick Boesso et Morgane Perroy – chargée de communication, Fiona Harwood – chargée des relations exposants et VIP, Mimi Vuurman – régisseur, Hadrien Forestier.

AKAA, Art & Design Fair, du 20 au 22 octobre 2023, au Carreau du Temple, 4 Rue Eugène Spuller, 75003 Paris – métro : Temple et République – les 20 et 21, de 12h à 20h, le 22 de 12h à 18h – Site : akaafair.com

AKAA/ Also Known As Africa, 6ème édition

Gaël Maski © Galerie Angalia  (République Démocratique du Congo)

La sixième édition de la Foire d’art contemporain et de design centrée sur l’Afrique, AKAA, s’est tenue du 12 au 14 novembre 2021, au Carreau du Temple.

Une centaine d’artistes africains et trente-quatre galeries d’Europe, d’Afrique et des États-Unis étaient au rendez-vous de cette édition tandis que six autres ont travaillé en ligne. C’est moins qu’en 2019, mais après l’annulation de l’édition 2020 pour raison de pandémie et alors que le virus court toujours, on ne peut que se réjouir. Ce que fait Victoria Mann, fondatrice et directrice de AKAA : « C’est une édition importante et dont nous sommes fiers, après deux années pas évidentes. Il y a moins de stands, pour des questions de logistique et d’accès à des visas ou à la vaccination, cela a été rock’n’roll, mais notre toute petite équipe a été férocement efficace. » Une organisation au cordeau, au rez-de-chaussée du Carreau du Temple, avec des stands attractifs et une fluidité de circulation ; un espace dédié aux Rencontres AKAA, permettant conférences et signatures de livres, sorte d’Agora où l’on débat cette année autour de la notion de temporalité. L’édition 2021 s’intitule en effet À rebrousse-temps, elle a donné lieu à la publication d’un ouvrage portant ce même titre – réalisé sous la direction de Armelle Dakouo, directrice artistique – pour laisser traces.

Au premier regard, la qualité des œuvres frappe et attire. Il y a de la vie dans ces créations, de l’imagination, de la créativité et de la vitalité. Profondes, graves ou légères, elles appellent le monde d’aujourd’hui dans son tragique et sa liberté. Qu’elles soient positionnées en France, en Afrique, aux États-Unis ou ailleurs, les galeries se sont données la même mission : rendre compte des récits artistiques et des récits de vie portés par les plasticiens africains. Nous en citerons quelques-uns ci-dessous ainsi que certaines des galeries qui portent leur travail.

La galerie 31 Project créée en 2019, colle au plus près des scènes africaines de l’art contemporain et promeut la multidisciplinarité et les artistes du continent et de la diaspora. Trois artistes des plus talentueux ont été présentés dans le cadre de AKAA ; du Zimbabwe, Epheas Maposa et ses personnages distordus, aux couleurs vives qui dégagent solitude et inquiétude et Evans Tinashe Mutenga qui travaille le papier tels que journaux trouvés, affiches décollées, qu’il manipule d’une manière très personnelle, menant à des portraits faits d’effacements et de griffures par collages et techniques mixtes sur papier. Comrade, qu’il a réalisé en 2018/2019, est une série de portraits, et la trace des amis avec qui il a combattu pour la libération du pays ; du Nigéria, Kelani Abbas, qui vit et travaille à Lagos, rassemble des fragments de mémoire à partir d’anciens clichés et d’objets hérités de l’entreprise d’imprimerie de son père, et cherche à établir des passerelles entre le passé et le présent.  La Galerie Angalia, en RDC, du mot swahili qui signifie regarder, voir, observer, présente entre autres les photocollages de Gaël Maski, qui transcendent la pauvreté à travers la chambre de son imagination et les photos de Gosette Lubondo, qui capte les friches et lieux abandonnés et travaille sur la mémoire et la transmission, notamment dans ses séries Imaginary Trip.

Mário Macilau © Galerie Movart  (Angola/Portugal)

La Galerie Movart entre Luanda (Angola) et Lisbonne présente entre autres l’œuvre de Mário Macilau du Mozambique, fine esquisse de superposition d’images de femmes et d’enfants, sorte d’apparitions dans un environnement dégradé. La galerie This is not a white cube travaille entre le Portugal, l’Angola et l’Afrique du Sud et présente Alida Rodrigues, artiste angolaise vivant au Royaume Uni qui invite à réfléchir sur le statut de l’image, sa banalisation, ses manipulations, ses limites. D’une photo à l’ancienne sur laquelle une personne prenait la pose, elle invente un nouveau visage, botanique celui-là, – lys, artichaut, chou, maïs ou autre, qu’elle articule magnifiquement avec le vêtement ou l’attitude. La galerie Krystel Ann Art, du Portugal, présente Giana de Dier, née au Panama, qui y vit et y travaille. L’artiste prend pour référence les milliers de morts du creusement du Canal, conçu un siècle avant sa naissance et part à la recherche de ses racines caribéennes. Elle superpose des fragments de photos de ces deux univers, celui des souvenirs d’enfance et les images d’archives d’ouvriers inconnus qui ont laissé leur vie dans ce chantier pharaonique.

Beaucoup d’autres artistes, promus par des galeries de divers points du monde sont à retenir : Delano Dunn de la Galerie Montague Contemporary de New-York connu pour les couches multiples de ses collages, fait un récit de l’histoire américaine avec ses personnages en uniforme sur des fonds poétiques très travaillés avec les matériaux qu’il trouve autour de lui comme paillettes, papier, ruban, cirage, cellophane etc. Angèle Etoundi Essamba, de la Galerie Carole Kvasnevsski, née à Douala/Cameroun dont le thème principal porte sur la femme noire, sa beauté universelle, sa grâce, sa noblesse, ses symboles par les vêtements ; Stephan Gladieu, né en RDC, ancien reporter ayant bourlingué de par le monde, présenté par la School Gallery/Paris avec sa série Homo detritus. Il y parle, à la manière de l’Arte Povera, de notre surconsommation par d’impressionnantes photos de personnages, à la fois réalistes et métaphoriques, un peu terriens un peu martiens portant masques et carapaces réalisés avec des produits de recyclage comme boîtes, bouchons, pièces détachées, téléphones portables, plastiques, CD, paquets de cigarettes etc. Le jeune peintre algérien, Mehdi Djelil dit Bardi est porté par la galerie Rhizome, d’Alger, et Wonder Buhle, qui signe l’affiche de cette édition, par BKhz Gallery, de Johannesburg. LaToya Hobbs (193 Gallery/Paris) peintre et graveuse américaine travaille sur le thème de l’identité/féminité ; Toyin Loye, artiste nigérian inspiré par la culture Yoruba (Artco gallery/Berlin, Aix-la-Chapelle) a pour base de travail la photographie noir et blanc. Porté par la Galerie Voss de Düsseldorf, l’artiste nigérian Idowu Oluwaseun dont les visages souvent entièrement cachés et enroulés dans un foulard, travaille sur photo et peinture acrylique. Présentés par la Galerie Anne de Villepoix, Leslie Amine, peintre franco-béninoise, développe de sombres et luxuriants paysages sous-marins pleins de mystère et Souleimane Barry, entre le Burkina Faso et la France, parle de la condition humaine dans sa diversité en apportant une note fantastique et colorée à ses portraits. Une toute nouvelle galerie, Afikaris, présente entre autres le travail de Jean David Nkot, né à Douala, qui a réalisé un tragique Effondrement du rêve où le corps vaincu, bouée dégonflée, s’est échoué.

Giana de Dier © Galerie Krystel Ann Art (Portugal)

AKAA remplit un réel rôle de défricheur en ce qui concerne la vitalité de la création africaine. La sixième édition a particulièrement mis en exergue l’art au féminin et les Afro-Américains ; par ailleurs photos et collages sont les techniques qui cette année apparaissent majoritairement, plusieurs artistes et galeries sont aussi présents à Paris Photo qui se déroule au même moment. Autre proposition et pour la première fois, la maison britannique Bonhams – qui vient de se doter d’un lieu à Paris – a effectué une vente aux enchères d’œuvres qu’elle présentait sur son stand. Par la qualité des œuvres l’édition fut flamboyante, Victoria Mann, directrice, peut être fière. Pour elle « Paris est en train de devenir la place forte pour l’art contemporain… Loin de n’être qu’un effet de mode, le marché de l’art contemporain africain se structure, et se renforce à l’international, et les artistes prennent leur place dans les collections et les grandes institutions. » De quoi se réjouir.

Brigitte Rémer, le 23 novembre 2021

AKAA, Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, 75003. Paris – métro : Temple, République – site : akaafair.com