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Valjean

© Laetitia Piccarreta

D’après Les Misérables de Victor Hugo, adaptation et interprétation Christophe Delessart – mise en scène Elsa Saladin – Etoile et Compagnie.

L’homme est seul en scène, rugueux et tendre. C’est Jean Valjean, figure emblématique des Misérables, la grande fresque hugolienne publiée en 1862 qui témoigne de son temps, le XIXème siècle, et qui pose un regard social, politique et philosophique sur la misère humaine, au propre comme au figuré. Derrière les hésitations de Valjean, l’intensité du rachat et de la rédemption se tissent d’un certain romantisme. On reconnaît l’engagement de Victor Hugo et son humanisme se superposant aux errances de son anti-héros. Comme Hugo, Valjean sera Maire, comme lui il ira sur les barricades, tentera de fuir puis se constituera prisonnier, comme lui il prendra une fausse identité, se battra pour les libertés et le respect des humbles, contre les injustices et pour la protection des petites gens. Valjean passera dix-neuf ans au bagne, Hugo tout autant en exil.

La Passion selon Valjean, titre de l’adaptation réalisée par Christophe Delessart, est un voyage intérieur en sept stations – de la Rédemption à l’Agonie – qui dessine les multiples visages du personnage et le porte, de rébellion en hésitation et de ressentiment en humanité. D’émondeur à Faverolles, dans la Brie où ses parents sont paysans, au bagne de Toulon où il passe dix-neuf ans pour avoir volé un pain destiné aux enfants de sa sœur, son identité de bagnard le poursuit par le passeport jaune qui lui est remis à sa sortie. Il succombe encore à ses démons en dérobant des couverts d’argent au vieillard qui lui offre souper et coucher, évêque de profession et qui l’accompagne sur le chemin du pardon en lui offrant une paire de chandeliers. « Ah vous voilà. Je suis content de vous voir. Mais je vous avais donné les chandeliers aussi. Pourquoi ne pas les avoir emportés avec vos couverts ? … Jean Valjean mon frère, vous n’appartenez plus au mal mais au bien… »

Plein de talent et construisant les marches de sa revanche sociale, Valjean apprend à lire et à écrire en autodidacte, devient Maire sous le nom emprunté de Père Madeleine, mais son passé toujours le taraude et le rattrape. « Libération n’est pas délivrance. On sort du bagne mais non de la condamnation » dit-il. L’inspecteur de police Javert mène autour de lui une traque incessante et lui tend piège sur piège pour mieux le confondre, après ses évasions. « Quelques semaines plus tard Javert vint m’apprendre qu’il m’avait dénoncé. Il avait reconnu l’ancien bagnard de Toulon du nom de Jean Valjean… » Quand Javert finit par comprendre la métamorphose de Jean Valjean, devenu profondément humaniste, il perd ses repères et se jette dans la Seine.

Sur la route de Valjean, il y a Fantine, mère célibataire et ouvrière à la fabrique de verroterie qu’il a créée, contrainte de placer sa fille, Cosette, âgée de huit ans, pour travailler. Chez les Thénardier, famille de trois enfants, peu recommandable, on l’utilise comme servante et la méchanceté de la mère concourt avec l’obséquiosité et la veulerie du père. « Quand les filles de la Thénardier s’amusent avec leurs poupées, elle tricote des bas de laine. » Valjean tente d’aider Fantine qui meurt prématurément et selon ses promesses, va chercher Cosette qu’il arrache à son triste sort. Il l’élève comme sa propre fille, dans un couvent d’abord où il est jardinier puis dans un appartement qu’il loue. « Tu te souviens Cosette, nos promenades au Luxembourg ? Nos rires, nos silences, nos longues discussions, nos petites colères, nos étonnements, nos plaisanteries… » On ne peut s’empêcher de penser à Léopoldine, la fille de Victor Hugo, disparue à dix-neuf ans : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai… » écrit-il.

Plus tard, Cosette épousera Marius, baron de Pontmercy, son bien-aimé, un véritable arrachement pour Valjean qui entrera en souffrance. Mais auparavant, lors de la journée des barricades, Valjean sauve Marius, inconscient, d’une mort certaine, après une traversée des plus périlleuses par les égouts, nouvel acte rédempteur. Livré à la solitude quand il choisit de révéler sa véritable identité à son gendre qui se met à douter, Valjean s’efface et meurt dans un grand désarroi, non sans avoir épelé à Cosette le nom de sa mère. Marius et Cosette arrivent à son chevet pour recueillir son dernier souffle. « Mes enfants je vais m’en aller… »

Christophe Delessart a créé plusieurs textes en solo et élaboré une première version de Valjean il y a une trentaine d’années. « Jean Valjean est le héros de mon enfance » explique-t-il. Il reprend son projet en 2017 et construit, à la lueur de son histoire de vie, un environnement intimiste, sa vulnérabilité, sa complexité, son humanité. Il s’entoure de l’actrice et metteure en scène, Elsa Saladin qui le dirige, dans un climat proche des Nocturnes de Chopin. Sur le plateau, un bureau et quelques accessoires d’écriture – une plume d’oie et du papier, des chandeliers pour éclairer – une chaise, un miroir couvert de la poussière du passé, une cuvette et un broc d’eau qu’il se verse, comme en la métaphore du lavement, un paravent, une robe, un somptueux manteau et chapeau que Valjean portera. « L’homme, seul au seuil de sa vie, fort de ses expériences mais parfois submergé de doutes doit affronter dignement son destin » dit-il.

Les métamorphoses intérieures de Valjean ne cessent de nous pétrir et de nous interroger, même si la misère et les injustices prennent aujourd’hui d’autres formes. Ce récit initiatique a obtenu un grand succès au Festival Avignon off ces deux dernières années, il est présenté un soir sur trois en anglais.

Brigitte Rémer,  28 août 2018

Adaptation et interprétation Christophe Delessart – mise en scène Elsa Saladin. Lumière Johanna Dilolo – bande son Tristan Delessart – traduction Perrine Millot. Etoile et Compagnie.

Du 23 août 2018 au 19 janvier 2019 – jeudi et samedi à 19h30, en langue française – vendredi à 19h30, en langue anglaise – Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, 75004. Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau – Tél. : 01 42 78 46 42 – www. valjean.eu et www. essaion-theatre.com