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 معاً  / Ensemble – La langue arabe au Festival d’Avignon 2025

La 79ème édition du Festival d’Avignon a mis à l’honneur la langue arabe. Ensemble, معاً est sa devise. De nombreux débats ont été proposés dans ce cadre, au Cloître Saint-Louis, quartier général du Festival, notamment autour du Café des idées et en collaboration avec l’Agence nationale de la recherche. Nous en rapportons quelques traces.

Nabil Wakim, journaliste et réalisateur

Comment j’ai perdu ma langue (1), avec Nabil Wakim, en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe. Journaliste et réalisateur du film Mauvaise langue, né à Beyrouth, il a quatre ans quand sa famille s’installe en France et parle de sa honte d’abord de la langue arabe, ensuite de la honte ne pas parler sa langue maternelle. Il se souvient des comptines de sa grand-mère maternelle et des questions de l’autre grand-mère : « pourquoi tu ne parles pas ta langue ? » La langue est polymorphe. Il n’y a pas une mais des langues arabes, chaque pays a la sienne et l’arabe littéral ne se parle pas. Par ailleurs il existe beaucoup de fantasmes et de nombreux amalgames autour de la langue arabe, autour du fondamentalisme et du terrorisme, de la religion et des dérives communautaires. La langue est une histoire intime et politique, dit Nabil Wakim.

Et il invite différentes personnes à apporter leurs témoignages. Ainsi Mariam, d’origine marocaine, à qui on parte arabe à la maison et qui répond en français mais qui se fait traiter de « fausse arabe » par les copines, ou Hasna qui parle du complexe de sa mère en France et du sien dans la petite ville marocaine d’où elle est issue et où elle se sent étrangère. Parmi les langues de l’immigration, turque, tamoul, serbo-croate et autres, l’arabe est la moins bien transmise, 3% seulement de lycées la proposent et certaines académies n’ont aucune proposition, les professeurs sont vacataires et 0,2% seulement des élèves l’apprennent. Les parents préfèrent diriger leurs enfants vers des cursus considérés comme plus utiles. Dans le public, le constat est le même : « on a tout fait pour nous détourner de nos langues maternelles » ou encore « je ne comprenais pas ce que disait ma mère. » L’arabe serait la langue de l’échec et le mot honte est revenu souvent. Alors, dans la quête de son identité et derrière cette fracture de la langue, comment se réapproprier sa culture d’origine ?

The Resistance Tour : comment les organisations culturelles publiques font-elles face à la montée des extrêmes ? (2) La discussion débute par une sorte d’état des lieux au niveau de l’Europe compte tenu de la montée des extrêmes droites dans un certain nombre de pays comme en Slovaquie et en Hongrie, en Serbie où le directeur du Festival international de théâtre de Belgrade/BITEF vient d’être remercié. La Déclaration de Bratislava a demandé un changement de la loi en termes de Culture et l’ouverture de l’espace. Tiago Rodrigues, metteur en scène et directeur du Festival, évoque les menaces face à la démocratie et à l’idée de service public et remet la démocratisation de la culture au centre. « La liberté est nécessaire pour que le débat existe, insiste-t-il, pour la diversité des combats, des stratégies et des projections dans l’avenir » dit-il.

Ahmer El Attar, auteur et metteur en scène égyptien

Ahmed El Attar, acteur, auteur et metteur en scène s’est formé entre l’Égypte et la France. Il dénonce l’occupation israélienne en même temps que le positionnement à l’extrême droite du Hamas et replace la Palestine dans son contexte historique. Pour lui, le geste artistique est en soi un acte de résistance, de même que toute tentative ou acte d’indépendance, dans un pays de gouvernance autoritaire où il faut apprendre à contourner la censure et à désamorcer les mécanismes d’autocensure. Il parle du festival qu’il a créé et dirige au Caire, D-Caf, plateforme internationale pour le jeune théâtre dont la 13ème édition se déroulera à l’automne prochain. Il tente, par la diversification de ses actions, de donner de l’espoir, des moyens et des outils aux jeunes créateurs de son pays, afin qu’ils créent des liens entre eux et cessent d’avoir envie de partir. En Égypte, plus de 60% de la population a moins de 22 ans rappelle-t-il. Il travaille sur la transmission et les résidences d’artistes, complémentairement aux textes qu’il écrit et met en scène. Pour lui Le geste artistique parle et doit rester humble, et il faut rassembler toujours plus de courage pour continuer à créer.

Après la modératrice, Ahmed El Attar, Hortense Archambault, Milo Rau, Argyro Chioti, Tiago Rodrigues

Argyro Chioti, auteure, metteuse en scène et directrice du Théâtre national de Grèce, à Athènes, parle des coupes sévères qu’ont subi les théâtres depuis la crise financière des années 2011/2012 et la montée de l’extrême-droite, rappelant le conservatisme lié notamment à la religion et à la société. En Grèce, dit-elle, « on ne touche pas à certains sujets et les polémiques se mettent sous le tapis. » Au regard de ces difficultés le théâtre privé s’est développé mais son ambition est de faire de l’argent et les esthétiques sont plus que discutables et souvent frappées d’homogénéité. Tous ces sujets questionnent sa pratique, à la recherche de façons de résister.

Hortense Archambault, directrice de la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis / MC93 de Bobigny, anciennement codirectrice du Festival d’Avignon, avec Vincent Baudriller, dénonce la fragilisation du système des politiques publiques en France, et donne pour preuve la réforme de l’audiovisuel en cours et l’attaque en règle de certains lieux, qui au demeurant tentent de résister. Elle invite à fédérer les forces vives pour contrer l’extrême droite qui adore la simplification. Sa sphère d’intervention, le 93 est un poste d’observation de premier ordre. Pour elle la question du lien est une priorité car les discours de propagande parfois nous aveuglent.

Milo Rau, dramaturge et metteur en scène, directeur artistique du Wiener Festwochen à Vienne fait référence à L’Esthétique de la résistance, de Peter Weiss. Pour lui « la résistance n’a pas de forme, c’est la forme. Assez critique par rapport à l’Union Européenne il suggère de faire remonter les problèmes et d’ouvrir les débats. Il propose de préserver l’espace complexe de la dialectique et de défendre une rhétorique complexe, une poétique de la résistance. La solidarité entre institutions culturelles semble vitale et l’union, face à une extrême-droite qui se renforce, une priorité. Il faut une certaine radicalité pour créer. Tous les participants à la table ronde remarquent que quand la résistance s’organise, elle devient puissante et permet de dialoguer avec les élus locaux, de lutter contre la censure, de défendre des gestes artistiques forts, de construire des solidarités.

Conversation avec Leïla Slimani, (3) écrivaine, en partenariat avec La Nouvelle Revue Française, (Olivia Gesbert, rédactrice en chef) suivie d’un échange avec le public. « Je ne parle pas la langue arabe et cela aussi c’est le produit d’une histoire » annonce Leila Slimani. Elle parle de la complexité par la multiplicité des langues arabes : langue littérale la littéraire, langue du Coran, langue de chaque pays concerné, langues vernaculaires comme l’amazigh. Elle a fait ses études à l’école française de Rabat et vient de publier le dernier opus de sa trilogie sur le Maroc, J’emporterai le feu, après les deux premiers, Le Pays des autres et Regardez-nous danser. Chanson douce, son second roman, publié en 2016 et qui a remporté cette année-là le Prix Goncourt l’a fait connaître. Elle évoque la publication de son récit autobiographique, Le Parfum des fleurs la nuit, en 2021, où elle parle d’un lourd traumatisme familial quand son père a perdu un temps son statut, dans un imbroglio politico-financier, avant d’être blanchi quelques années plus tard, de manière posthume. Elle avait ouvert en parallèle une réflexion sur la création et l’écriture, et a signé en 2023 un essai, Sexe et Mensonge.

Leïla Slimani, écrivaine (à gauche) et Olivia Gesbert

De parents francophiles et francophones Leila Slimani fait un pont sur ses différents parcours et ses interrogations, elle se qualifie « d’analphabète bilingue. » Elle témoigne avec beaucoup de simplicité de son rapport à la langue arabe, à sa famille et reconnaît que les langues arabes se brouillent, que le littéral n’est pas parlé et que l’arabe dialectal est un mélange. Elle constate la dévalorisation de la langue arabe au profit du français et de l’anglais même si la Francophonie dans laquelle elle est engagée ne peut être forte que s’il existe d’autres langues à côté. La langue arabe est une langue de France, l’écrivaine note qu’elle reste taboue et aurait besoin d’être désidéologisée. Elle parle de frontières factices, d’un monde commun, d’un terreau commun dans lequel on vit, et cite Edouard Glissant disant : « le pouvoir de la littérature et de la poésie entraîne le changement » et Kateb Yacine, « Le français est un butin de guerre. » Elle évoque la langue arabe de la littérature à travers la Trilogie de l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature en 1988 – Impasse des deux palais, Le Palais du désir et Le Jardin du passé, parle de la notion d’illusion et des choses qu’on a tendance à embellir en écriture. Pour elle, le temps est comme un allié, car pour écrire la distance lui est nécessaire, l’écriture immédiate ne lui convient pas, et elle insiste sur la nécessité du dialogue intergénérationnel et de la transmission intra-familiale. Pour Leila Slimani les cultures se pollinisent et il nous faut défendre ce qui est joyeux, une même communauté. Et Mahmoud Darwich n’est jamais bien loin : « Notre histoire est la leur. N’était la différence de l’oiseau dans les étendards, les peuples auraient uni les chemins de leur idée. Notre fin est notre commencement. Notre commencement notre fin. Et la terre se transmet comme la langue… » Un texte inédit de Leila Slimani, Assaut contre la frontière, traitant de son rapport à la langue arabe, sera lu dans le cadre des programmes Fictions de France Culture au Musée Calvet.

Après le modérateur, Jack Lang et Tiago Rodrigues

Une langue arabe ? Des langues arabes ? Des origines à la pluralité (4) avec Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe. – Tiago Rodrigues, metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon – Nisrine al-Zahre, directrice du Centre de Langue et Civilisation Arabes à l’IMA – Pierre Larcher, linguiste, professeur à l’Université Aix-Marseille – Jean-Baptiste Brenet, philosophe,, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne – Ibrahim Akel, enseignant au Département d’études orientales, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Tiago Rodrigues introduit la séquence. En mettant à l’honneur les langues au Festival d’Avignon, et cette année la langue arabe, il propose un autre regard sur le monde, au-delà des frontières et des nationalités. Les langues sont pour lui porteuses d’Histoire, de mémoire et d’avenir et il reprend, dans la chronologie du Festival, l’ouverture aux autres pays voulue par Vilar et ses successeurs et rappelle quelques grands noms de créateurs venus présenter leurs travaux, comme Béjart, Lavelli, Godard, Kantor. Aujourd’hui, tout en refusant l’instrumentalisation de la langue, il reconnaît que la langue arabe s’est imposée, sur fond de massacres et de crimes de guerre à Gaza.

De droite à gauche : Nisrine al-Zahre, le modérateur, Jean-Baptiste Brenet, Pierre Larcher, Ibrahim Akel

Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe, milite pour le plurilinguisme. « La langue arabe est une chance pour la France » dit-il, tout en reconnaissant qu’on devrait développer l’offre d’apprentissage dès le CP, en tant qu’ancien ministre de l’Éducation Nationale il le sait d’autant. De même on la trouve peu dans les collèges, les lycées et les universités alors, dit-il qu’il y a un réel désir de langue arabe. Il parle d’excommunication, de racisme, de bêtise et d’ignorance dans la manière dont on s’est détourné de la langue arabe. D’une grande richesse sémantique, c’est la 5ème langue parlée dans le monde et l’une des plus anciennes. Elle fait partie de notre histoire et on lui doit beaucoup notamment pour les sciences, l’algèbre et les chiffres, mais aussi comme « pont entre le monde antique et le monde occidental. »

Nisrine al-Zahre, directrice du Centre de Langue et Civilisation Arabes à l’IMA parle de la migration et de la répartition des langues arabes au Moyen-Orient et de la poésie pré-islamique, proche de l’araméen et de l’hébreu, deuxième support de la langue arabe après le Coran. Elle parle de la sanctuarisation et standardisation de la langue (sans la vocalisation des voyelles), de la nécessité de stabiliser l’orthographe, des variétés nationales et dialectales.

Jack Lang et Tiago Rodrigues

Pierre Larcher, linguiste, professeur à l’Université Aix-Marseille, auteur de Le Cédrat, La Jument et La Goule, parle de trois poèmes préislamiques sur lesquels il s’est penché – datant d’avant le Coran et représentant des milliers de vers écrits par une centaine de poètes et poétesses. Il évoque le diwan/recueil exhaustif de l’œuvre d’un poète, les makalakat/anthologies, du passage de l’oral à l’écrit, de la rime, des codex et épigraphes. Il évoque Al-Kitab, le livre mère de la grammaire arabe, de Sībawayh et évoque les persans arabisés comme premiers grammairiens.

Jean-Baptiste Brenet, philosophe, spécialiste de philosophie arabe et latine, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne où il enseigne l’histoire de la philosophie arabe médiévale ou classique s’intéresse principalement à Averroès (Ibn Rushd, 1126/1198) et la philosophie andalouse. Il a publié en 2024 : Le dehors dedans. Averroès en peinture. Il définit la philosophie arabe comme une pensée écrite en arabe et qui relève de la pensée grecque. En 529 il note que la dernière école philosophique grecque fermait, que le savoir disparaissait du monde grec et passe dans le monde arabe.

Ibrahim Akel, enseignant au Département d’études orientales, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle parle de ses travaux sur les textes fondamentaux de la culture orientale : Mille et une Nuits, issu de la tradition orale, dont le texte d’origine indienne fut transmis à la Perse ; ainsi que de Kalila et Demna, une fable animalière à la vision assez tragique sur la condition humaine, dont le but  était d’éduquer princes et gouverneurs.

Proche-Orient, les conditions de la paix (5), débat organisé par la Licra/Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, avec Ofer Bronchtein, président et co-fondateur du Forum international pour la paix, Eva Illouz, sociologue, Alain Blum membre du Bureau exécutif, Abraham Bengio, président de la Commission Culture à la Licra. Ofer Bronchtein annonce la couleur : cela fait trente ans que Netanyahou – Premier ministre d’Israël de 1996 à 1999, de 2009 à 2021 et à nouveau à partir de 2022 – a kidnappé le peuple d’Israël et qu’il s’agit de s’opposer à sa coalition d’extrême-droite. Il parle de la faillite morale de l’État hébreu et du démantèlement de la démocratie. Il fait lecture de la lettre adressée par Mahmoud Abbass, président de l’État de Palestine au Premier ministre d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, revendiquant le droit de la Palestine à la souveraineté, dit l’urgence de reconnaître les deux peuples et de créer un nouveau narratif. Il refait le film de l’Histoire, rappelant que cela fait près d’un siècle que les deux peuples vivent sur la même terre et que de facto la population palestinienne est incluse dans l’État d’Israël.

Eva Illouz était pressentie pour recevoir le Prix Israël et le ministre de l’Éducation d’Israël a mis son veto. La sociologue avait en effet recueilli plus de cent-vingt signatures sur un document montrant les exactions des soldats israéliens à l’égard des Palestiniens. Le problème de la haine, réciproque, est pour les intervenants un des problèmes centraux. Amos Gitaî, réalisateur et metteur en scène, confirme depuis la salle, la toxicité de Netanyahou. Pour lui un consensus semble acquis quant à la nécessité et à l’urgence de reconnaître l’État de Palestine. Les échanges se sont poursuivis, les intervenants convenant de la destruction aveugle de la vie à Gaza – qui ne fait que continuer – mais n’ont pas énoncé le mot de génocide. La fin du débat, qui s’est aussi prolongé en coulisses, a révélé une certaine animosité et agressivité, certains dans l’auditoire demandant des comptes quant à l’oubli de nommer les choses par leur nom, à savoir le génocide en cours à Gaza.

Elias Sanbar et Dominique Sanbar

Conversation avec Elias Sanbar (6) historien, poète, essayiste et traducteur, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco et Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la Nouvelle Revue Française. Né en 1947 à Haïfa – en Palestine mandataire, actuel Etat d’Israël – Elias Sanbar était le traducteur du grand poète Mahmoud Darwich / محمود درويش, disparu en 2008. Il ouvre la séance sur sa parole : « L’exil a été généreux » disait-il, et Elias Sanbar se reconnaît dans cette parole. Il donne pour référence Edward Wadie Saïd / إدوارد وديع سعيد, universitaire, théoricien littéraire et critique palestino-américain qui, en 1998, faisait le récit de ses années de formation : « Je suis né à Jérusalem et j’y ai passé la plupart de mes années d’écolier, ainsi qu’en Égypte, avant mais surtout après 1948, quand tous les membres de ma famille sont devenus des réfugiés… » La langue maternelle on ne vous l’apprend pas, poursuit-il. sa famille avait une grande fierté de la langue arabe.

Elias Sanbar dit être retourné en Palestine pour la première fois en 1984 voir sa maison natale. Il est retourné à la frontière pour refaire à l’envers le parcours qu’avait fait sa mère en le portant, avec le besoin de le reprendre pour l’effacer. Et il se souvient de son père lui disant : « Ouvre-toi à tout ce qui t’entoure là où tu seras. » Et s’il parle de transmission à sa famille il dit simplement « ils se sont emparés du sujet. » En 1981 il a participé à la fondation de la Revue d’études palestiniennes, écrit de nombreux articles et ouvrages, dont en 2010 le Dictionnaire amoureux de la Palestine. Dominique, son épouse, a lu le texte qu’un Indien avait énoncé à Seattle en 1999 lors de la seconde réunion ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) – qui fut un échec retentissant : « Des gravats de notre terre nous verrons notre terre, laissez donc un sursis à la terre. Il y a des morts dans nos champs qui éclairent la nuit des papillons… » Et pour conclure avec la langue, Elias Sanbar dit se reconnaitre deux premières langues : « Je suis devenu Français par la langue, et j’ai une histoire amoureuse avec la langue arabe » comme il se reconnaît aussi deux lunes, « l’une dans le ciel, l’autre dans l’eau qui marche. »

Le choix du Festival d’Avignon et de son directeur, Tiago Rodrigues s’était porté pour cette 79ème édition sur la langue arabe, en soi ce fut déjà une superbe idée et qui collait à l’affligeante actualité de la guerre à Gaza. On peut regretter l’absence de textes dramatiques qui se sont trouvés réduits à leur plus simple expression – j’en vois deux, Chapitre 4 du Syrien Wael Kadour (cf. Ubiquité-Cultures du 27 juillet 2025) et Yes Daddy, des Palestiniens Bashar Murkus et Khulood Basel (cf. Ubiquité-Cultures du 29 juillet 2025). En revanche on a pu apprécier de nombreux gestes chorégraphiques forts venant de différents pays de la Méditerranée et du Moyen-Orient – rapportés dans nos différents articles du mois de juillet 2025 – et des débats de très haute qualité tels que nous en rapportons une partie ci-dessus, et qui donnent du grain à moudre. En cela, la 79ème édition fut réussie, autour du concept proposé, معاً Ensemble !

Brigitte Rémer, le 31 juillet 2025

Débats, au Cloître Saint-Louis, Festival d’Avignon, dans le cadre du Café des idées et en partenariat – (1) Dimanche 6 juillet à 11h30, Comment j’ai perdu ma langue, avec Nabil Wakim, journaliste, en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe – (2) Mardi 8 juillet, à 10h, The Resistance Tour : comment les organisations culturelles publiques font-elles face à la montée des extrêmes ? avec Hortense Archambault, directrice de la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis / MC93 de Bobigny – Ahmed El Attar, auteur, metteur en scène et directeur du Festival D-Caf (Le Caire) – Argyro Chioti, autrice, metteuse en scène et directrice du Théâtre national de Grèce (Athènes) – Milo Rau dramaturge et metteur en scène de La Lettre, directeur artistique du Wiener Festwochen (Vienne) – en partenariat avec le Wiener Festwochen – (3) Mercredi 9 juillet à 10h, Conversation avec Leïla Slimani, écrivaine, et Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la Nouvelle Revue Française – en partenariat avec La NRF – (4) Dimanche 13 juillet à 11h30, Une langue arabe ? Des langues arabes ? Des origines à la pluralité, avec Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe – Tiago Rodrigues, metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon – Nisrine al-Zahre, directrice du Centre de Langue et Civilisation Arabes à l’IMA – Pierre Larcher, linguiste, professeur à l’Université d’Aix-Marseille Jean-Baptiste Brenet, philosophe, spécialiste de philosophie arabe et latine, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne – Ibrahim Akel, enseignant, Département d’études orientales, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle – en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe et l’Agence Française du Développement/AFD – (5) Mardi 15 juillet à 12h, Proche-Orient, les conditions de la paix, débat organisé par la Licra/Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, avec Ofer Bronchtein, président et co-fondateur du Forum international pour la paix – Eva Illouz, sociologue – Alain Blum membre du Bureau exécutif – Abraham Bengio, président de la Commission Culture – (6) Mercredi 16 juillet à 10h30, Conversation avec Elias Sanbar, historien, poète et traducteur, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco et Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la Nouvelle Revue Française, en partenariat avec La NRF – crédit photo © Brigitte Rémer.

La Distance

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues (Portugal-France) – traduction en français Thomas Resendes, en anglais, Daniel Hahn, spectacle présenté en français, surtitré en anglais – avec Alison Dechamps et Adama Diop – création Festival d’Avignon 2025, à L’Autre Scène du Grand-Avignon / Vedène.

© Christophe Raynaud de Lage

La distance est kilométrique puisque l’un est sur terre et l’autre sur Mars, elle est aussi l’espace-temps entre deux générations, un père, Ali, médecin et sa fille, Amina, elle est celle d’un autre regard sur le monde et sur la vie, un angle de vue différent, vu du haut vu du bas. C’est un conte parfaitement cruel, une dystopie.

L’homme (Adama Diop) est sur scène quand le public s’installe, veste et pantalon bruns, cravate, il semble lointain, perdu dans ses pensées, il touche l’écorce de l’arbre tombé au sol et entremêlé à un autre, d’un bois différent, au sol de même, en fait une belle sculpture. Une musique lointaine nous parvient, percussions feutrées, harmonica, bâton de pluie. Un vinyle tourne sur son électrophone, il l’écoute puis le range.

© Christophe Raynaud de Lage

Ali dicte un message, en réponse à celui qu’il a reçu de sa fille (Alison Dechamps) après un long temps de silence et qui évoque une traversée. Elle dit avoir décidé de son grand voyage, sûre de construire ailleurs, une vie meilleure. Elle est en route. On est en 2077, Mars attire les utopistes et là-bas l’herbe est plus verte. Au début l’homme n’y croit pas, il croit connaître sa fille. La seule consigne qu’il ait reçue d’elle pour la contacter est d’envoyer des messages, selon une procédure très balisée et contrainte. Alors il se pose mille questions et se demande pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi cette décision de partir, sans le prévenir et sans un adieu.

Il lance une première bouteille à la mer, son premier message, pour vérifier ses intentions et comprendre où elle se trouve réellement. Une anecdote de l’enfance lui revient quand elle avait sept ans et il la lui raconte, une séquence de vacances à la mer qui aurait pu mal tourner, où elle avait pris des risques d’une manière inconséquente dans un geste qui pourrait s’apparenter à un suicide. Lui avait été submergé par l’idée de la perdre, il se souvient de sa grande détermination. « Je t’aime. Prends soin de toi » conclut-il. Fin du message.

© Christophe Raynaud de Lage

La pièce repose sur ces envois de messages, allers-retours entre père et fille. La structure scénographique tourne, de sorte que la jeune femme habillée d’une tunique blanche bordée d’une grande bande or (Alison Dechamps) apparaît de l’autre côté, naturellement, sans aucune illustration ni fioriture, c’est très bien réalisé (scénographie de Fernando Ribeiro). Amina est incarnée, on la croit proche, elle est sur Mars et regarde la terre qui paraît bien petite à travers un globe de verre transparent. Elle décrit sa vie quotidienne, son nouveau cadre de vie qui ressemble à une sorte d’embrigadement sectaire, elle évoque la masse musculaire perdue sur mars, la nourriture, la manière de respirer, les travaux qu’elle exécute. Elle parle d’égalitarisme, de protocoles à respecter, de règles strictes et d’un bruit continu. Lui accuse le coup, pleure, hurle comme un loup meurtri et ne vit qu’au rythme des nouvelles qu’il reçoit.

L’envoi des messages s’accélère et décélère selon le contenu de la discussion. « Salut papa ! » Elle poursuit sur son quotidien, il plonge dans les photos et les souvenirs, cherche à la raccrocher à la vie, la vraie vie pour qu’elle fasse machine arrière et décide de rentrer. « Chère Amina… » Il lui parle des études à Sidney qu’elle avait entreprises, de la plage des sables rouges remplie de méduses, plus tard de son cheval Mistral, qui s’était emballé. « « Sur les photos, ton regard était au-delà… » Il use de beaucoup de diplomatie, comme il le peut, pour conserver ce fragile lien entre eux. Elle rassure son père mais son choix est sans retour, et si elle reconnaît que le milieu où elle vit est hostile, elle confirme qu’il correspond à son choix. « Ici nous voulons construire avec de nouvelles pierres » dit-elle.

© Christophe Raynaud de Lage

Ali parle du quatrième effondrement sur terre, Amina de son choix de faire partie de ces oubliantes, comme on les nomme là-bas. Au bout d’un certain nombre de jours sa mémoire s’effacera. On ne parle pas d’ordinateurs mais d’humains. Il reste 320 jours avant la conjonction. La dramaturgie suit le compte à rebours des jours qui restent jusqu’à ce moment où ils devront se quitter, se dire adieu, pour toujours. Les « Salut papa ! » succèdent aux réponses « Mon soleil prend soin de toi ! » Il tente de lui écrire une lettre, qui pose beaucoup de questions et structure son discours, il la lui lit. Les questions portent principalement sur les étapes du protocole d’oubli, phénomène irréversible. « Tu vas m’oublier aussi ? » demande-t-il. « Je t’aime, papa ! »  Il lui fait écouter le vinyle et tous deux se mettent à danser, dans une correspondance de gestes d’une planète à l’autre, mouvements émouvants portés par le plateau tournant qui n’ira qu’en accélérant, comme le temps. Le père tente d’inventer tout ce qu’il peut, espérant jusqu’au bout lui donner l’envie de faire marche arrière et de rentrer. « Les arbres ne te manquent pas ? »

La cruauté va crescendo quand Amina apprend à son père qu’elle est « en train d’inventer une vie » par une relation qui lui a été déléguée. Décomposé, il lance « c’est de la folie ! »  Puis elle fait silence un moment sans donner de nouvelles. Le compte à rebours se poursuit, 66, 65, 62 jours… Il lui fait entendre la chanson préférée de sa mère, dans sa langue. Amina pose alors la question qui la taraude : « Où est ma mère ? » L’homme raconte. La mère est morte il y a douze ans, au début du second effondrement. On vivait dans son pays. La marée l’a emportée. Père et fille échangent sur ce dont elle ne se souvient déjà plus. Le dispositif scénique tourne de plus en plus vite et tout s’emballe ils font face à une sorte de big band jusqu’à ce qu’elle le regarde sans le reconnaître : « Qui êtes-vous ? » lance-t-elle. La cruauté est à son comble. Ali hurle à l’attention de sa fille : « Je veux te voir ! » La lumière devient jaune. Les notes du saxophone enflent. Elle est étendue au sol. Lui est seul.

© Christophe Raynaud de Lage

Il lit le début d’une lettre dont elle n’aura jamais connaissance : « Début du message… C’est notre dernier message… » Il raconte l’oubli, la grande distance, il la félicite pour le monde meilleur auquel elle croit et dans lequel elle est partie. « Oui ton absence me fait souffrir. Adieu, mon soleil ! » Fin de message. Il pleure et met sa chanson préférée, ramasse une à un les photos de sa fille, qui l’ont aidé à vivre. Le dispositif tourne lentement. La tunique d’Amina est accrochée à une branche. La dernière image la montre assise en haut d’un rocher partie du dispositif comme si elle chevauchait Mistral, son cheval, pour une destination inconnue. Lui est assis et tout s’immobilise.

La Distance, est un texte d’une grande force et parfaite cruauté, le travail des acteurs y est juste et précis : une jeune femme radieuse dans la nouvelle vie qu’elle se construit, sous liberté surveillée, frôlant l’absurde – Alison Dechamps, avec beaucoup de naturel – un père de grande sensibilité dans son désarroi, émouvant dans les signes de la mémoire qu’il met en marche proportionnellement inverses à ceux qu’émet sa fille, qui se démet des siens – Adama Diop, magnifiquement -. Tous deux nous tiennent en haleine et émotion. Avec ce spectacle, Tiago Rodrigues offre une superbe métaphore de la vie et de la mort, de l’espoir d’une autre vie et de l’ailleurs, des illusions et de la réalité, des relations entre père et fille, de l’absence. Comme dans ses spectacles précédents, l’acteur-metteur en scène, directeur du Festival d’Avignon interroge le monde où il dessine des lignes tremblées qu’il propose d’emprunter. Du théâtre, il donne sa définition : « Je pense avant tout que le théâtre est aussi vrai que nous respirons. Personne n’a décidé de la fonction de la respiration ! Le théâtre fait partie de l’aventure humaine comme le silence ou la capacité d’être touché par le vol d’un oiseau. Sa particularité, c’est qu’une fois la représentation terminée, nous passons rapidement de la poésie à la réalité. » Alors, gardons la poésie ! Fin de message.

Brigitte Rémer, le 29 juillet 2025

Avec : Alison Dechamps, Adama Diop – sénographie Fernando Ribeiro – costumes José António Tenente – lumière Rui Monteiro – musique Pedro Costa – collaboration artistique Sophie Bricaire – assistanat à la mise en scène André Pato. Production Festival d’Avignon – coproduction Teatro stabile di Napoli Teatro Nazionale (Naples), Onassis Stegi (Athènes), La Comédie de Clermont-Ferrand Scène nationale, Divadlo International Theatre Festival, Le Volcan Scène nationale du Havre, Teatre Lliure (Barcelone), Centro Dramatico Nacional (Madrid), Malakoff scène nationale Théâtre 71, Culturgest (Lisbonne), De Singel (Anvers), Équinoxe Scène nationale de Châteauroux, Points communs Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise, Piccolo Teatro di Milano Teatro d’Europa (Milan), Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, NTCH Taiwan National Theatre and Concert Hall, Les Célestins Théâtre de Lyon, Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence), Théâtre de Grasse Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création, Scènes et Cinés Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire (Istres), Le Bateau Feu Scène nationale de Dunkerque, Plovdiv Drama Theater, Malta Festival (Poznan), Espace 1789 (Saint-Ouen) Avec le soutien du dispositif d’insertion de l’Ecole du TNB – Théâtre National de Bretagne et pour la 79e édition du Festival d’Avignon : Spedidam -Production déléguée du Festival d’Avignon – Résidence La FabricA du Festival d’Avignon

© Christophe Raynaud de Lage

Du 7 au 8 juillet, du 11 ai 16 juillet, du 18 au 23 juillet, les 25 et 26 juillet 2025, à 12h, L’Autre Scène du Grand-Avignon / Vedène – Festival d’Avignon : tél. : +33 (0)4 90 14 14 60 Billetterie au guichet, en ligne ou par téléphone : +33 (0)4 90 14 14 14 – site : www.festival-avignon.com

En tournée : 10 et 11 septembre 2025, Divadlo International Theatre Festival, Pilsner (Tchéquie) – 17 et 18 septembre 2025, Plovdiv Drama Theatre, Plovdiv (Bulgarie) – 3 octobre 2025, Malakoff Scène nationale / Théâtre 71, Malakoff (France) – 10 et 11 octobre 2025, De Singel, Anvers (Belgique) – 15 au 17 octobre 2025, Le Maillon Théâtre de Strasbourg/Scène européenne, Strasbourg (France) – 22 au 24 octobre 2025, Teatro stabile di Napoli, Naples (Italie) – 5 au 7 novembre 2025, La Comédie de Clermont-Ferrand Scène nationale (France) – 13 au 23 novembre 2025, Théâtre Vidy, Lausanne (Suisse) – 26 et 27 novembre 2025, MC2, Grenoble (France) – 1er décembre 2025, Équinoxe / Scène nationale de Châteauroux (France) – 15 au 18 janvier 2026,  Centro Dramatico Nacional, Madrid (Espagne) – 21au 25 janvier 2026, Teatre Lliure, Barcelona (Espagne) – 29 et 30 janvier 2026, Le Bateau Feu / Scène nationale de Dunkerque (France) – 3 et 4 février 2026, Le Volcan/ scène nationale du Havre (France) – 7au10 mai 2026, Onassis Stegi, Athènes (Grèce) – 15 et 16 mai 2026, Piccolo Teatro di Milano/Teatro d’Europa, Milan (Italie) – 21 et 22 mai 2026, Théâtre de Grasse, Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création, Grasse (France) – 27 et 28 mai 2026, Scènes et Cinés/Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire, Istres (France) – 2 et 3 juin 2026,  Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence (France).

 

  معاً  / Ensemble

Le Festival d’Avignon se tiendra du 5 au 26 juillet 2025 sous une bannière qui, au-delà des trois clés qui le symbolisent, inscrira en arabe sur les murs des théâtres et trottoirs de la ville le mot Ensemble choisi par le directeur et son équipe, et qui se traduit littéralement par Avec. Depuis trois ans, chaque année, le Festival choisit une langue qu’elle promeut. Après l’anglais et l’espagnol, cette 79ème édition met la langue arabe sur le devant de la scène.

© 79è édition du Festival d’Avignon

« Je suis toi dans les mots / أنا أنت بالكلمات » cette phrase empruntée au poète palestinien Mahmoud Darwich, disparu il y a plus de vingt-cinq ans et référence majeure des Pays Arabes, inspire Tiago Rodrigues qui programme sa troisième édition et pourrait l’inscrire en lettres d’or ou de néon sur les frontons, comme il l’a dit aux journalistes rassemblés – belle initiative – à l’Institut du Monde Arabe.

C’est le Président de l’IMA, Jack Lang, « fanatique pluri-linguiste de toutes les langues » qui ouvre la séance, magnifiquement, avec des mots chaleureux et pleins de sens, en présence du Dr. Ali Bin Tamim, directeur du Centre de langue arabe d’Abu Dhabi. Il parle de cette cinquième langue la plus pratiquée dans le monde, une langue très ancienne, poétique et musicale, d’une grande richesse et qui construit une galaxie de mots à partir d’une unique racine. Et il prend pour exemple le mot amour décliné en une multiplicité de nuances selon les situations, à partir de sa racine, hob / حب

Il parle également de l’emprunt de la langue française à la langue arabe, des chiffres arabes qu’on utilise, des Mille et Une Nuits qu’Antoine Galand, orientaliste et professeur de langue arabe au Collège de France, traduisit pour la première fois en occident et qu’il compléta par des récits qui lui avaient été racontés et publia au début du XVIIIème. La présidente du Festival et ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen intervient ensuite. Elle a une longue histoire avec la langue arabe – via Farouk Mardam-Bey qui dirige la collection Sinbad d’Actes-Sud – éditions qu’elle a co-fondées avec son père. Né à Damas, il vit en France depuis 1965, et fut conseiller culturel à l’Institut du monde arabe.

Apparaît ensuite Tiago Rodrigues, directeur du Festival, qui met en exergue ce choix de la langue arabe pour cette édition, s’inscrivant comme un geste de liberté, de découverte, de plaisir de l’art, de respect de l’Autre et de partage de la pensée, et qui se réalisera grâce aux sept cents salariés engagés dans l’aventure. 20 lieux, 15 communes autour d’Avignon, 44 projets artistiques dont les deux-tiers produits ou co-produits par le Festival et la moitié créés en France, 300 événements, 121 000 places à vendre, des actions de formation et transmission et l’accueil de nombreux jeunes de 13 à 19 ans, des partenariats exemplaires et une diversité artistique pour une parenthèse enchantée.

Tiago Rodrigues © Festival d’Avignon

La liste est longue qui permet de mettre l’eau à la bouche pour ces instants de partage dans tous les lieux du Festival, dedans et dehors, autour de manifestations finement pensées et qui, à coup sûr, seront tout aussi finement conduites et réalisées autour de spectacles, lectures, concerts, expositions, tables rondes et débats, itinérances, rencontres festives… Tiago Rodrigues présente ensuite les spectacles et manifestations, appuyés par quelques mots de chaque créateur, sur écran. Il n’oubliera pas, au final, ce qu’il appelle avec justesse le slam des remerciements à tous les partenaires.

Le lancement du Festival dans la Cour d’Honneur se fera avec Nôt de Marlène Monteiro Freitas, artiste d’origine cap verdienne, dite artiste complice de l’édition et figure majeure de la scène chorégraphique internationale ; la clôture se fera avec le concert Soma de l’artiste portugais João Barbosa autrement appelé Branko. En avant-première, le 4 juillet à 19h, la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen investira le parvis du Palais des Papes avec des amateurs du territoire, pour une performance participative, They always come back, célébrant la diversité.

Cour d’Honneur © Festival d’Avignon

Suit une grande liste de propositions, toutes plus séduisantes les unes que les autres, à commencer par La Voix des femmes, en partenariat avec Le Printemps de Bourges, autour de la figure de la légendaire chanteuse égyptienne Oum Khalthoum, appelée l’Astre d’Orient, ou Quatrième Pyramide, dans la Cour du Palais des Papes le 14 juillet. L’auteur-compositeur libanais Zeid Hamdan en assure la direction musicale pour marquer les cinquante ans de sa disparition. Et le lendemain, une célébration poétique de la langue arabe, Nour/Lumière, est programmée au cours d’une soirée réalisée en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe. La richesse de cette langue, savante et poétique, prendra de nombreuses formes, de l’antéislamique au raï, des maqâm originels au rap, de la musique soufie à l’arabo-andalou. Suivront de nombreux spectacles comme Yes Dady ! de l’auteur et metteur en scène palestinien Bashar Murkus dont on avait vu Hash en 2021 (cf. notre article du 26 novembre 2021) et qui avait présenté Milk au Festival d’Avignon 2022 programmé par Olivier Py, alors directeur ; il est accompagné de Khulood Basel pour la dramaturgie et la production. Chapitre quatre de Waël Kadour, auteur et metteur en scène syrien sera présenté dans le cadre de la manifestation Vive le sujet ! Tentatives, réalisée en partenariat avec la SACD. Des chorégraphes comme Ali Chahrour (Liban), Radouan Mriziga (Maroc-Belgique), Selma et Sofiane Ouissi (Tunisie), Mohamed Toubakri (Tunisie-Belgique) présenteront leurs dernières pièces.

De nombreux artistes venant de partout dans le monde complètent la programmation diversifiée et ambitieuse du Festival, dont le retour de Thomas Ostermeier et la Schabühne de Berlin avec Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen ; la danoise Mette Ingvartsen, dans une nouvelle chorégraphie, Delirious Night ; les performers portugais Jonas et Lander ; Mami de Mario Banushi, spectacle albano-grec. Une soirée particulière autour de Brel réinventé par Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte est proposée dans la Carrière de Boulbon. De Suisse, Christoph Marthaler présentera Le Sommet et Milo Rau en nomade, tournera sur les terres avignonnaises avec La Lettre. La chanteuse capverdienne Mayra Andrade tentera de ré-enchanter le monde.

© 79è édition du Festival d’Avignon

Beaucoup d’artistes français ou vivant en France sont aussi au générique du Festival dont François Tanguy du Théâtre du Radeau en ses deux derniers spectacles, Item et Par autan ; Tamara Al-Saadi, Jeanne Candel, Frédéric Fisbach, Clara Hédouin, Joris Lacoste, Gwenaël Morin, Émilie Rousset. Israël Galvan en duo avec Mohamed El Khatib, deux chemins artistiques a priori éloignés créeront Israël et Mohamed (Espagne-France). Tiago Rodrigues (Portugal-France) présentera un texte qu’il a écrit et mettra en scène, La Distance.

Telles sont les grandes lignes de l’édition qui se prépare. Comme le dit avec passion le Directeur du Festival d’Avignon, soyons Ensemble pour chercher les nouvelles formes d’un monde en crise, autour de la danse, la musique et le chant, le théâtre et les écritures, les arts visuels, autour de la langue arabe poétiquement portée, haut et fort. « Mais je poursuivrais le cours du chant, même si plus rares sont mes roses » écrivait Mahmoud Darwich.

Brigitte Rémer, le 5 avril 2025

La conférence de presse s’est tenue le 4 avril à Avignon et le 5 avril à l’Institut du Monde Arabe. Le Festival d’Avignon se déroulera du 5 au 26 juillet 2025. La billetterie électronique a ouvert ce matin, 5 avril à 11h sur www. festival-avignon.com et fnacspectacles.com –

À partir du 21 juin : par téléphone, de 10h à 19h (33(0) 4 90 14 14 14) – au guichet, du mardi au samedi, de 10h à 14h et de 16h à 19h, 20 rue du Portail Boquier, Avignon.

Antoine et Cléopâtre

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues, avec des citations d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare – interprétation Sofia Dias et Vítor Roriz, compagnie Mundo Perfeito – au Théâtre de la Bastille.

© Magda Bizarro

Un grand mythe et deux noms inséparables, comme Roméo et Juliette, le politique en plus ; des images du film de Josef Mankiewicz avec Elizabeth Taylor et Richard Burton, en 1963 ; Shakespeare s’inspirant de Plutarque dans sa Vie de Marc Antoine, autant d’images de ce couple emblématique nous habitent. De nombreux compositeurs ont chanté cette reine d’Égypte, Haendel, Massenet, Berlioz, John Adams et tant d’autres, le mythe de l’Égypte ancienne reste au zénith.

Loin de tout drame historique, avec Sofia Dias et Vítor Roriz, duo d’artistes travaillant ensemble depuis une vingtaine d’années, Tiago Rodrigues nous emmène dans la réminiscence, le vis-à-vis, l’effet miroir, le double, les ombres. On est dans le mouvement perpétuel où deux êtres se cherchent, se frôlent, se réinventent à chaque moment.

© Magda Bizarro

La scène est recouverte d’une toile d’un gris très clair marbré, au sol et sur le mur de fond de scène. Côté jardin, un immense mobile rappelant Calder tourne imperturbablement, ses facettes jaune et bleu lancent leurs reflets et donnent le mouvement, tel un métronome. Côté jardin, une platine et le disque vinyle de la bande originale du film de Mankiewicz tourné en 1963 et signée Alex North que les danseurs-acteurs régissent eux-mêmes et dont la pochette nous fait face (scénographie Ângela Rocha).

« Antoine voit » lance Cléopâtre, « Cléopâtre voit » répond Antoine en écho, le travail repose sur cette frontière floue entre un homme et une femme qui se cherchent. Sur ce même principe de la répétition et du ressassement, le texte se dit, par bribes, et se déplace au fil du langage corporel et chorégraphique, comme une spirale. Elle, raconte ses visions, le meurtre, la corde teintée de sang, le nœud. Il regarde. Lui, voit son propre corps allongé, transpercé par son épée. « L’Égypte est ma prison » déclare-t-il avant que leurs bras ne s’imbriquent et que leurs mains ne se touchent. Ils entrent dans le présent et peu importe l’avenir.

Les mots sont comme un tremblement, à peine suggérés, balisant pourtant l’histoire, avec une Cléopâtre déguisée en esclave, un Antoine jouant aussi à l’esclave selon les subterfuges imaginés. « Cléopâtre plonge dans les eaux du Nil. Antoine plonge dans les eaux du Nil. Antoine respire, Cléopâtre respire… » La tension dramatique est bien là. Cléopâtre fait un cauchemar et le partage dans la lumière jaune. Elle est au Palais (création lumière Nuno Meira).

© Magda Bizarro

Dans un savant entrelacement de gestes et de mots défilent le désert et le Nil, le dégradé des sentiments, les tentatives, la présence-absence. Le bracelet en forme de serpent donne son pouvoir, tous les attributs y sont et les espaces-temps se mêlent comme se révèle leur désir. Le jeu politique en coulisses conduit à la distance ensuite et à la mort, si proche. « J’appartiens à ton passé » lance Cléopâtre, seule à Alexandrie et qui se sent délaissée alors que lui est à Rome et épouse Octavie, fille de Jules César avec qui elle  avait eu une relation passionnelle et un fils, rapprochant son pays et le monde romain. C’est après, que Cléopâtre avait débuté sa relation avec Marc Antoine. Puis les rôles se mélangent, davantage encore, avec l’intervention du messager. « Antoine va bien. Il s’est marié… »

Reprise du texte comme un disque rayé, mort d’Antoine, suivie d’une liste de mots dérivés comme si la folie s’était glissée par-là : mon amour, mort d’Antoine, mot d’amour… Doucement, du sang, puissant, puissante, poison, poisson, un oiseau ! La vie, l’envie, s’en va, la vie, ça va, avance, suspend, le sergent, serre-moi, les romances, les romains… La main, la fin, le vin… C’est du sang, séduisant, c’est lui, c’est l’ennemi… C’est la nuit de sa vie qui s’enfuit…» un torrent de mots dignes des recherches de l’Oulipo sur fond de la mort de Cléopâtre, suicide vraisemblable… « Je meurs, Égypte ! »

Basés à Lisbonne, les deux acteurs-danseurs Sofia Dias et Vítor Roriz développent un langage corporel épuré, énigmatique et la dérive du mot qui caresse puis blesse. Ils expérimentent, créant en un seul mouvement, ininterrompu, la douceur et la fluidité, un monde onirique aux frontières du rêve. Il y a quelque chose de lumineux dans ce spectacle si sobre, si évident et si élégant, comme une synchronisation où l’un est le réflecteur de l’autre tout en étant son reflet et son écho.

La finesse du travail qu’ils réalisent avec Tiago Rodrigues comme chef d’orchestre est admirable. L’acteur, metteur en scène, dramaturge et producteur portugais, actuellement directeur du Festival d’Avignon, casse les codes et reconstruit le sens. Il permet la rencontre entre les arts et les pays et défie nos perceptions. C’est de la haute-voltige !

Brigitte Rémer, le 6 mars 2025

Avec : Sofia Dias et Vítor Roriz, compagnie Mundo Perfeito – scénographie Ângela Rocha – costumes Ângela Rocha et Magda Bizarro – création lumière Nuno Meira – musique extraits de la bande originale du film Cléopâtre (1963), composée par Alex North – collaboration artistique Maria João Serrão et Thomas Walgrave – traduction française Thomas Resendes – construction du mobile Decor Galamba – direction technique et régie lumière Cárin Geada – régie générale Catarina Mendes. Production déléguée Otto Productions – Nicolas Roux Production exécutive de la création originale Magda Bizarro et Rita Mendes. Une création originale de la compagnie Mundo Perfeito (2014), avec le soutien du Gouvernement Portugais et DGArtes, coproduction Centro Cultural de Belém, Centro Cultural Vila Flor et Temps d’Images – résidence artistique Teatro do Campo Alegre et Teatro Nacional de São João. Avec le soutien du Museu de Marinha
Remerciements Ana Mónica, Ângela Rocha, Carlos Mendonça, Luísa Taveira, Manuela Santos, Rui Carvalho Homem, Salvador Santos et Bomba Suicida www.ottoproductions.fr

Du 27 février au 14 mars 2025, à 20h, samedi à 18h, relâche le dimanche – Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. 75011. Paris – site : www.theatr-bastille.com – tél. : 01 43 57 42 14 –

Festival d’Avignon 2024

Le Festival d’Avignon déroulera sa 78ème édition du 29 juin au 21 juillet 2024 dans la Cité des Papes et alentours. Tiago Rodrigues, directeur, en a révélé la programmation au cours d’une conférence de presse à Avignon, puis à Paris le 4 avril, au Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier.

Tiago Rodrigues, assisté d’artistes et d’économistes passionnés de théâtre et de culture, de son équipe, dévoile la programmation de cette édition, dans un esprit de partage, énergie et conviction, dans le droit fil de ce que voulait Jean Vilar en le fondant, en 1947. Comment le faire ensemble ? pose-t-il.

Il est accompagné de Boris Charmatz, chorégraphe complice, qui traversera par ses créations l’ensemble du Festival. Ce dernier est aujourd’hui directeur du Tanztheater Wuppertal fondé et inventé par Pina Bausch et a pris le relais de l’immense travail qu’elle avait accompli. Il présentera trois spectacles : Cercles, restitution d’ateliers en plein air, Liberté Cathédrale chanté et dansé par le Tanztheater Wuppertal et son équipe expérimentale Terrain en version plein air et Forever, qui revisitera l’emblématique Café Müller de Pina Bausch.

21 lieux, 15 communes du Grand Avignon, 37 projets artistiques dont 21internationaux, 219 représentations, sont au générique. 83% des spectacles programmés sont des créations. De France, les spectacles de Séverine Chavrier (Absalon, Absalon !), Caroline Guiela Nguyen (Lacrima), Lorraine de Sagazan (Léviathan), Gwenaël Morin (Quichotte), Mohamed El Khatib (La vie secrète des vieux), Baptiste Amann (Lieux communs), et de Noé Soulier pour la danse (Close L’p).

La programmation nous mène aussi au sud de l’Europe en Espagne et au Portugal, ainsi qu’en Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Suisse, spectacles dans lesquels la France est souvent partenaire. De Pologne, Krzystof Warlikowski présente Elizabeth Costello/sept leçons et cinq contes moraux et Marta Gornicka fait entendre, dans la Cour d’Honneur, un chœur de femmes d’Ukraine, Pologne et Biélorussie, Mothers A Song for Wartime, avec pour message : continuez à nous regarder ! Tiago Rodrigues met en scène Hécube, pas Hécube d’après Euripide, une ré-écriture libre pour la Comédie-Française ; l’ouverture du Festival, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, est confiée à Angelica Liddell qui présentera Dämon, El funeral de Bergman autour de la figure du célèbre réalisateur Ingmar Bergman.

Troisième volet de la programmation et non des moindres des spectacles venant d’Amérique Latine : d’Argentine, spectacles de Lola Arias, Tiziano Cruz et Mariano Pensotti ; du Chili, un spectacle de Malicho Vaca Valenzuela ; du Pérou, un spectacle de Chela De Ferrari ; de l’Uruguay deux spectacles, l’un de Gabriel Calderón, l’autre de Tamara Cubas.

Comme à l’accoutumée la SACD soutient les artistes avec son programme « Vive le sujet ! Tentatives » et présente Un ensemble (morceaux choisis) de Anna Massoni, et Le Siège de Mossoul, de Félix Jousserand ; Canicular, de Rebecca Journo et Trace… de Michael Disanka et Christiana Tabaro, de République Démocratique du Congo ; Méditation de Stéphanie Aflalo et Baara, de Tidiani N’Diaye, du Mali.

De nombreuses autres initiatives permettant d’Être ensemble selon la devise du Festival, sont proposées : des lectures – comme avec le programme Talents ADAMI au Musée Calvet – des projections – particulièrement dans les cinémas Utopia de la ville – des rencontres, ateliers et master class – notamment une école d’été, Transmission impossible, pour cinquante jeunes dont dix boursiers étrangers à l’Église des Célestins, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès et Mathilde Monnier –  le Café des idées, espace de partage et découverte, lieu des prises de paroles et de réflexion qui, tout au long du Festival invite à des rencontres, conférences et ateliers au Cloitre Saint-Louis sur les thèmes liés à la littérature, le théâtre et les arts. Nous en avons eu un premier volet ce jour en première partie de l’annonce de programmation, Jérôme Saddier, président du Crédit Coopératif qui soutient fortement le Festival, pilotait une table ronde sur le thème Inspirer nos transformations.

Cette édition du Festival d’Avignon signe une programmation riche, ouverte, pluridisciplinaire et pluriculturelle, dessine des lieux d’échanges et de rencontres, de transmission et de débats, pour tous les publics et dans l’esprit d’accueillir de belles découvertes grâce à de nombreux partenaires. Deux expositions-installations complètent la proposition, l’une est un hommage à Alain Crombecque, directeur du Festival d’Avignon de 1985 à 1992, puis directeur du Festival d’Automne de 1992 à 2009, On ne fait jamais relâche ; l’autre, Monte di Pietà, de Lorraine de Sagazan et Anouk Maugein. Et comme le rappelle Tiago Rodrigues et son équipe, « c’est le public qui fait le Festival. »

Brigitte Rémer, le 12 avril 2024

Festival d’Avignon, 20 rue du Portail Boquier, Avignon – site : festival-avignon.com dès maintenant – tél. 04 90 14 14 14, à partir du 22 mai, du mercredi au samedi, de 13h à 19h – à partir du 25 mai au Guichet du Cloitre Saint-Louis, du mercredi au samedi, de 13h à 19h (adresse ci-dessus) et dans les magasins Fnac – à partir du 24 juin,  guichet et téléphone, tous les jours de 10h à 19h – à partir du 29 juin, pendant le Festival, ventes arrêtées 5 heures avant les spectacles et reprise sur chaque lieu, 1 heure avant le spectacle.

Entre les lignes

© Mariano Barrientos

Une création artistique de Tiago Rodrigues et Tónan Quito – texte Tiago Rodrigues, en français et portugais surtitré – avec Tónan Quito – à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet.

Quand avons-nous perdu la parole ? Telle est la question que pose le spectacle s’entourant de Sophocle et de l’absurde, sur les pas d’Œdipe et sur ceux de la création. La rencontre se passe au sommet de l’Athénée-Louis Jouvet dans la petite salle écrin Christian Bérard – du nom du scénographe de Louis Jouvet – en parfaite antithèse avec l’acteur basket survêt prêt à engager la conversation comme sur un coin de frigo, au bistrot du coin.

Même grand écart entre la métaphore de la cité grecque, déserte, et le sens de notre époque, ici dans les péripéties de l’attente d’un texte à jouer et qui ne vient pas, celui de Tiago Rodrigues et de l’échange entre l’auteur et l’acteur, Tónan Quito. Grand écart entre les yeux perdus d’Œdipe après le meurtre du père, ceux a priori mal en point de l’auteur, ceux de l’acteur via ses lunettes dans sa peur solitaire de l’absence et du vide, faute de matière première, le texte. Tónan Quito jongle entre deux langues, la sienne le portugais, qui se surtitre sur écran et le français, pour l’adresse au public. Autour de lui et comme dans une cellule une table et une chaise, puis quatre néons à enjamber posés au sol et qui fragmentent l’espace.

La quête d’Œdipe nous mène jusqu’au Mozambique en 1960 par un exemplaire de l’ouvrage trouvé dans la bibliothèque du centre pénitencier de Lisbonne. Tiago et son texte ont disparu ? Qu’à cela ne tienne, Tónan nous lit ce mythe d’Œdipe et, entre les lignes, en écriture parallèle, la lettre d’un prisonnier ayant tué son père, adressée à sa mère. « Je me suis condamné à vivre dans son ombre pour le restant de mes jours, en ne le voyant plus je parviendrai peut-être à l’oublier. »  L’écriture du prisonnier est entrelacée dans les mots d’Œdipe-Roi, comme si, à tant de siècles d’écart, les destins s’étaient rejoués de la même façon.

L’acteur prend le public à témoin, comme à de nombreux autres moments du spectacle, et l’emmène à la bibliothèque de la prison où toutes les grandes références – Homère, Tolstoï, Racine, Shakespeare, Dostoïevski, et d’autres – ont disparu des rayons, constat du vieillard-bibliothécaire qui observe « les trous dans les rangées de livres, comme les touches manquantes d’un piano à queue dans un salon viennois. » Plus tard, les notes d’un piano viendront suspendre les mythes. Le bibliothécaire se souvient de la disparition du volume d’Œdipe-Roi et montre les coupables : dans une cellule, un vieil aveugle écoute un vieux lecteur par l’entremise d’un autre mythe, Don Quichotte « Je réalisais que tu n’étais qu’un rêve… » Télescopage des temps et mémoires qui se superposent.

L’entremêlement des mythes entre eux, des mythes et de la vie, des époques, sont autant de figures de style entre les sentiments, le mensonge, les mots et les idées. À plusieurs moments de la représentation Tónan Quito prend le public à témoin et au final lui offre une brochure : le fac-similé d’Œdipe-Roi issu de la bibliothèque du centre pénitencier de Lisbonne, surlignée et augmentée des mots du prisonnier écrits à la main et collant au mythe.

Entre les lignes est un peu comme un objet volant non identifié qui dessinerait quelques traces dans le ciel et parlerait de la fragilité de la création théâtrale, autre métaphore. La complicité entre Tónan Quito et Tiago Rodrigues qui travaillent ensemble depuis longtemps, entre l’acteur qui attend son texte et l’auteur qui se fait discret est un autre fil tendu.

Brigitte Rémer, le 9 décembre 2022

Collaboration artistique Magda Bizarro – décor, lumière, costumes Magda Bizarro, Tiago Rodrigues et Tónan Quito – traduction française Thomas Resendes – surtitres Sónia De Almeida – direction technique André Pato. (Voir aussi nos articles des 28 et 29 octobre 2022 sur deux spectacles de Tiago Rodrigues récemment présentés au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris : Le Choeur des amants et Catarina et la beauté de tuer des fascistes.)

Jusqu’au 17 décembre 2022, Du mardi au samedi à 20 h 30 – Théâtre de l’Athénée, Salle Christian-Bérard, 2/4, square de l’Opéra Louis-Jouvet. 75009 Paris

Catarina et la beauté de tuer des fascistes

© Filipe Ferreira

Catarina e a beleza de matar fascistas, texte et mise en scène Tiago Rodrigues – spectacle en portugais surtitré en français et en anglais – au Théâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du Festival d’Automne.

La table du banquet est dressée. En bout de table un homme, silencieux, en habit de ville, contraste avec les personnages assis côté jardin, face au public. Les acteurs vont et viennent tranquillement avant l’entrée des spectateurs, échangent quelques mots. L’action se passe dans le sud du Portugal, dans le jardin d’une charmante maison toute de bois, à la campagne. Vêtus de longues robes, les personnages nous mènent de plain-pied dans la culture populaire traditionnelle, ils font aussi penser au Tchiloli de São Tomé-et-Príncipe, ancienne colonie portugaise.

On entre dans l’histoire, guidés par un narrateur qui nous plonge dans des sentiments pleins d’étrangeté et qui ne s’expriment plus guère aujourd’hui ou alors d’une tout autre manière, ceux du code de l’honneur. Quelle est cette mystérieuse famille qui semble attendre l’une de ses filles et préparer un obscur rituel ? Tous les personnages se nomment Catarina, on flotte entre histoire, superstitions, mauvais sorts et cauchemar.

Le rassemblement familial a lieu près du village de Baleizão au sud du Portugal, où a été assassinée Catarina Eufémia leur ancêtre, icône de la résistance face au régime fasciste qui a sévi au Portugal de 1933 jusqu’à la Révolution des Œillets, en 1974. Chaque année depuis, la famille se réunit sur cette terre et commémore le meurtre, en exécutant un fasciste. Aujourd’hui c’est au tour d’une des plus jeunes et des plus aimées de la famille, Catarina, de tuer son premier fasciste, comme un rite de passage. L’otage, cet homme en habit de ville, écrivait les discours vénéneux du Premier ministre.

Catarina est en retard, (Beatriz Maia), elle prend position face à l’homme qui lui est amené et qu’elle doit exécuter, puis se ravise. À contre-courant de la tradition familiale elle ne peut ni ne veut accomplir ce geste et ouvre une brèche sur l’auto-justice et la loi du talion. Ce jour de fête et de meurtre, de tradition et de beauté, s’écroule, ouvrant sur les divergences familiales. « Ne craignons pas la mort, craignons la vie inutile… » Les conversations s’orientent sur la démocratie, sous le regard de Catarina Eufémia, revenante, qui s’entretient avec le fasciste. Tiago Rodrigues compresse le temps entre passé et futur et nous amène par cette métaphore, à des questions d’actualité dont celle de la violence politique et de la montée de l’extrême droite, du populisme et de la démagogie. La famille s’entredéchire et met en scène sa propre mort. L’otage s’échappe, figure de la dictature en gestation qui nous assène un discours hélas des plus actuels et des plus offensifs, performance de l’acteur (Romeu Costa) qui met à mal le spectateur.

Quatre spectacles de Tiago Rodrigues, auteur, metteur en scène et nouveau directeur du Festival d’Avignon, sont actuellement programmés dont deux dans le cadre du Festival d’automne – Le Chœur des amants dont nous avons rendu compte, Dans la mesure de l’impossible qui rapporte les récits de militants humanitaires, Entre les lignes, un texte-manifeste pour un acteur seul en scène. Avec Catarina et la beauté de tuer des fascistes, on a l’illusion d’un conte qui attendrait sa princesse, dans un environnement scénographique des plus chaleureux et la beauté des personnages. On découvre des âmes sombres, des plans machiavéliques et la bête noire du fascisme rampant qui ronge les esprits. Ionesco et son Rhinocéros ne sont pas loin.

Brigitte Rémer, le 28 octobre 2022

© Filipe Ferreira

Avec : António Fonseca, António Afonso Parra, Beatriz Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Romeu Costa, Rui M. Silva – scénographie, F. Ribeiro – lumières Nuno Meira – adaptation lumières pour le Théâtre des Bouffes du Nord, Rui Monteiro – costumes, José António Tenente – création, design sonore et musique originale, Pedro Costa – chef de choeur, arrangement vocal, João Henriques -conseillers en chorégraphie, Sofia Dias, Vítor Roriz – conseiller technique en armes, David Chan Cordeiro – traduction française, Thomas Resendes (français) – surtitrages Patrícia Pimentel – assistante mise en scène, Margarida Bak Gordon – collaboration artistique, Magda Bizarro.

Du 7 au 30 octobre au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, 75010. Paris – tél. : 01 46 07 34 50 – site : www.bouffesdunord.com – En tournée : 9 novembre 2022, Théâtre d’Arles – 12 et 13 novembre, Centre culturel André Malraux/Scène nationale de Vandoeuvre – 15 et 16 novembre, Théâtre de l’Agora/Scène nationale de l’Essonne – 18 et 19 novembre, Théâtre Joliette, Marseille – 22 et 23 novembre, Maison de la Culture d’Amiens – 25 et 26 novembre, Théâtre d’Angoulême/scène nationale – 29 novembre au 1er décembre, Comédie de Reims – 3 et 4 mars 2023, Le Quai/CDN d’Angers – 6 avril 2023, Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul – Le spectacle est déconseillé aux moins de 16 ans.

Chœur des amants

© Filipe Ferreira

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues – Théâtre des Bouffes du Nord.

C’est un récit polyphonique écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues en 2007 sur lequel il revient aujourd’hui. Un jeune couple, un homme et une femme, racontent en chœur, parfois en canon ou comme en écho, leur état de mise en suspension quand tout à coup il leur semble étouffer, au sens physique du terme. Départ en ambulance, angoisses et embouteillages, le surréalisme de la vie.

Le film culte qu’ils regardaient, Scarface, avec Al Pacino leur acteur fétiche duquel ils se sont arrachés, revient en leitmotiv au fil de la représentation, et même s’ils s’endorment avant la fin du film ils en parodient les personnages, sous l’effet d’une vibrante catharsis. La fiction s’enchevêtre à la vie qui défile sous leurs yeux, sous les nôtres : l’enfance, les poupées, le père Noël, premier mensonge à la mère, premier coup reçu et rendu, naissance de l’enfant, blessure à l’école.

Quand ils rentrent à la maison tout est à la même place, rangé, rien n’a bougé. Retour sur les premières fois. Je dis… Il dit… Les dialogues du quotidien se superposent comme des jeux de lego : « on perd beaucoup de temps à agrafer les papiers peints, vert, bleu turquoise… J’ai arrêté de fumer… » petits repères dans le temps. Du passé au présent, on voyage entre simulacre et réalité. On se passe l’anneau de main à main. C’est à la fois feutré, tonique et distancié. Le dialogue est parallèle ou se chevauche, certains événements reviennent de manière récurrente, la mémoire des gestes est à l’oeuvre, il y a de la tendresse. Quand lui est assis elle est debout, ou l’inverse. Ça a un petit côté absurde, déconnecté, version Ionesco.

La bouilloire siffle, le thé se prépare, des percussions traversent le silence. Sur un tapis noir moucheté de blanc, assis côte à côte face au public, ils boivent le thé. Puis le jeu du J’aimerais avoir les saisit… un jardin, un chauffage, un autre enfant, je veux qu’il apprenne le piano… plus tard, on a le temps… Un autre jour commence, on découvre le présent. Aujourd’hui, j’ai confiance en demain. On attrape des bribes de vie, c’est gentiment décousu, comme la vie, ça cogne dans la tête. Les années passent, les grands-parents commencent à mourir, restent les albums photos, un poème, une chanson, leur amour.

Alors que faire, changer de vie ? Le changement est lent… changement de lieu, de maison : « pas de jardin, un petit balcon. » Rêver, faire un grand projet assez fou pour « tout dépenser dans un seul rêve ? » mais peut-on rêver quand on a peu d’argent ?  En se retournant sur la vie, rien de ce qui avait été prévu n’est arrivé. On s’est séparés. Les étapes de la vie… un jardin, une forêt pleine de vie. La mathématique se compte en temps de vie, jusqu’à la dernière Cène. On glisse lentement, l’un d’entre nous meurt et il devient forêt. alors il y a « celui qui est encore une personne et celui qui est la forêt et qui comprend la langue de la forêt. »

Ce Chœur des amants est une méditation sur le temps qui passe, doucement, douloureusement, réglée au cordeau par Tiago Rodrigues, auteur, metteur en scène et nouveau directeur du Festival d’Avignon, portée sobrement par les deux acteurs, Alma Palacios et David Geselson. La vie passe et si l’on peut résumer une vie, on ne résume pas l’amour, ô mon amour… on n’a plus le temps, la petite musique de nuit s’éteint.

Brigitte Rémer, le 25 octobre 2022

Avec :  David Geselson et Alma Palacios – scénographie Magda Bizarro et Tiago Rodrigues – lumières Manuel Abrantes – adaptation lumières pour Bouffes du Nord – costumes Magda Bizarro – traduction du texte Thomas Resendes – régisseur général et lumière Thomas Falinower – habilleuse Sophie Ormières – régisseuse plateau Camille Magne.  Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs.

Du 8 au 29 octobre 2022, du mercredi au samedi à 18h, les samedis à 15h, au Théâtre des Bouffes du Nord – 37 (bis), boulevard de La Chapelle 75010 Paris métro : La Chapelle – réservations 01 46 07 34 50 – site : www.bouffesdunord.com – En tournée : 9 novembre 2022, Théâtre d’Arles – 12 et 13 novembre, CCAM/Scène nationale de Vandoeuvre – 15 et 16 novembre, Théâtre de l’Agora/Scène nationale de l’Essonne – 18 et 19 novembre, Théâtre Joliette/Minoterie de Marseille – 22 et 23 novembre, Maison de la Culture d’Amiens – 25 et 26 novembre, Théâtre d’Angoulême/Scène nationale – 29 novembre au 1er décembre, Comédie de Reims.

Sopro/ Le Souffle

© Filipe Ferreira

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues – Théâtre 71 Malakoff/scène nationale, Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, dans le cadre du Festival d’Automne – Spectacle en portugais surtitré en français.

Le poumon du théâtre selon Tiago Rodrigues serait le souffleur. Le metteur en scène, directeur du Teatro Nacional Dona Maria II, à Lisbonne, ne nous mène pas sous la scène d’un théâtre à l’italienne dans le traditionnel trou du souffleur. Il invite sous les projecteurs, la souffleuse de son théâtre, Cristina Vidal, femme de l’ombre depuis vingt-cinq ans qu’il a dû convaincre, et construit un récit sur le théâtre. Sopro, signifie Le Souffle. Elle se souvient de la chanson de Nina Simone, Wild is the Wind, dont la voix emplissait le théâtre quand elle y était entrée pour la première fois, reprise a cappella par la troupe, au cours du spectacle.

Un grand plateau vide où le temps a fait son œuvre, par la végétation qui se faufile entre les lattes du parquet – quelques herbes, un arbuste – plateau entouré d’un tissu translucide qui s’envole, poussé par un souffle magique, une méridienne rouge théâtre, deux chaises, une lumière crue. Il ne s’agit pas de Six personnages en quête d’auteur, même si, comme chez Pirandello, nous sommes en répétition, il s’agit de la construction d’un nouveau spectacle, avec six acteurs, à partir de la mémoire de la Souffleuse, dans un théâtre en ruines.

Il a dit… Il a répondu… Il a dit… Vêtue de noir, la Souffleuse donne le texte aux acteurs en suspens, dans un souffle, et permet de rejoindre les deux rives du théâtre. Pour Tiago Rodrigues le théâtre devient la métaphore du fleuve. Par les textes se construit le récit de la Souffleuse, sa découverte du théâtre à cinq ans, sa mémoire, textes fragmentés qui reviennent en un flux et reflux, déposant leurs alluvions de mots oubliés, puis restitués. On entend des fragments de Bérénice, Antigone, Les Trois Soeurs et L’Avare arrachés de leurs contextes qui, mis bout à bout, ont un nouveau statut de texte à travers le spectre de Racine, Sophocle, Tchekhov et Molière. Derrière, les mouettes et le bruit de la mer.

Ne pas mourir. Rester en vie. Surtout ne pas mourir écrit Tiago Rodrigues, dramaturge et metteur en scène. Pour lui la vie et la mort croisent le théâtre, le réel et la fiction se superposent, l’art et la vie s’apostrophent, l’acteur reste au bord du vide. Par une théâtralité singulière, simple en apparence mais conceptuelle et élaborée, Tiago Rodrigues pose la question du théâtre, du sens de ce qui se passe sur un plateau, il le montre par le débat/combat d’idées entre le metteur en scène et l’actrice, par les aléas d’une troupe. Il a pour exemple la troupe tg STAN avec qui il a longtemps travaillé et défend les mêmes interactions, sans hiérarchie, à l’intérieur de la troupe qu’il a créée avec Magda Bizarro en 2003, Mundo Perfeito : la liberté de jeu et la prise de décision collégiale comme mode d’organisation et bases de leurs relations, l’idée de nomadisme défendue jusqu’en 2014, date de sa nomination au Teatro Nacional.

Depuis plus de cinq ans, Tiago Rodrigues est connu et reconnu en France où ses textes sont traduits – et publiées aux éditions Les Solitaires intempestifs – où il a présenté plusieurs de ses spectacles : By heart en 2014 au Théâtre de la Bastille qui a par la suite mis le théâtre à sa disposition pour une occupation artistique de deux mois, au printemps 2016. Il a alors invité soixante-dix personnes à participer à la création de deux performances : Ce soir ne se répétera jamais et Je t’ai vu pour la première fois, et il a créé Bovary. En 2015, au Festival d’Avignon, il a donné une version très personnelle d’Antoine et Cléopâtre d’après Shakespeare, et en 2017 présenté Sopro. Le Festival d’Automne l’accueille cette année pour les reprises/re-créations de Sopro et de By Heart.

Tiago Rodrigues parle de façon métaphorique de l’invisible, ici, le souffle de la scène, ce qui est caché, les coulisses, l’inspiration de l’acteur accompagné de la Souffleuse comme d’un double. De noir vêtue, elle suit l’acteur comme le manipulateur s’efface derrière la marionnette Bunraku. Pour le metteur en scène « la figure du souffleur concentre non seulement l’histoire du bâtiment théâtral mais aussi l’essence du geste théâtral parce qu’elle est avant l’esthétique, avant la forme ; son travail est souterrain. » La théâtralité selon Tiago Rodrigues repose sur une économie de moyens devenue la base de sa grammaire théâtrale et se construit à partir du vide premier, ici le no man’s land d’un théâtre au passé. Avec l’équipe il construit la dramaturgie, invente ses codes – jamais les mêmes, de spectacle en spectacle – introduit l’illusion. Sopro serait comme un extrait du plus pur parfum dégageant l’essentiel du théâtre. Ni esbroufe ni moulins à vents, le style personnel qu’il imprime à partir de l’image d’une femme dans les ruines d’un théâtre où elle a travaillé toute sa vie comme souffleuse, apporte beaucoup d’émotion et parle de la fragilité de cet art de la scène. Pour s’imprégner de l’idée de ruines, la troupe a regardé les images d’archives de l’incendie du Teatro Nacional, en 1964, métaphore qui pourrait aussi évoquer, dans l’avenir, la disparition du théâtre. Et si le rêve devenait cauchemar et véritable dystopie ?

Brigitte Rémer, le 10 octobre 2020

Avec Isabel Abreu, Sara Barros Leitão, Romeu Costa, Beatriz Maia, Marco Mendonça, Cristina Vidal – scénographie et lumières, Thomas Walgrave – costumes, Aldina Jesus – son, Pedro Costa – assistant à la mise en scène, Catarina Rôlo Salgueiro – opération lumières, Daniel Varela – traduction, Thomas Resendes – surtitres, Rita Mendes – production exécutive, Rita Forjaz – Assistante production, Joana Costa Santos – production Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne) – production de la tournée francilienne Festival d’Automne à Paris – avec le soutien de l’Onda.

7 et 8 octobre 2020, au Théâtre 71 Malakoff/scène nationale, 3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff – métro : Malakoff Plateau de Vanves – tél. : 01 55 48 91 00 – site : www.malakoffscenenationale.fr – Samedi 10 octobre, au Théâtre Jean Vilar de Vitry, 1 Place Jean Vilar, 94400 Vitry-sur-Seine – tél. : 01 55 53 10 60 – site : www.theatrejeanvilar.com