Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen – production du Théâtre national de Strasbourg – en français et en roumain – au Théâtre de la Ville / Les Abbesses.
La langue est le moteur du spectacle, la difficulté de l’échange que Caroline Guiela Nguyen place dans le cadre précis d’un parcours de soins. La notion de l’étranger dans son étrangeté reste bien étrangère au milieu médical nous dit-elle, plongeant ainsi dans des questions éthiques et politiques.
La jeune Valentina âgée de neuf ans accompagne sa mère souffrant d’une sévère arythmie cardiaque, dans le secret du cabinet médical, en France. Toutes deux arrivent de Roumanie où le père est resté et Valentina se révèle particulièrement douée dans l’apprentissage de la langue française à l’école, son nouvel environnement. Sa mère lui demande d’être son interprète, elle n’a pas le choix c’est pour elle une question de vie ou de mort. Le pacte entre elles est de ne pas ébruiter la maladie, et la jeune élève manque souvent à ses obligations scolaires. Personne ne répond au carnet de correspondance sauf elle-même, dans ses tentatives de l’impossible et si on l’interroge, elle s’enferme dans le refus de tout, se marginalisant, de fait.
Pour s’en sortir et trouver les réponses adaptées aux interrogations de la directrice, Valentina est contrainte de mentir et montre un talent fou dans la construction de ses explications à dormir debout. Elle non plus n’a pas le choix car la voici dépositaire des secrets de sa mère et de sa vie qui ne tient qu’à un fil. Elle apprend du cuisinier qui lui sert d’interprète à l’école la classification des mensonges de D à A : D sur le court terme, C sur plusieurs années, B toute la vie et A qui transforme le mensonge en réalité. Vive et brillante dans les réparties, Valentina comprend que ses affabulations, en montée vertigineuse et toujours dans le même aplomb, relèvent de cette section.
Au fil des visites chez le médecin qui s’exaspère assez vite entre le mimodrame de la mère, ou l’amie qui traduit par téléphone, Valentina déguisée en petits pois intègre avec talent le vocabulaire médical et remplit sa mission d’interprète. Protectrice de sa mère qui tente aussi de la protéger, leur relation mère-fille est pleine de douceur et d’humanité (Loredana Iancu et Cara Parvu – en alternance avec Angelina Iancu). Leur jeu – elles ne sont pas professionnelles – repris par une caméra, se construit à la frontière du réalisme et du fantastique (vidéo Jérémie Scheidler) et l’image des visages se brouille quand l’alerte est donnée et que Valentina appelle les pompiers.
L’histoire rebondit dans l’attente d’une greffe et de l’organe qui serait susceptible d’être transplanté, la petite fille ne quitte plus son téléphone et invente encore quelques pirouettes quand la directrice de l’école (Chloé Catrin, qui interprète aussi le médecin, un zeste caricaturale) lui impose de vider son sac à dos. Un quiproquo s’installe dans ses explications sur les cœurs, le sien propre et celui de sa mère, se mélangeant à la préparation de la fête de l’école et du déguisement à réaliser pour la Reine de la nuit qu’elle interpréterait, dit-elle, en fait pure invention enfantine.
L’auteure et metteure en scène Caroline Guiela Nguyen – qui depuis septembre 2023 dirige le Théâtre national de Strasbourg et son école intégrée où elle fut elle-même élève – inscrit tout un travail, proche du documentaire, sur des sujets qu’elle puise dans la vie et les rencontres qu’elle provoque avec les habitants, autour d’un problème spécifique. Avec Saïgon ce fut l’intégration en France post-coloniale au regard de l’ex-Indochine, sa mère est vietnamienne. Lacrima nous introduisait dans le monde de la couture et plus spécifiquement de la création des robes de mariées. Pour Valentina elle a travaillé avec l’association Migration Santé Alsace et retrace cette course contre la montre qui s’engage grâce à la vitalité d’une enfant âgée de neuf ans, qui porte ensuite les syndromes de la maladie.
Caroline Guiela Nguyen a choisi d’écrire la pièce sous forme de conte « Il était une fois dans une forêt proche de Bucarest… » elle termine sur un miracle, juste possible dans les contes. Car le cœur est là, posé sous un dôme de verre comme les reliques d’un organe toujours vivant que viennent regarder les touristes. La scénographie d’Alice Duchange, judicieuse, définit avec fluidité les différents espaces, éclairés par Mathilde Chamoux.
Valentina est un étrange objet théâtral proposé autour du thème de la langue, de l’altérité et de l’identité, dans lequel le trouble est certain et qui, une fois encore, interroge l’essence même du théâtre.
Brigitte Rémer, le 13 juin 2025
Avec : Chloé Catrin, Loredana Iancu, Marius Stoian, Paul Guta et en alternance Angelina Iancu, Cara Parvu – Assistanat à la mise en scène Amélie Enon et Iris Baldoureaux-Fredon – dramaturgie Juliette Alexandre – scénographie Alice Duchange (décors réalisés par les ateliers du TnS) – vidéo Jérémie Scheidler – lumières Mathilde Chamoux – son Quentin Dumay – musique Teddy Gauliat-Pitois – maquillage Emilie Vuez. Production du Théâtre national de Strasbourg – coproduction Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa. Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS. Spectacle créé dans le cadre des Galas du TnS 2025. Valentina ou la vérité est publié aux éditions Actes-Sud-Papiers, hors collection.
Du 2 au 15 juin 2025, Théâtre de la Ville/ Les Abbesses, 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredelaville.com – à partir de 12 ans – En tournée : Strasbourg, TnS, du 16 septembre au 3 octobre 2025 – Lyon, Les Célestins, du 8 au 12 octobre 2025 – Limoges, Théâtre de l’Union, du 5 au 7 novembre 2025 – Calais, Le Channel, du 14 au 16 novembre 2025 – Arras, Le Tandem, du 24 au 26 novembre 2025 – Cavaillon, La Garance, du 21 au 22 janvier 2026 – La Roche-sur-Yon, Le Grand R, du 4 au 5 février 2026 – Tournée en préfiguration en Italie, Espagne et Allemagne.