Chorégraphie Abou Lagraa, mise en scène Mikaël Serre, production Compagnie La Baraka, au Théâtre National de Chaillot.
Un texte de l’Ancien Testament, Le Cantique des cantiques – appelé aussi Chant de Salomon – suite de chants d’amour alternés entre une femme et un homme, fait figure de poème fondateur. Sa composition est attribuée à un compilateur du IVè siècle qui aurait fondu différents poèmes en un. C’est un hymne incandescent à la sexualité et à l’amour charnel en même temps qu’un texte sacré qui a fait couler beaucoup d’encre ; on y retrouve des expressions proches dans la littérature du Proche-Orient ancien. « Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes, Derrière ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad. »
Le Cantique des cantiques a inspiré de nombreux artistes, notamment musiciens, peintres et calligraphes. C’est aujourd’hui le chorégraphe Abou Lagraa qui s’empare de ce texte mi-sacré mi-profane, en dialogue avec le metteur en scène et traducteur franco-allemand Mikaël Serre . « Je suis d’obédience musulmane et il me semblait intéressant de travailler sur ce texte qui vient de la Bible et de la Torah » dit-il, prétexte pour questionner le monde d’aujourd’hui. Chorégraphe franco-algérien formé au Conservatoire national supérieur de Musique et de Danse de Lyon, Abou Lagraa débute sa carrière de danseur au SOAP Dance Theater Frankfurt auprès de Rui Horta avant de fonder sa Compagnie, La Baraka, en 1997. Artiste associé à Bonlieu-scène nationale d’Annecy, puis en résidence de production aux Gémeaux-scène nationale de Sceaux, il devient artiste associé à la Maison de la Danse de Lyon en 2015-16 et enchaîne les tournées partout dans le monde, avec sa Compagnie.
Six danseurs et deux comédiennes – non plus un homme et une femme comme dans le texte – portent la pièce en son incandescence par une belle énergie où se relaient le geste et la parole, repris en gros plans sur un écran. « Sur ma couche, pendant les nuits, J’ai cherché, Je ne l’ai point trouvé… Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, Dans les rues et sur les places ; Je chercherai celui que mon coeur aime… Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé… » dit le poème. Ici l’intime et l’universel se rejoignent avec radicalité et expressivité, chambre d’écho des images érotiques qu’il contient, reprises notamment par les duos de la chorégraphie qui montrent différentes facettes de l’état amoureux, pour le meilleur et pour le pire. La place de la femme, la violence, l’intolérance et la déclinaison des thèmes de la sexualité sont mis en tension, de l’érotisme au désir, de la possession au plaisir, de la brutalité au viol, aux frustrations, à la séparation. Musique, lumières et costumes en drapés sont savamment travaillés et servent le propos hors de toute temporalité.
A travers la complexité d’un travail reposant sur un texte poétique archétypal où l’équilibre et le rythme entre la parole et le geste sont délicats, Abou Lagraa et Mikaël Serre cherchent à évoquer d’autres thèmes du présent sur la difficulté du monde, les déplacements de population, l’intolérance, les traumatismes. Ils prennent pour support la Déclaration des droits de l’Humain qu’ils font défiler sur écran, et comme un Manifeste, dénoncent les intégrismes.
C’est un vrai défi que d’oser plonger dans un poème chargé d’alluvions comme l’est Le Cantique des cantiques, où profane et sacré se combattent. Abou Lagraa et Mikaël Serre y réussissent.
Brigitte Rémer, le 6 décembre 2016
Avec Pascal Beugre-Tellier, LudovicAbou Lagraa et Collura, Saül Dovin, Diane Fardoun, Nawal Lagraa-Aït Benalia, Charlotte Siepiora (danseurs), Gaia Saitta, Maya Vignando (comédiennes) – Traduction Olivier Cadiot, Michel Berder (Bayard éditions) – adaptation Mikaël Serre – musique Olivier Innocenti – lumières Fabiana Piccioli – vidéo Giuseppe Greco – scénographie LFA/Looking for architecture – costumes Carole Boissonet – traduction et surtitrage en direct Harold Manning.
30 novembre au 3 décembre 2016, Théâtre national de Chaillot, Place du Trocadéro. 75016. Un atelier de pratique était également proposé samedi 3 décembre, sous l’intitulé Jour de Silence, en présence du philosophe Jean-Luc-Nancy.
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