Texte Carine Corajoud, en collaboration avec Dorian Rossel – conception et mise en scène Delphine Lanza et Dorian Rossel – compagnie STT / Super trop top – au Théâtre de la Tempête.
Le récit se base sur une histoire réelle, assez loufoque et surréaliste, trouvée dans une brève du journal suisse Le Temps. C’est devenu le voyage d’un poème d’un bout du monde à l’autre.
La scène s’ouvre sur une émission radio menée rondement par un journaliste suisse qui interroge un artiste chilien et une comédienne, et qui tente de résoudre une énigme. Il rapporte la quête d’un chercheur américain, Scott Weintraub, autour d’un poème publié au Chili, Poemas del otro dont il voudrait retrouver l’auteur. Un signataire du poème, également auteur d’un livre mystérieux, Le Silence et sa brisure, répondrait, en France, au nom de Juan-Luiz Martinez.
Différents discours s’entremêlent et on entre dans un labyrinthe qui, au final, livrera son secret. En attendant, sur le plateau comme dans la salle, on patauge d’investigations en hypothèses, parfois jusqu’à l’absurde. On est aussi dans l’archétype d’un pays – le Chili sous Pinochet – qui a vécu le totalitarisme contraignant à l’exil nombre de ses ressortissants. L’ombre du coup d’état de 1973 est présente par le récit de la grève des camionneurs un an plus tôt, qui a entraîné au fil des mois de nombreux autres grévistes et mouvements sociaux, jusqu’à la chute du Président Allende. Et l’ombre de la chanteuse engagée, Violeta Parra, qui a dédié sa vie à la musique populaire du pays, plane.
On spécule, à travers les mots d’un texte que l’actrice répète, et l’enquête d’un professeur-chercheur essayant d’éclairer le chemin que le poème a bien pu prendre. Ce poème aurait été publié à Saint-Germain des Prés. « Prolonger une ligne droite jusqu’à l’infini… »
Comme un jeu de construction, les panneaux aux couleurs vives déposés sur le côté jardin du plateau sont déplacés et prennent vie et force dans la scénographie qui interroge aussi différents lieux et diverses hypothèses (scénographie de Sibylle Kössler et Florian Gibiat). Ils dessinent comme des passerelles et remémorent les couleurs des maisons de Valparaiso. « Faire s’écrouler les systèmes » tel est le but recherché.
En fond de scène, en épilogue, s’ouvrent des fenêtres où flottent des nuages, et se construisent des séquences, comme un livre d’image. Un certain Juan-Luiz Martinez est repéré à Paris et les fils commencent lentement à se dénouer. On traverse la déconstruction et la simulation, les dilutions d’identité et strates de scénarios plus flous les uns que les autres, à la recherche d’une vérité. Il y a du jeu et du double-jeu sur scène à partir de cette ville portuaire de Valparaiso, la ville des poètes.
La compagnie STT / Super trop top aime à se mesurer à des non-textes et travaille autour de scénarios, de récits de voyages, d’autobiographies et autres formes de textes, à la base, non dramatiques. Depuis plusieurs années Carine Corajoud adapte les textes de la Compagnie et construit la dramaturgie. Delphine Lanza, comédienne et metteuse en scène, de même que Dorian Rossel metteur en scène, en co-signent la réalisation. Trois acteurs sont en scène : Karim Kadjar, Fabien Coquil et Aurélia Thierrée pour interpréter plusieurs personnages, ajoutant parfois un accessoire, comme un bonnet ou une casquette. Le premier met ses pas dans ceux du poète chilien, le second, d’animateur radio et chercheur pilotant l’enquête, devient le poète français. Aurélia Thierrée est absolument troublante dans sa recherche du jeu et sa quête éperdue d’un texte écrit dans les années 70 en France par Juan-Luiz Martinez, dont elle interprète aussi, dans le dernier tableau, l’épouse. Un poème publié au Chili dont on finira par connaître l’itinéraire : un homonyme chilien aurait traduit en espagnol le poème original français laissant à penser qu’il avait été écrit dans sa langue, il n’en est pas l’auteur.
Tous les poètes habitent Valparaiso dégage un certain charme par le côté léger donné à ce voyage instable plein d’énigmes et de suspensions, avec une certaine simulation à la clé et un brin de simulacre, avec des superpositions d’identités qui finissent par livrer leur secret, après de nombreuses questions énoncées à la manière d’un polar qui nous perd dans un labyrinthe d’hypothèses et un lac d’incertitudes.
Brigitte Rémer, le 21 septembre 2024
Avec : Fabien Coquil, Karim Kadjar, Aurélia Thierrée – dramaturgie Carine Corajoud – scénographie Sibylle Kössler, Florian Gibiat – lumières : Yann Becker – création sonore Anne Gillot – costumes Fanny Buchs, assistée de Iryna Kliuchuk – Assistanat à la mise en scène Clément Fressonnet – construction décor Florian Gibiat – régie Matthieu Baumann et Benoît Boulian – direction de production et diffusion Daphné Bengoa – Direction technique Matthieu Baumann – Chargée de production et administration Raphaëlle Sabouraud.
Du 20 septembre au 20 octobre 2024, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes, puis bus 112 ou navette Cartoucherie – site : la-tempete.fr – tél. : 01 43 28 36 36.
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