Archives par étiquette : Théâtre 71 Malakoff

Adolescent

© Frédéric Lovino

Conception et chorégraphie Sylvain Groud en étroite collaboration avec les interprètes – décors et costumes Françoise Pétrovitch – musique Molécule – Ballet du Nord-Roubaix/CCN & vous ! Au Théâtre 71 de Malakoff.

Une certaine grâce saisit le spectateur devant ce qui ressemble à une immense plage de sable blanc sur laquelle dix jeunes danseurs sont installés en des postures diverses. En shorts et débardeurs blancs tels des sportifs, ils représentent l’adolescence. Sur le mur du fond un/une ado allongé(e), grand dessin de Françoise Pétrovitch veille, comme un aigle aux ailes déployées, sur cet âge des métamorphoses.

© Frédéric Lovino

Puis ils se mettent en mouvement et à danser la vie en des figures complexes, toniques et inventives. Vitalité, vulnérabilité, émotions, inquiétudes se croisent et chacun s’interroge, se trouble, joue de mimétisme et suspend le temps, parfois seul(e) parfois signant son appartenance au groupe. Petit à petit les maillots se couvrent de traces rouges, à peine visibles au départ, ou plus apparentes, le spectateur observe cette discrète transformation.

Tirés par les danseurs, des paravents transparents traversent le plateau de cour à jardin, illustrations enfantines pleines de poésie réalisées par la plasticienne, comme cet enfant portant une poupée, ou cet autre un animal. On se croirait derrière un miroir sans tain observant des scènes de la vie ordinaire, interrompues de loin en loin par un temps en suspension.

Le chorégraphe fait un récit en différentes phases – ludique, guerrière, et pose un geste sur cet état changeant qu’est l’adolescence. Sylvain Groud a débuté avec Angelin Preljocaj. Il s’intéresse particulièrement à la relation entre la musique et la danse, comme il l’a montré dans Cordes, en 2008, pièces pour huit danseurs et vingt-quatre musiciens, Collusion, pièce pour quatre danseurs et le compositeur électro Molécule, en 2010 ; Héros ordinaires pièce pour quatre danseurs et quatre chanteurs, créée en 2012. Il aime collaborer avec des artistes d’autres disciplines, écrivains, plasticiens, vidéastes, danseurs de toutes techniques, tous alphabets. Son horizon est ouvert, en termes d’interventions artistiques dans différents milieux dont celui de la santé, son expression est multiforme. Il est à la tête du Ballet du Nord, Centre Chorégraphique National Roubaix Hauts-de-France depuis 2018.

Françoise Pétrovitch a réalisé de nombreuses expositions, personnelles et collectives, présentant dessins, peintures, céramiques et vidéos. Elle va droit au but, sans discours complémentaire ni bavardage. D’une grande justesse, elle représente entre autres un univers de personnages, d’enfants et adolescents, travaillés au lavis et à la peinture à l’huile. Elle aime le grand format qu’elle trouve parfois plus intime qu’un petit dessin, cela se vérifie dans sa proposition scénique.

Le compositeur d’électro, Molécule, passionné de son, a composé la musique et assure la fluidité entre le graphisme et le geste. La lumière (Michaël Dez) sert l’ensemble et le final enveloppe de rouge le danseur seul en scène, face au dessin qui l’avale. La synergie entre les danseurs, les regards croisés entre Françoise Pétrovitch et Sylvain Groud, font de la pièce Adolescent un pur joyau tant dans la précision des gestes que dans la représentation d’un âge charnière, souvent ingrat à traverser.

Brigitte Rémer, le 5 février 2022

Avec : Yohann Baran, Marie Bugnon, Pierre Chauvin-Brunet, Agathe Dumas, Alexandre Goyer, Alexis Hedouin, Julie Koenig, Lauriane Madelaine, Adélie Marck, Julien Raso – assistante à la chorégraphie Agnès Canova – lumière Michaël Dez – cheffe costumière Chrystel Zingiro, assistée d’Élise Dulac et Patricia Rattenni, Nathan Bourdon (stagiaire), Léa Deschaintres (stagiaire), Laure Desplan (stagiaire), Yohann Mazurkiewicz (stagiaire)- Production Ballet du Nord, CCN Roubaix Hauts-de-France, coproduction Colisée, Théâtre de Roubaix

Vu le 28 janvier au Théâtre 71 Malakoff Scène Nationale, 3 place du 11 Novembre – En tournée : 4 février, La Manufacture, Saint-Quentin – 10 février, Le Granit/ scène nationale, Belfort – 1er mars, Théâtre municipal Roger Ferdinand, Saint-Lô – 7 et 8 avril, Théâtre-Sénart/scène Nationale, Lieusaint – 21 et 22 avril, L’azimut/Pôle national Cirque, Châtenay-Malabry.

Sopro/ Le Souffle

© Filipe Ferreira

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues – Théâtre 71 Malakoff/scène nationale, Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, dans le cadre du Festival d’Automne – Spectacle en portugais surtitré en français.

Le poumon du théâtre selon Tiago Rodrigues serait le souffleur. Le metteur en scène, directeur du Teatro Nacional Dona Maria II, à Lisbonne, ne nous mène pas sous la scène d’un théâtre à l’italienne dans le traditionnel trou du souffleur. Il invite sous les projecteurs, la souffleuse de son théâtre, Cristina Vidal, femme de l’ombre depuis vingt-cinq ans qu’il a dû convaincre, et construit un récit sur le théâtre. Sopro, signifie Le Souffle. Elle se souvient de la chanson de Nina Simone, Wild is the Wind, dont la voix emplissait le théâtre quand elle y était entrée pour la première fois, reprise a cappella par la troupe, au cours du spectacle.

Un grand plateau vide où le temps a fait son œuvre, par la végétation qui se faufile entre les lattes du parquet – quelques herbes, un arbuste – plateau entouré d’un tissu translucide qui s’envole, poussé par un souffle magique, une méridienne rouge théâtre, deux chaises, une lumière crue. Il ne s’agit pas de Six personnages en quête d’auteur, même si, comme chez Pirandello, nous sommes en répétition, il s’agit de la construction d’un nouveau spectacle, avec six acteurs, à partir de la mémoire de la Souffleuse, dans un théâtre en ruines.

Il a dit… Il a répondu… Il a dit… Vêtue de noir, la Souffleuse donne le texte aux acteurs en suspens, dans un souffle, et permet de rejoindre les deux rives du théâtre. Pour Tiago Rodrigues le théâtre devient la métaphore du fleuve. Par les textes se construit le récit de la Souffleuse, sa découverte du théâtre à cinq ans, sa mémoire, textes fragmentés qui reviennent en un flux et reflux, déposant leurs alluvions de mots oubliés, puis restitués. On entend des fragments de Bérénice, Antigone, Les Trois Soeurs et L’Avare arrachés de leurs contextes qui, mis bout à bout, ont un nouveau statut de texte à travers le spectre de Racine, Sophocle, Tchekhov et Molière. Derrière, les mouettes et le bruit de la mer.

Ne pas mourir. Rester en vie. Surtout ne pas mourir écrit Tiago Rodrigues, dramaturge et metteur en scène. Pour lui la vie et la mort croisent le théâtre, le réel et la fiction se superposent, l’art et la vie s’apostrophent, l’acteur reste au bord du vide. Par une théâtralité singulière, simple en apparence mais conceptuelle et élaborée, Tiago Rodrigues pose la question du théâtre, du sens de ce qui se passe sur un plateau, il le montre par le débat/combat d’idées entre le metteur en scène et l’actrice, par les aléas d’une troupe. Il a pour exemple la troupe tg STAN avec qui il a longtemps travaillé et défend les mêmes interactions, sans hiérarchie, à l’intérieur de la troupe qu’il a créée avec Magda Bizarro en 2003, Mundo Perfeito : la liberté de jeu et la prise de décision collégiale comme mode d’organisation et bases de leurs relations, l’idée de nomadisme défendue jusqu’en 2014, date de sa nomination au Teatro Nacional.

Depuis plus de cinq ans, Tiago Rodrigues est connu et reconnu en France où ses textes sont traduits – et publiées aux éditions Les Solitaires intempestifs – où il a présenté plusieurs de ses spectacles : By heart en 2014 au Théâtre de la Bastille qui a par la suite mis le théâtre à sa disposition pour une occupation artistique de deux mois, au printemps 2016. Il a alors invité soixante-dix personnes à participer à la création de deux performances : Ce soir ne se répétera jamais et Je t’ai vu pour la première fois, et il a créé Bovary. En 2015, au Festival d’Avignon, il a donné une version très personnelle d’Antoine et Cléopâtre d’après Shakespeare, et en 2017 présenté Sopro. Le Festival d’Automne l’accueille cette année pour les reprises/re-créations de Sopro et de By Heart.

Tiago Rodrigues parle de façon métaphorique de l’invisible, ici, le souffle de la scène, ce qui est caché, les coulisses, l’inspiration de l’acteur accompagné de la Souffleuse comme d’un double. De noir vêtue, elle suit l’acteur comme le manipulateur s’efface derrière la marionnette Bunraku. Pour le metteur en scène « la figure du souffleur concentre non seulement l’histoire du bâtiment théâtral mais aussi l’essence du geste théâtral parce qu’elle est avant l’esthétique, avant la forme ; son travail est souterrain. » La théâtralité selon Tiago Rodrigues repose sur une économie de moyens devenue la base de sa grammaire théâtrale et se construit à partir du vide premier, ici le no man’s land d’un théâtre au passé. Avec l’équipe il construit la dramaturgie, invente ses codes – jamais les mêmes, de spectacle en spectacle – introduit l’illusion. Sopro serait comme un extrait du plus pur parfum dégageant l’essentiel du théâtre. Ni esbroufe ni moulins à vents, le style personnel qu’il imprime à partir de l’image d’une femme dans les ruines d’un théâtre où elle a travaillé toute sa vie comme souffleuse, apporte beaucoup d’émotion et parle de la fragilité de cet art de la scène. Pour s’imprégner de l’idée de ruines, la troupe a regardé les images d’archives de l’incendie du Teatro Nacional, en 1964, métaphore qui pourrait aussi évoquer, dans l’avenir, la disparition du théâtre. Et si le rêve devenait cauchemar et véritable dystopie ?

Brigitte Rémer, le 10 octobre 2020

Avec Isabel Abreu, Sara Barros Leitão, Romeu Costa, Beatriz Maia, Marco Mendonça, Cristina Vidal – scénographie et lumières, Thomas Walgrave – costumes, Aldina Jesus – son, Pedro Costa – assistant à la mise en scène, Catarina Rôlo Salgueiro – opération lumières, Daniel Varela – traduction, Thomas Resendes – surtitres, Rita Mendes – production exécutive, Rita Forjaz – Assistante production, Joana Costa Santos – production Teatro Nacional D. Maria II (Lisbonne) – production de la tournée francilienne Festival d’Automne à Paris – avec le soutien de l’Onda.

7 et 8 octobre 2020, au Théâtre 71 Malakoff/scène nationale, 3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff – métro : Malakoff Plateau de Vanves – tél. : 01 55 48 91 00 – site : www.malakoffscenenationale.fr – Samedi 10 octobre, au Théâtre Jean Vilar de Vitry, 1 Place Jean Vilar, 94400 Vitry-sur-Seine – tél. : 01 55 53 10 60 – site : www.theatrejeanvilar.com

A mon Bel Amour

© Patrick Berger

Création Danse Anne Nguyen, Compagnie Par Terre – au Théâtre 71, Scène Nationale de Malakoff.

Anne Nguyen est une virtuose de la danse hip hop sur scène, de l’art du présent et des cultures urbaines, déclinés à travers de multiples formes dansées. « La danse hip-hop partage avec les danses tribales une caractéristique significative : le danseur fait rentrer son corps dans le sol sur les accents forts de la musique. Semblable au martèlement d’une danse guerrière, l’énergie qu’elle dégage est profondément organique, presque animale. » Pour elle « les danseurs hip hop sont des guerriers de la ville… » Éclectisme et énergie font partie de son alphabet où s’hybrident, dans une même phrase chorégraphique, différentes gestuelles.

Dans À mon bel amour quatre danseuses et quatre danseurs s’avancent vers le public comme dans un ressac, ce courant d’arrachement des océans. Ils s’avancent seuls, avec l’assurance du mannequin dans un défilé de mode ; en duo, ou encore en groupes comme convoqués pour un filmage cinématographique. Ils interrogent notre perception de l’individu, du couple et du collectif en déclinant différentes conceptions de l’identité et de la beauté. Chacun intervient avec sa personnalité et son style : Le voguing, apparu dans les années 1960 au sein de la communauté homosexuelle et transgenre afro-américaine et latino-américaine défavorisée, à Harlem ; le waacking,, style de danse inspiré de la musique funk et disco underground, né dans les années 1970 à Los Angeles qui, à l’origine, se dansait dans les nightclubs où la communauté homosexuelle pouvait s’exprimer librement ; le popping, popularisé à la fin des années 70 par le groupe californien Electric Boogaloos, qui joue sur la contraction-décontraction des muscles, en rythme ; le krump, né dans les quartiers pauvres de Los Angeles dans les années 2000. Il y a de la théâtralité, des poses que l’on prend, des personnages que l’on crée. Chaque danseur est plus particulièrement porteur d’un style, d’un vocabulaire et d’une gestuelle spécifiques. Un contrepoint classique des plus purs y trouve aussi sa place, et les différentes techniques s’amalgament les unes aux autres en un geste chorégraphique de danse contemporaine sur des musiques aux bases rythmiques diverses.

On trouve dans À mon bel amour à la fois une grande liberté du corps et une puissance du mouvement, une sensation de libération, une belle vitalité, de la spontanéité en même temps qu’une parfaite géométrie et perfection de l’espace et du rapport au sol, et une maîtrise de l’énergie libérée. La chorégraphie d’Anne Nguyen est à la fois transgression du mouvement et cérémonie, elle est cosmogonie. « Danseuse par passion mais lancée sur le tard, j’ai eu la chance lors de mes études d’aborder des disciplines telles que la physique, les mathématiques, la littérature ou la linguistique » dit-elle pour se présenter.

Elle a créé la Compagnie par Terre en 2005 avec Racine carrée, solo qu’elle a élaboré et qu’elle interprète, qui a fait le tour du monde. A partir de 2007 elle crée pour « défendre sa vision de la danse hip-hop » et élaborer des chorégraphies, au même titre que toute pièce dansée qui se pense, se construit et se note. Elle chorégraphie Promenade obligatoire et bal.exe, un duo/Yonder Woman, et un quatuor/Autarcie, présente en 2017 Kata, puis Danse des guerriers de la ville et anime des ateliers artistiques. Elle prend un virage en 2018 pour mieux « affirmer la place de l’artiste comme reflet et gardien de l’âme de la société. » La danse est son propos et chacune de ses créations met en valeur une discipline en particulier,  repoussant les limites techniques de la danse hip-hop, cette culture de partage basée sur la mixité culturelle et le brassage des cultures. « J’ai beaucoup pratiqué les arts martiaux, en particulier la capoeira et le jiu-jitsu brésilien, mais aussi le Viet Vo Dao et le Wing Chun. L’une des caractéristiques de ces pratiques est le rapport au partenaire, qui implique un contact physique. » Elle fait vivre ce syncrétisme des styles avec une grande exigence, ses spectacles sont présentés sur les grandes scènes de France et du monde et dans de prestigieux festivals tels qu’à New-York, Helsinki, Berlin, Huê, Barcelone etc.

« Pour un danseur hip-hop, danser a quelque chose d’un rituel. La Compagnie par Terre tient son nom de ce rapport presque sacré à la terre mère, où la Terre tient le rôle d’une déité… Le nom par Terre reflète également un attachement très scientifique aux lois de la Nature, partant du principe que les lois physiques régissant le mouvement du corps humain sont spécifiques à la planète Terre et à notre environnement. » Tel est son Manifeste.

Brigitte Rémer, le 15 décembre 2019

Avec : Sonia Bel Hadj Brahim (waacking, popping) – Arnaud Duprat (popping) – Stéphane Gérard (voguing) – Pascal Luce (popping, locking, waacking) – Andréa Moufounda (danse contemporaine) – Sibille Planques (danse contemporaine) – Emilie Ouedraogo (krump) – Tom Resseguier (danse classique). Musiques originales Jack Prest – stylisme Manon Del Colle – création lumière Ydir Acef.

Les 28 novembre à 19h30, 29 novembre à 20h30, Théâtre 71, scène nationale de Malakoff, 3 pklace du 11 novembre, 92240. Malakoff – métro : Malakoff Plateau de Vanves – tél. : 01 55 48 91 00 – En tournée 2020 : 12 février, Theater Rotterdam (Pays-Bas) – 26 février, Festival Hip Opsession / La Soufflerie/Rezé (44) – 29 février, La Ferme du Buisson, scène nationale de Noisiel (77) – 19 mars, Festival Le Grand Bain (CDCN Roubaix) / Salle Josiane Balasko/Chambly (60) – 26 mars, Festival Le Grand Bain (CDCN Roubaix) / Maison Folie Wazemmes, Lille (59) – 12 mai, La Ferme de Bel Ebat, Guyancourt (78) – 15 mai, Théâtre Molière, scène nationale de Sète (34) – 3 au 5 juin, La Villette/Salle Charlie Parker, Paris (75019).