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Plaidoirie pour vendre le Congo

© Ry-Barbot 7

Texte Sinzo Aanza – mise en scène Aristide Tarnagda – Théâtre Acclamations – dans le cadre de la Saison Africa 2020 et en partenariat avec le Festival d’Automne à Paris – au Théâtre Jean Vilar de Vitry.

On entre de plain-pied dans la réunion du comité de surveillance du Quartier 2 Masina sans fil. Les protagonistes de la réunion arrivent au compte-goutte, de préférence en retard et occupent une grande partie de l’espace scénique. Empilés derrière la fenêtre, les habitants ne suivront le conseil qu’à partir de cette frontière derrière laquelle ils sont relégués.

Plaidoirie pour vendre le Congo c’est cette attente du début de la réunion, puis la réunion, dans sa bêtise administrative et son contenu fantaisiste. L’enjeu est important pour les habitants : se mettre d’accord sur la hauteur des indemnisations à attribuer aux familles dont certains membres ont été tués par l’armée, alors qu’ils rentraient d’un match de football. Les militaires avaient tiré, pensant faire face à une marche de protestation contre la paupérisation des quartiers.

La pièce est ce dialogue de sourds entre les deux parties, ceux qui sont chargés de décider des règles d’indemnisation et les habitants du quartier. Pour le premier groupe, les tergiversations vont bon train notamment entre le pasteur de l’église de réveil, Prophète Rambo, mi-exorciste mi-charlatan qui fait corps avec sa Bible ; la sœur Marie-Joséphine de Jésus-Sauveur, pleine de compassion ; la pharmacienne sorte de faiseuse d’anges aux pleins pouvoirs et à la séduction facile, Maman Béa ; le dragueur invétéré, propriétaire d’un hôtel mal famé, Mao-Zédong ; Chef, le responsable administratif du quartier, inconsistant…. Il y a aussi une vendeuse de pain, un instituteur, un boucher, un boutiquier, un sous-commissaire de police… De l’autre côté, les familles, agglutinées derrière la fenêtre-guichet, attendent la mise à prix de leurs morts.

Les enchères s’étirent, on se perd de conjectures en détails et on va jusqu’à évoquer la mise en vente du pays… En bref, les choses sont très linéaires mi-cocasses mi-pathétiques mais on tourne plutôt en rond. Seules quelques percées poétiques donnent des respirations au texte de Sinzo Aanza – artiste de RDC, également plasticien – où chiffrer le prix des morts, morts qu’on s’invente parfois, s’avère une addition complexe à réaliser et souvent caricaturale.

La mise en scène d’Aristide Tarnagda – homme de théâtre burkinabé, directeur des Récréâtrales de Ouagadougou – confirme cette linéarité, d’autant que la scénographie barre l’horizon et contient la population du quartier, nous privant des éclats pleins de malice des comédiennes et comédiens qui se tordent le cou pour apparaître de temps à autre. Le musicien-chanteur offre d’autres respirations, bienvenues, reprises par le collectif.

Plaidoirie pour vendre le Congo est une satire certes, mais il n’est pas sûr que la parodie démocratique (ce pseudo conseil de quartier) et les dérives politiques (des bavures militaires) prêtent à rire, ou alors elles manquent ici de finesse. L’absurde et la dérision sont des langages du théâtre mais il y a quelque chose qui, dans le travail proposé, n’aboutit pas, en cette fin de résidence que signe le metteur en scène au Théâtre Jean Vilar de Vitry.

Brigitte Rémer, le 10 juin 2021

Avec Ibrahima Bah, Serge Henri, Safourata Kabore, Nanyadji Kagara, Ami Akofa Kougbenou, Daddy Mboko, Jean-Baptiste Nacanabo, Hilaire Nana, Halima Nikiema, Rémi Yameogo. Scénographie, Patrick Janvier – assistant mise en scène, Jean-Baptiste Nacanabo – assistante scénographie, régie générale et régie plateau, Charlotte Humbert – construction, Le Grand Dehors – constructrices et constructeurs : Estelle Duriez, Charlotte Humbert, Patrick Janvier, Marie Storup – lumières Mohamed Kabore – son Hugues Germain.

Vendredi 4 juin 18h30, samedi 5 juin 18h, dimanche 6 juin 16h30, au Théâtre Jean Vilar, 1 place Jean-Vilar – 94400 Vitry-sur-Seine – Tél. : 01 55 53 10 60 – www.theatrejeanvilar.com

 

Solaris

© Geraldine Aresteanu

D’après le roman de Stanislaw Lem, traduction Jean-Michel Jasienko – adaptation, conception et mise en scène Pascal Kirsch – collaboration artistique Charles-Henri Wolff – Compagnie Rosebud – au Théâtre des Quartiers d’Ivry/Manufacture des Œillets.

L’écrivain polonais Stanislaw Lem écrit Solaris, roman de science-fiction, en 1961. La même année, Youri Gagarine effectue un premier vol dans l’espace dans le cadre du programme spatial soviétique. Un mois plus tard, aux États-Unis, John Fitzgerald Kennedy lance le programme Apollo ayant une finalité d’alunissage. L’air du temps est à l’espace, la science-fiction intéresse les écrivains.

Stanislaw Lem conte, à travers un huis-clos entre cinq personnages tous plus décalés les uns que les autres, une fable philosophique. Kris Kelvin, psychologue, est appelé à la rescousse par son collègue Gibarian travaillant sur une station orbitale où se passent de drôles de choses. La station tourne en orbite autour de la planète-océan Solaris qui avait accueilli jadis plus de soixante-dix chercheurs. Quand il arrive pour participer à l’aventure et évaluer la situation, il est intronisé par Snaut, personnage désinvolte auprès de qui il prend acte de mystérieux événements. Sur la station, il ne reste que trois scientifiques : Gibarian, qu’il n’arrive pas à rencontrer, se serait suicidé. Sartorius, invisible, opère au fond de son laboratoire dans un contexte on ne peut plus opaque, jusqu’à ce que Kelvin comprenne la présence d’êtres mis au monde par son diabolique collègue et sortant de ce laboratoire. Parmi eux et pour trouble majeur, il rencontre son ex-femme, Ava, qui s’était suicidée quelques années auparavant. Même robe, même trace de piqûre. Il reconstruit son roman d’amour, se trouble jusqu’à comprendre qu’elle n’est qu’une réplique et son double parfait, et perd pied. Son voyage sera introspectif, métaphysique et interrogatif sur la nature humaine. Les âmes mortes vont hanter la représentation et l’intelligence artificielle signer le clonage.

Andrei Tarkovski avait adapté le roman de Stanislaw Lem pour le cinéma et tourné Solaris en 1972 – pour lequel il avait obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes – comme une tentative d’apporter une nouvelle profondeur émotionnelle aux films de science-fiction. Comme il l’écrit dans Le Temps scellé : « Dans Solaris il s’agissait de gens perdus dans le cosmos et qui étaient obligés, bon gré mal gré, de gravir les degrés de la connaissance… La désespérance accablait les héros de Solaris tout au long de leur quête, et la solution que nous leur proposions était assez illusoire : elle tenait en un rêve, celui de prendre conscience de leurs propres racines, celles qui lient à jamais l’homme à la Terre qui l’a engendré. Mais ces liens étaient déjà devenus pour eux irréels. » En 2002 Steven Soderbergh tournait à son tour une adaptation du roman, avec George Clooney et Natasha McElhone et mettait l’accent sur l’histoire d’amour. D’autres adaptations ont été présentées sur scène, dont en 2015, l’opéra-ballet signé du compositeur japonais Dai Fujikura et du chorégraphe et danseur Saburo Teshigawara.

L’action prend place dans le huis-clos de la station spatiale où Gibarian enregistre le récit des événements s’y déroulant et, face à un constat d’échec, propose de la détruire. Le mystère gagne, comme cet océan informe aux pouvoirs étranges qui bientôt la recouvre et contient une forte puissance de mystère. La terreur monte chez les scientifiques, livrés à eux-mêmes et ne maitrisant plus rien, car face à leur capacité de création ils rencontrent celle de la destruction. Au bout de sa nuit, Ava finit par accepter de disparaître dans le cosmos, brisant les illusions désormais perdues de Kelvin.

La scénographie de Sallahdyn Khatir, remarquablement éclairée par Nicolas Ameil, sert bien le propos et nous place face à l’inhabituel, à la solitude, au silence de mort, à l’énigmatique. Deux cercles blancs qui pourraient évoquer des soucoupes volantes se font face, comme des sculptures dont la texture est de tissu, au centre, une troisième, au dôme inversé, occupe l’espace avant de s’élever, dégageant l’espace scénique. Le sol est recouvert de parpaings juxtaposés, créant le déséquilibre de la marche, les acteurs titubant sur ce sol mouvant et incertain.

Le spectacle nous mène dans la sensibilité de Jules Verne (De la terre à la lune, 1865), dans celle de H.G.Wells (Les premiers hommes dans la lune, 1901) et dans l’univers de Stanley Kubrick (2001 l’0dyssée de l’espace, film sorti en 1968). On est dans le récit épique et initiatique qui engage sur des thèmes comme l’extinction de la planète, la vie extra-terrestre, l’incommunicabilité. Les acteurs jouent avec justesse la montée des angoisses et dessinent les contours de leurs personnages avec précision. La création sonore de Richard Comte, par ses vibrations, s’intègre magnifiquement au thème.

La mise en scène crée l’illusion et nous place dans le regard de Kelvin, très bien porté par Vincent Guédon. Pascal Kirsch nous conduit, à l’instar du roman, entre la science-fiction et le fantastique, là où la science n’est plus qu’un danger pour l’homme. Après avoir été acteur notamment sous la direction de Marc François, puis assistant metteur en scène pour Thierry Bédard, Bruno Bayen et Claude Régy au cours de stages, il s’est lancé dans la mise en scène il y a une vingtaine d’années, montant des textes de Georg Büchner et Paul Celan, Hans Henny Jahnn et Maurice Maeterlink. Il présente ici sa vision critique du comportement humain et invite à plonger au plus profond de soi.

Brigitte Rémer, le 6 juin 2021

Avec : Yann Boudaud, Marina Keltchewsky, Vincent Guédon, Elios Noël en alternance avec Eric Caruso, François Tizon, Charles-Henri Wolff – musique Richard Comte – scénographie Sallahdyn Khatir – création lumières Nicolas Ameil – costumes Virginie Gervaise – son Lucie Laricq – conseils chorégraphiques Cécile Laloy – production, diffusion Marie Nicolini.-

Vendredi 4 juin, samedi 5 à 17h, dimanche 6 juin à 16h – Jeudi 10 juin, vendredi 11, samedi 12 à 19h – dimanche 13 juin à 18h – Théâtre des quartiers d’Ivry/Centre dramatique du Val-de-Marne, à la Manufacture des œillets, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine – Métro Mairie d’Ivry – Tél. : 01 43 90 11 11 – site : www.theatre-quartiers-ivry.com – En tournée : 1er au 3 juillet 2021, à la MC2 de Grenoble.