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Couleurs du monde

“Paysage” de Vladimir Veličković – 2004.

Collection du musée national d’Art moderne et contemporain de la Palestine – à l’Institut du Monde Arabe, Paris.

C’est la troisième fois que le président de l’Institut du Monde Arabe, Jack Lang, invite son ami et ambassadeur de la Palestine à l’Unesco, Élias Sanbar, à montrer la collection du futur musée de la Palestine, actuellement composée de quatre-cent-vingt œuvres, tous médias confondus. Pour un musée en Palestine en 2017 et Nous aussi, nous aimons l’art en 2018 en furent les éditions précédentes. L’idée de ce musée des gens solidaires avait été formulée par l’Ambassadeur il y a dix ans, sur le même mode que le Musée Salvador Allende pour le Chili, créé pendant la dictature militaire, ou comme le Musée de l’exil porté par la diaspora d’Afrique du Sud, pour dénoncer l’apartheid. Ce musée pour la Palestine était un véritable défi, il continue à l’être. « Il est essentiel dans des moments comme celui-là, non pas de s’obstiner, mais de tenir tête : aux vents contraires, aux aléas, aux menaces… » dit Élias Sanbar. La spécificité de ce nouvel accrochage c’est que « nous continuions à relever ce défi, coûte que coûte… » poursuit-il.

L’exposition Couleurs du monde propose aujourd’hui, sous le regard de l’écrivain Laurent Gaudé comme commissaire d’exposition, les œuvres des nouveaux artistes donateurs acquises au cours des deux dernières années. Loin de la guerre et des souffrances palestiniennes Laurent Gaudé a fédéré les œuvres autour de la couleur, en dialogue avec Élias Sanbar et avec l’artiste Ernest Pignon-Ernest, l’un des premiers donateurs qui avait affiché dans l’espace public palestinien, dans les rues de Ramallah et d’Hébron, des portraits dessinés du grand poète Mahmoud Darwich. Le lien de Laurent Gaudé (Prix Goncourt 2004) à la Palestine, passe justement par l’écriture de Mahmoud Darwich dont Élias Sanbar fut le traducteur.

La diversité des œuvres est au cœur du musée, avec des peintures, dessins, sculptures, photographies, bandes dessinées. Les artistes qui offrent une de leurs œuvres, sans nécessité qu’elle parle de la Palestine, posent un geste d’engagement. Ils décident d’être là. « Cette exposition est plus proche du banquet qu’autre chose. Chacun a voulu être à sa place, là, à côté des autres » dit Laurent Gaudé. Et il ajoute : « Chacun doit amener son monde à lui pour le donner à partager avec le peuple palestinien. Il s’agit d’un voyage dans les deux sens… »

La liste des plasticiens donateurs de toutes générations s’allonge. On y trouve beaucoup d’artistes européens, de Claude Viallat du mouvement Supports/Surfaces, à l’abstraction de Patrick Loste ; de la figuration libre de François Boisrond, Henri Cueco (Chiens courant), Hervé Di Rosa à la figuration narrative de Gérard Fromanger et Hervé Télémaque ; des célèbres photographies de Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson et Martine Franck (Ireland, Donegal, Tory Island) aux auteurs de bande dessinée comme Edmond Baudoin et Tardi, ou encore aux  sculptures d’artistes comme Françoise Pierson avec Toute une vie, personnage traînant derrière elle une petite malle, réalisée avec armature d’acier, journaux, terre et bois.

Une centaine d’œuvres d’artistes arabes a, au fil des ans, rejoint la collection, dont une toile de Hani Zurob, né dans la bande de Gaza et réfugié en France depuis dix ans, Stand by, un portrait géant défiguré avec du goudron et des pigments de henné, qui raconte l’exil ; dont les calligraphies de l’Algérien Rachid Koraïchi comme sa lithographie Les Maîtres de l’invisible-Al Tijâni ; dont les œuvres égyptiennes comme la toile Al-Thawra/Révolution, du peintre moderniste Hamed Abdalla et les photographies de Nabil Boutros issues d’une série intitulée Beyond/Au-delà où derrière une grille-moucharabieh sorte de labyrinthe réalisé en écriture kufique orthogonale se cache un récit du quotidien.

Couleurs du monde rend aussi hommage à l’un des premiers donateurs pour le musée national d’Art moderne et contemporain de la Palestine, Vladimir Veličković, né à Belgrade en 1935, disparu en 2019 à Paris où il s’était installé il y a plus d’une cinquantaine d’années. La pièce qu’il avait offerte, Paysage, est montrée, ainsi qu’une dizaine de ses œuvres, choisies dans son atelier et prêtées par sa famille. Ernest Pignon-Ernest disait de lui et de son œuvre : « Cette tragédie qu’il exprimait porte en elle une dimension presque métaphysique. Au fond, il s’agissait d’une représentation de la Passion, comme aurait pu le faire un chrétien, de la violence faite au corps humain. »

Cette année les nouveaux donateurs s’appellent Amadaldin Al Tayeb (L’Homme bleu), Mehdi Bahmed (Scène intérieure), Serge Boué-Kovacs (Totem de mer-Vent du large), Sophie Bourgenot (Offrande), Lise-Marie Brochen (Totem – Série des terres), Samia Cheloufi (Nouba aux oiseaux), Noriko Fuse (Recueil/ une série d’eaux-fortes), Daphne Gamble (Constructing Spaces n° 1, 2, 3), Beatriz Garrigo (Jarre 1 et 2 et Nature bleue), Stéphane Herbelin (Nature morte 1, 2, 3, 4), Ahmad Kaddour (Le Dernier et Les Autres), May Murad (You can’t go back), Stephan Zaubitzer (Le Colorado, Tripoli, Liban). Ils sont exposés parmi d’autres de la collection, qui s’enrichit magnifiquement.

« Aller dans le sens de la vie et non pas des désastres… » confirme Élias Sanbar qui porte haut les couleurs de la Palestine. C’est ce que propose l’exposition.

Brigitte Rémer, le 23 septembre 2020

Du 15 septembre au 20 décembre 2020 – Institut du monde arabe 1, rue des Fossés-Saint-Bernard Place Mohammed V – 75005 – www.imarabe.org

Voir aux mêmes dates l’exposition Mémoires partagées, photos et vidéo de la Donation Claude et France Lemand.