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Asphalt jungle

© Ludovic Giraudon

D’après le texte de Sylvain Levey, Pour rire pour passer le temps – mise en scène Laurent Maindon.

Dans le prolongement de Fuck America qu’il présente à la Manufacture des Abbesses, le Rictus Théâtre poursuit ses traversées de la violence. Après le spectre de la guerre et de l’exil, il conduit le spectateur dans les bas-fonds de l’âme humaine à travers un huis clos qui devrait le pousser vers la sortie de secours, dès les premières secondes.

Asphalt jungle est comme une partie de roulette russe où un quatuor d’hommes faisant figure de monsieur toutlemonde, s’exerce à des actes gratuits de barbarie. Sorte d’incorruptibles cyniques, ils se partagent les rôles entre donneurs d’ordre et victimes. Et le manège de la bêtise, de la manipulation et de la cruauté tourne. La montée dramatique de cette école des bourreaux rappelle les expériences de Stanley Milgram dans ses recherches sur la soumission à l’autorité : jusqu’où accepter la négation de l’autre, sa destruction ?

Brutalité, perversité, délation, veulerie, servitude et complicité, l’homme à l’état brut ordonne la torture. L’autre est contraint de l’accepter avant de devenir à son tour l’exécuteur. On est ici dans un carré d’as où deux donnent ordre et deux exécutent, où chacun devient l’agresseur de l’autre avant d’en devenir la victime. A ce jeu de colin-maillard on ne sait ni qui est qui, ni ce qui se passe dans sa tête, qui en jouit qui se rebelle. La loi du plus fort l’emporte et tout est flou à l’extrême jusqu’à l’exécution finale, d’une froideur clinique.

Le texte de Sylvain Levey entraine le spectateur dans le fait divers, signe de la dérive des sociétés, et dans le passage à l’acte. Laurent Maindon propose une mise en scène dépouillée, au plus vif du sujet et investit dans la direction d’acteurs – un remarquable quatuor : Ghyslain Del Pino, Christophe Gravouil, Yann Josso, Nicolas Sansier. Le spectateur s’accroche aux espaces musicaux, sas de décompression apportés par la musique comme bouffées d’air nécessaires, après l’apnée. Au final il ne lui est pas facile de sortir du labyrinthe, ni même d’applaudir.

   Brigitte Rémer, le 10 septembre 2018

Création lumières Jean-Marc Pinault – création son Guillaume Bariou Jérémie Morizeau  – création costumes  Anne-Emmanuelle Pradier – construction décor Thierry et Jean-Marc Pinault – adaptation du texte Loic Auffret, Claudine Bonhommeau, Christophe Gravouil, Laurent Maindon.

Du 29 août au 13 octobre 2018, Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 – métro : Abbesses, Pigalle – Du mercredi au samedi à 19h. site : www.theatredurictus.fr