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Magec / The Desert / الصحراء

Concept, chorégraphie, scénographie et lumière Radouan Mriziga (Maroc, Belgique) – dans le cadre du Festival d’Avignon, au Cloître des Célestins.

© Christophe Raynaud de Lage

Radouan Mriziga a imaginé Magec/The Desert / الصحراء à partir d’une flânerie dans le désert du Sud tunisien qu’il avait découvert il y a quelque temps. Lui est marocain, originaire de Marrakech, marqué par sa culture Amazigh. C’est de son héritage culturel qu’il parle.

Depuis plusieurs années, le chorégraphe travaille sur un triptyque inspiré des éléments et de l’environnement. La première partie s’intéressait aux montagnes de son pays et s’intitulait Atlas/The Mountain, du nom de la divinité grecque. La troisième partie parlera de la mer. Entre montagnes et mers, il évoque le désert où avec les danseurs-performeurs ils sont allés marcher, pour l’apprivoiser, rapporter des sons, des images et des textes, des sensations. Pour lui le désert est un espace de résonance, un territoire de passage, une immensité où se mêlent mythes, littérature, artisanats et savoirs culturels. Il est la lumière et le temps.

© Christophe Raynaud de Lage

Dans le Cloître des Célestins, épousant le silence troublé par le bruit du vent dans les arbres, s’affiche la pleine lune sur un sol blanc. La vision est celle d’une planète atomique, le sentiment est de solitude. Trois personnages dansent, rejoints ensuite par d’autres, dans une perception de mouvement perpétuel et de silence, construisant une fable métaphorique. Ils portent d’étranges masques et se métamorphosent en des figures-totems, troublantes et remarquablement belles (les costumes sont de Salah Barka). Dans la mythologie berbère, Magec était le dieu du soleil et de la lumière aux yeux d’anciens habitants des îles Canaries. Le spectacle se tisse d’ombre et de lumière et met en valeur magnifiquement le Cloître des Célestins, le transformant, par la magie du mouvement, en l’immensité d’un désert.

Les performeurs dessinent comme des alphabets, prennent place dans de savantes diagonales, jouent des crotales, leurs figures sont énigmatiques. On entend les cloches, au loin, le bendir donne le rythme, les musiques se croisent et se mêlent, la clarinette dans sa tessiture chaleureuse, les flûtes et les percussions (la musique, superbe, est signée de Deena Abdelwahed). Un texte en arabe est psalmodié avant de se déstructurer sur le mur, en langue anglaise et française (vidéo Senda Jebali). Une gazelle passe. Il y a quelque chose d’organique, de tellurique, d’ésotérique et d’initiatique dans la proposition de Radouan Mriziga. La métaphore du temps par l’esquisse d’un cadran solaire éclaire le spectacle.

© Christophe Raynaud de Lage

Entre le retour au silence, des instants de nonchalance et de pertes de repères, aux moments joyeux de l’échange, les six danseurs-performeurs – Hichem Chebli, Sofiane El Boukhari, Bilal El Had, Nathan Félix, Robin Haghi, Feteh Khiari – mi-dieux, mi-animaux, mi-ombres, disparaissent sous les arcades du Cloître des Célestins avant de réapparaître dans une clarté calculée (les savantes qui les accompagnent sont de Zouheir Atbane). Un solo de break dance, des duos et trios s’intègrent dans la chorégraphie, d’une grande expressivité et intensité. Les chants d’une confrérie soufie montent et les six performeurs se regroupent et tournent autour de l’arbre centenaire, sur la scène, dans un mouvement vif et enlevé. Tout est réglé avec une précision d’horlogerie. Il se dégage du spectacle une grande harmonie, beaucoup de grâce, quelque chose de cérémoniel, comme un mouvement perpétuel, de l’étrangeté.

© Christophe Raynaud de Lage

C’est en Belgique que travaille Radouan Mriziga, qui s’est d’abord formé à Marrakech, puis en Tunisie, avant de poursuivre au Performing Arts Research Studios (PARTS) de Bruxelles que dirige Anne Teresa De Keersmaecker. Il avait présenté Libya au Point Fort d’Aubervilliers en septembre dernier, dans une carte blanche donnée par le Festival d’Automne, en partenariat avec le Théâtre de la Commune (cf. notre article du 4 octobre 2024).

Magec/The Desertالصحراء a été créé en mai 2025 au Kunstenfestival des arts de Bruxelles. Le spectacle est comme une méditation sur l’humain dans son cadre naturel, sur les ancêtres et les hommes du désert, que Radouan Mriziga a questionnés, avec les danseurs. Il en restitue la fragilité et la puissance, et replace l’homme dans son infini.

Brigitte Rémer, le 18 juillet 2025

Avec : Hichem Chebli, Sofiane El Boukhari, Bilal El Had, Nathan Félix, Robin Haghi, Feteh Khiari – musique et son Deena Abdelwahed – lumière Zouheir Atbane – vidéo Senda Jebali – costumes Salah Barka – recherche Maïa Tellit Hawad – texte Kais Kekli alias Vipa. Production A7LA5 – coproduction Sharjah Art Foundation, Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Festival d’Automne à Paris, De Singel (Anvers), Festival d’Avignon, Pact Zollverein (Essen), Culturescapes (Bâle), Tanz im August (Berlin). Représentations en partenariat avec France Médias Monde

Du 7 au 12 juillet 2025 (sauf le 10), à 22h, Cloître des Célestins à Avignon – Tél. : +33 (0)4 90 14 14 60 Billetterie au guichet, en ligne ou par téléphone : +33 (0)4 90 14 14 14 – site : www.festival-avignon.com

Au “Point Fort” d’Aubervilliers

Alsarah & the Nubatones © Waleed Shah

Le Pavillon Dream City présentait un concert de Alsarah & the Nubatones et une chorégraphie de Radouan Mriziga, Libya – en partenariat avec le Théâtre de la Commune/Centre dramatique national d’Aubervilliers et la Carte blanche du Festival d’Automne, au Point Fort d’Aubervilliers.

Dans ce bel espace dit Le Point Fort, sur l’ancien territoire du Fort d’Aubervilliers et longeant le Théâtre Zingaro, au fond d’un grand terrain, on débouche sur différents aménagements dont un espace chapiteau en dur et toit de toile aux proportions intéressantes, comportant pour le concert une scène surélevée, un grand dance floor, au fond, quelques rangées de gradins. L’endroit est chaleureux.

Alsarah & the Nubatones – C’est sous ce chapiteau que se présente le groupe musical Alsarah & the Nubatones fondé en 2010 par la chanteuse, compositrice et ethnomusicologue américano-soudanaise, Sarah Abunami-Elgadi. Avec ses musiciens : sa sœur, Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux),Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion), elle cherche dans la rétro-pop d’Afrique de l’Est et, vivant à New-York, n’oublie pas son Soudan natal.

Libya © Pol Guillard

Son inspiration et ses rythmes puisent dans les chants de retour, chants traditionnels de l’espérance nubienne, pour l’Égypte, autant que dans la soul et le groove afro-américain. Le voyage et la migration nourrissent sa musique, et sa voix, intense, passe de collines en collines, déclinant les gammes pentatoniques de la musique afro-arabe soudanaise. Alsarah & the Nubatones ont déjà enregistré trois albums. Ils électrisent, dans tous les sens du terme. La majorité du public est sur le dance floor et ça swingue.

Libya, la troisième pièce du chorégraphe maroco-bruxellois Radouan Mriziga, parle de l’héritage Amazigh du Maghreb, ce peuple du désert dont le savoir et l’histoire sont notamment transmis à travers les conteurs, les chanteurs et danseurs. Au sol, sur tapis blanc, s’entrecroisent des lignes de couleur jaune, verte, rouge, formant des triangles et comme des itinéraires. A l’arrière-plan, un immense écran sur lequel sont projetés des paysages. La musique – principalement oud et percussions – et le texte sont enregistrés, le texte est en langue anglaise, je l’aurais préféré en v.o, en arabe. Les danseurs viennent de formations et d’horizons différents. Des solos de grande virtuosité, des duos et des danses collectives se succèdent sur des entrées et sorties fondues et enchaînées. Certains s’immobilisent et observent les autres. On se touche peu. A certains moments les rythmes amazighs nous emmènent dans la fête populaire, les danseurs se passent le relais, ou avancent en ligne, ou en ronde.

Méditatif, Libya appelle la mémoire collective. C’est une invitation à parcourir la palette des états de l’âme humaine – amour, joie ou tristesse, désir, passion. Des incantations accompagnent le mouvement de l’eau, la mer sur écran. Plusieurs discours se superposent. Un chant solo guide une danse solo, comme une prière. Après la mer, défilent des images de désert, le spectacle se clôt sur un chant en anglais. Dommage !

La carte blanche du Festival d’Automne, pose un geste artistique et politique à travers la création, dialogue entre les différentes pratiques et disciplines, une précieuse initiative qui permet la découverte.

Brigitte Rémer, le 24 septembre 2024

Alsarah & the Nubatones concert du 21 septembre 2024 – Avec : Sarah Abunami-Elgadi, chanteuse et les musiciens : Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux), Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion) – Ingénieur du son Mohamed Abd El Halem – Manager Mounir Kabbaj

Libya, vu le 22 septembre 2024. Concept et chorégraphie Radouan Mriziga – interprètes : Sondos Belhassen, Mahdi Chammem, Hichem Chebli, Bilal El Had, Maïté Minh Tâm Jeannolin, Senda Jebali, Feteh Khiari, Myriam Rabah-Konaté. Scénographie Radouan Mriziga – costumes Anissa Aidia & Lila John – lumières Radouan Mriziga – contribution poème And set them alight de Asmaa Jama – assistanat Aïcha Ben Miled, Nada Khomsi, Khalil Jegham.

Le Point Fort d’Aubervilliers, 174 avenue Jean-Jaurès. 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 36 34 02 – site : www.lepointfort.com et Festival d’Automne :  tél. : 01 53 45 17 17 – site : www.festival-automne.com