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Nour / ليلة النور

Nuit de lumière, célébration poétique de la langue arabe, avec l’Institut du Monde Arabe – Direction artistique et mise en scène, Julien Collardelle, Radhouane El Meddeb – Création le 15 juillet 2025 au Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph.

Qui suis-je ?  Je suis ma langue / أنا لغتي

© Christophe Raynaud de Lage

Nour est une veillée, une forme d’urgence, une Nuit de lumière qui met la langue arabe sur le devant de la scène, langue élue pour l’édition 2025 du Festival d’Avignon. Une vingtaine d’acteurs et d’actrices ont dit, chanté, psalmodié et proféré les textes et la poésie, savante et populaire, nous invitant à traverser le temps.  De l’antéislamique avec ses ensembles de poèmes, les Mu’allaqât, au raï, des mâqams originels au rap d’aujourd’hui, de l’arabo-andalou à la musique soufie, de la Geste au récit, cette unique soirée a décliné les thèmes fondateurs de la langue, des arts et de la culture arabes. « La poésie humanise l’Histoire » disait Mahmoud Darwich. Nour est aussi un geste de résistance pour « dénoncer les discriminations et les dictatures, le génocide à Gaza et l’anéantissement programmé de la Palestine » rappellent en introduction Julien Collardelle et Radhouane El Meddeb, organisateurs de la soirée. « Après la tempête il reste quoi de la ville, après la tempête il reste quoi de moi ?… »

© Christophe Raynaud de Lage

Les artistes marchent vers nous, du fond de la scène. Ils font groupe et viennent de tous les pays du Moyen-Orient, de Beyrouth, Haïfa, Palestine, Alexandrie, Damas, Abu Dhabi, Amman, Baghdad. Une première actrice prend la parole. Les textes se lisent et se disent en langue originale, ils sont traduits et lus en français ou défilent sur écran, ainsi que des projections et le nom des poètes. « Nous étions sur le chemin, puis les hirondelles se sont envolées, comme les maisons. Les femmes de partout les ont accueillies, les hirondelles ont migré, carnage après carnage. »

Ils sont tous musiciens, chanteurs, comédiens, danseurs et diseurs, tous talentueux, tous engagés, certains connus d’autres moins, tous dans cette même communion pour célébrer la langue arabe. Ils déploient toutes les tessitures de voix et nombre d’instruments entre autres flûte, violoncelle, bendir et percussions, guitare, contrebasse, qanoûn, piano, trombone, claves, mizmar, etc. Ils donnent leurs vibrations et rythmes en partage. « Ils ont pris mon amour et sont partis vers le nord. Ô colombe qui survole les cieux de Damas, ô Damas l’heure est venue, lève-toi ! »

© Christophe Raynaud de Lage

La Cour du Lycée Saint-Joseph se remplit de leurs mots. Une poétesse mystique du VIIIème siècle succède au poète syrien Burhân al-Dîn, à Rûmî le philosophe persan et Hussein Mansour Al-Hallaj de Baghdâd, à Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed de Tunisie, au poète palestinien Mohammed Al Qudwa originaire de Gaza, à la poétesse et performeuse Asmaa Azaizeh née à Dabbouriyeh (Galilée) vivant à Haïfa, au linguiste et poète libanais Saïd Aql, au grand poète de Baghdad al-Mutanabbī, et à tant d’autres. Les siècles se mélangent. Mystiques et profanes font vibrer la Cour du Lycée Saint-Joseph dans la beauté et la musicalité de la langue. « Mes larmes ont trahi ce que je voulais taire. »

© Christophe Raynaud de Lage

Jack Lang a voulu cette soirée, réalisée en partenariat avec L’Arabic Language Center d’Abu Dhabi et le Festival d’Avignon, lui qui n’a de cesse de défendre ardemment le plurilinguisme et la langue arabe en tant que Président de l’Institut du Monde Arabe. Le passé et le présent se mêlent, croisant les textes ancestraux à ceux des contemporains. Ces écritures célèbrent la nature, l’amour et l’érotisme, le sublime et l’invisible, le sacré et le populaire, le destin humain et croisent vie quotidienne, mythes, exil, révolte, résistance et liberté.

Nour est une soirée de lumière et de sens, de partage, qui rassemble de nombreux talents à travers des thématiques fondatrices. C’est une superbe initiative! « Voici ma langue, collier d’étoiles au cou de ceux que j’aime. Soyez le confluent entre mon corps et l’éternité du désert. »

Brigitte Rémer, le 28 juillet 2025

Avec : Lynn Adib, Mohammed Al-Qudwa, Nadim Bahsoun, Rim Battal, Nawel Ben Kraïem, Walid Ben Selim, Rodolphe Burger, Abo Gabi, Nidhal Jaoua, Naïssam Jalal, Ahmad Katlesh, Sary et Ayad Khalifé, Xamter Laureti, Mahdi Mansour, Emel Mathlouthi, Xalter Maureti, Abdullah Miniawy, Hala Mohammad, Ashtar Muallem, Jumana Mustafa, Lobna Noomen, Maryam Saleh, Naghib Shanbehzadeh, Samaa Wakim – Direction artistique et mise en scène, Julien Collardelle, Radhouane El Meddeb – Vidéo Randa Mirza – Consultants poésie Rima Abdul-Malak, Farouk Mardam-Bey – Direction technique Manuel Desfeux – Régie son Stéphane Bureau, Audrey Schiavi – Coproduction Institut du Monde Arabe avec le soutien de Abu Dhabi Arabic Language Centre, Festival d’Avignon – Avec le soutien de Souffle collectif – Remerciements à Jalila Bouhalfaya-Guelmami et son équipe, et à la Bibliothèque de l’IMA.

Nour / Nuit de lumière, célébration poétique de la langue arabe – Création le 15 juillet 2025 au Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, 62 rue des Lices, Avignon – Festival d’Avignon : tél. : +33 (0)4 90 14 14 60 Billetterie au guichet, en ligne ou par téléphone : +33 (0)4 90 14 14 14 – site : www.festival-avignon.com

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Le Lac des Cygnes

© Agathe Poupeney

Chorégraphie Radhouane El Meddeb – Musique Piotr Ilitch Tchaïkovski – Pièce pour 32 danseurs, Ballet de l’Opéra national du Rhin, Compagnie de Soi – Orchestre Philharmonique de Strasbourg, à Chaillot/Théâtre national de la Danse – en collaboration avec le Printemps de la danse arabe.

Reprenant le scénario de l’intemporel Lac des Cygnes, évocation purement romantique liée à la danse classique pendant de nombreuses années, il est intéressant de réentendre le conte pour en comprendre les adaptations : Venant de fêter sa majorité, le jeune prince Siegfried se voit contraint par sa mère de se choisir une épouse au cours d’un grand bal qu’elle organise. Mécontent, il erre la nuit dans la forêt et admire une passée de cygnes qu’il croise. Il s’apprête à tirer sur l’un d’eux mais apparaît devant lui, comme par magie, une belle jeune femme couverte de plumes blanches. Le coup de foudre est réciproque et Odette lui raconte l’histoire du sorcier von Rothbart qui lui a jeté un sort, la transformant en cygne le jour et lui permettant de redevenir femme la nuit. Le lac est fait des larmes de ses parents, morts au même moment. Siegfried, fou amoureux voudrait récupérer la belle et élucubre des plans. Le jour du bal, se présentent le sorcier et sa fille Odile, tous deux métamorphosés. Odile est le sosie d’Odette et Siegfried tombe dans le piège, promettant à celle qu’il prend pour son aimée, des noces prochaines. Au moment de la célébration apparaît Odette en majesté. Devant sa terrible erreur, Siegfried court vers le lac des cygnes. Plusieurs versions clôturent dans un climat de pur romantisme, douleur et mort à la clé.

Noureev fut la figure phare du Prince, il avait monté le ballet en 1984 à l’Opéra de Paris. Il expliquait sa vision du ballet en ces termes : « Le lac des cygnes est pour moi une longue rêverie du prince Siegfried… Celui-ci, nourri de lectures romantiques qui ont exalté son désir d’infini, refuse la réalité du pouvoir et du mariage que lui imposent son précepteur et sa mère…  C’est lui qui, pour échapper au destin qu’on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du lac, cet « ailleurs » auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête avec l’interdit qu’il représente. Le cygne blanc est la femme intouchable, le cygne noir en est le miroir inversé. Aussi, quand le rêve s’évanouit, la raison du prince ne saurait y survivre. »

Une toute autre vision, non moins romantique et d’une grande beauté est proposée aujourd’hui, celle de Radhouane El Meddeb qui créé ce Lac des Cygnes avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin dirigé par Bruno Bouché. Il déconstruit le mythe et les actes tels qu’écrits, y ajoute l’humour et la liberté, tout en rappelant la tradition : derrière un voile, un lustre imposant tombe en fond de scène côté jardin et un tutu géant est suspendu côté cour. Des portants de chaque côté du plateau sur lesquels sont accrochés des tutus blancs, font aussi référence au ballet classique et à ses conventions (scénographie de Annie Tolleter). Les trente-deux danseurs sont quasiment présents sur scène pendant tout le ballet. « Je fais du Lac un réservoir d’espoir, un lieu de renouvellement contre la perte et l’oubli » dit le chorégraphe. Les costumes (de Celestina Agostino) sont sublimes et parlent aussi de tradition par la noblesse des tissus, les broderies et dentelles, ils sont en même temps d’une grande invention et contemporanéité, donnant une impression de fragilité et d’unité dans leur diversité.

En s’attaquant à ce monument, Radhouane El Meddeb, homme de théâtre avant d’être chorégraphe, travaillant entre la Tunisie et la France, en fait une lecture fine et pertinente qui l’éclaire, dans une interprétation personnelle et singulière. Il s’approprie le mythe et parle d’altérité. Ici pas de solistes, tous les danseurs sont à un moment le prince, et les danseuses Odette, les protagonistes se démultiplient. Même si la dramaturgie ne privilégie pas la relation entre Odette et le Prince, on remarque le charisme de Riku Ota, prince du début avant de redevenir cygne et le magnétisme de Céline Nuningé en Odette. La question du genre est aussi posée par le chorégraphe se donnant toute liberté d’inverser le féminin et le masculin. Ainsi les solos et variations se répartissent entre les danseurs et danseuses, dont l’excellence est à saluer.

Dans sa réinterprétation chorégraphique du Lac des cygnes, Radhouane El Meddeb croise l’imaginaire et invite la grâce de manière hybride et loufoque, dépouillée et harmonieuse. Le symbolique y est en action dans un mouvement de balancier entre forme classique et liberté d’invention. Ainsi, le geste, individuel d’abord, puis collectif, de délacer les chaussons et les pointes, et de les jeter dans un coin du plateau, peut être compris comme un clin d’œil à l’abandon du langage académique. Ainsi le dernier tableau comme un retour au mythe, par la mort de Siegfried après la disparition de sa bien-aimée, le cygne blanc.

Les lumières d’Éric Wurtz irisent le délicat rideau de fond. Une grande expressivité et une puissante Intensité émotionnelle habitent le spectacle.

Brigitte Rémer, le 2 avril 2019

Avec les danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin : Monica Barbotte, Érika Bouvard, Susie Buisson, Marin Delavaud, Pierre Doncq, Ana-Karina Enriquez-Gonzalez, Hector Ferrer, Brett Fukuda, Eureka Fukuoka, Thomas Hinterberger, Misako Kato, Pierre-Émile Lemieux-Venne, Renjie Ma, Stéphanie Madec-Van Hoorde, Francesca Masutti, Céline Nunigé, Riku Ota, Alice Pernão, Maria-Sara Richter, Marwik Schmitt, Wendy Tadrous, Alexandre Van Hoorde, Hénoc Waysenson, Dongting Xing. Scénographie Annie Tolleter – lumières Eric Wurtz – costumes Celestina Agostino – direction artistique Bruno Bouché – maîtres de ballet Claude Agrafeil, Adrien Boissinnet – direction technique Jérôme Duvauchelle – régie générale Boyd Lau – pianiste Maxime Georges – machinerie Jérôme Neff – régie lumières Aymeric-Cottereau – accessoires Régis Mayot – habillement Kali Fortin – régie son David Schweitzer.

Du 27 au 30 mars 2019, à Chaillot-Théâtre national de la Danse, Place du Trocadéro, 75016 – métro : Trocadéro – tél. : 01 53 65 30 00 – site : www.theatre-chaillot.fr