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Fantasmagoria

© Martin Argyroglo

Conception, mise en scène, scénographie Philippe Quesne – création musicale, Pierre Desprats – au Centre Georges Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne.

Le rideau noir ouvre sur une forêt de pianos dépareillés en toutes positions et configurations, couchés sur le flanc, ouverts ou fermés, qui ont envahi l’ensemble du plateau. Certains commencent à se mettre en mouvement, l’un pivote, l’autre s’envole, un couvercle va et vient. L’un s’enflamme puis l’autre.

Un tulle les sépare du public sur lequel se projettent des danses de mort. De grands squelettes dégingandés passent en flottant comme en un ballet aquatique, en boucle. Ils traversent l’écran ou tournent en rond comme les détenus du tableau de Van Gogh, La Ronde des Prisonniers ou font penser à ceux de La Ballade des Pendus, de François Villon. « Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les coeurs contre nous endurcis… » Ils évoquent aussi l’intimité des Mexicains avec la mort, et les images qui l’illustrent.

Des sons se croisent et se chevauchent, quelques paroles sont chuchotées dans les micros, la création musicale de Pierre Desprats réchauffe un peu l’ensemble. Les univers sonore et plastique se croisent. Éclairs, tonnerre, crescendos-decrescendos. Lors du bouquet final, tous les pianos flambent, techniquement tout est réglé au cordeau.

Mais ce qui pouvait sembler extravagant à la fin du XVIIIè siècle, la présentation de spectacles de fantasmagories, ne l’est plus vraiment aujourd’hui où nous sommes saturés d’images. Le spectacle se créait à partir des lanternes magiques, tout d’abord baptisées lanternes de peur ou cassettes des illusions, dont le motif artistique populaire était la danse macabre. Pionnier des fantasmagories, Étienne-Gaspard Robertson (1763-1837) avait beaucoup de cordes à son arc – il était peintre, dessinateur, physicien-aéronaute, mécanicien, opticien et mémorialiste – et projetait sur un écran de toile ou de fumée des tableaux miniatures peints sur des plaques de verre, cherchant à frapper vite et fort l’imagination d’un public. Ses activités scientifiques et esthétiques étaient significatives des croisements qui s’opéraient entre les arts et les sciences, à la fin du siècle des Lumières et après la Révolution.

Philippe Quesne aujourd’hui met les pieds dans ses traces. Il a étudié les arts visuels, le design visuel et la scénographie avant de fonder il y a vingt ans un laboratoire d’innovation théâtrale et de collaboration entre peintres, acteurs, danseurs et musiciens, Vivarium Studio. Pendant huit ans, de 2014 à 2022, il a dirigé le centre dramatique national Nanterre-Amandiers, il est maintenant directeur artistique de la Ménagerie de verre et présente deux autres spectacles dans le cadre du Festival d’Automne, Cosmic Drama à la MC93 Bobigny et Le Chant de la terre/Das Lied von der Erde de Gustav Malher au Théâtre du Châtelet.

Avec Fantasmagoria le metteur en scène et plasticien tente de nous proposer quelques sensations extra-ordinaires mais il y a fort à parier que la conception du spectacle l’a plus amusé – ainsi que ceux qui l’ont assurée avec lui – que sa réception n’amuse le spectateur, qui a même le temps de s’ennuyer. « J’ai rêvé Fantasmagoria comme un théâtre d’objets automatisés, une attraction sans humains, sans comédiens sur scène, une pièce pour quinze pianos esseulés et quelques fantômes qui en sont les acteurs » dit-il. Mais la figure de style y suffit-elle ? On a simplement envie de demander : so what ?

 Brigitte Rémer, le 11 novembre 2022

Collaboration artistique, Élodie Dauguet – lumière, Nico de Rooij – voix, Isabelle Prim, Èlg, Pierre Desprats – collaboration dramaturgique, Éric Vautrin – assistante, Fleur Bernet – animation 3D, Bertran Suris, Philippe Granier – régisseur général, Marc Chevillon – construction des décors, Atelier du Théâtre Vidy-Lausanne.

Du 3 au 5 novembre à 20h, le 6 novembre à 17h – au Centre Georges Pompidou, 46 rue Beaubourg. 75004. Paris – tél. : 01 44 78 12 33 – site : www.centrepompidou.fr et www.festival-automne.com – tél. 01 53 45 17 17