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Les Conséquences

Texte et mise en scène Pascal Rambert – scénographie Aliénor Durand – lumière Yves Godin – costumes Anaïs Romand – musique Alexandre Meyer – au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, dans le cadre du Festival d’Automne.

© Louise Quignon

C’est le premier volet d’une trilogie annoncée par Pascal Rambert. Suivront Les Émotions en 2027 puis La Bonté, en 2019, avec la même équipe. L’auteur metteur en scène mêle plusieurs générations d’acteurs. Aux plus anciens – Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Jacques Weber – se sont joinst de jeunes acteurs sortant des écoles du Théâtre National de Bretagne et du Théâtre National de Strasbourg – Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Mathilde Viseux – et ce n’est pas qu’un effet de style, à travers eux Pascal Rambert nourrit son inspiration de la perception et de l’observation du temps.

Et quoi de plus volatile que le temps ? Pascal Rambert le mesure à travers trois générations d’une même famille, « à la fois dans la fiction, et dans le vieillissement des acteurs » ce qui explique son envie de mettre en place sur plusieurs années un processus créatif et de suivre chacun d’entre eux, en même temps que l’évolution de leurs personnages.

© Louise Quignon

Dans Les Conséquences, il met en scène les rituels familiaux qu’on choisit, ici deux mariages et ceux qu’on ne choisit pas, deux enterrements, décortique les émotions et réactions de chacun et les interactions des arrière-cuisines. Trois générations se font face et se parlent frontalement, imaginent, interprètent, s’agacent, ont des envolées. Pour Pascal Rambert, qui a donné aux personnages les prénoms que portent les acteurs et actrices dans la vraie vie, « la parole est une arme, mais c’est aussi un aveu d’impuissance. » Il nous fait traverser des zones d’étrangeté et d’incommunicabilité. La scénographie construit le huis-clos duquel chacun entre et sort, blanc clinique éclairé par des rangées de néons bien ordonnées. L’intérieur de cette bulle à usage polyvalent, lieu de fête autant que de mort, est vaste et contient deux rangées de grandes tables et des bancs. Le jeu des portes qui claquent donne le tempo (scénographie Aliénor Durand, lumière  Yves Godin).

Acte 1 – Le spectacle débute sur une ode funèbre devant l’urne de la grand-mère âgée de cent-six ans. Les différentes générations s’affairent, parents, enfants, gendres, belles-filles et petits enfants. Les robes joliment colorées virevoltent (costumes Anaïs Romand), les hauts talons scintillent, les scènes de ménage fusent, les portes claquent. « Je choisirai mon urne » dit celui qui enterre sa mère, académicienne (Jacques Weber). On est dans la bonne bourgeoisie, BCBG, où l’on est diplomate, préfet, psychiatre, journaliste, écrivain, tout le package de ceux qui, forcément, ont fait les grandes écoles. La mort de la doyenne marque le délitement de la famille. Laurent, l’ex d’Audrey, épouse de Stan, ré-apparaît.

© Louise Quignon

Acte 2 – On enchaîne, passant du noir théorique au blanc. Paul et Jisqua se marient, les boules à facettes sont suspendues, pourtant ça commence mal et ça s’énerve, la corbeille de la mariée a été oubliée sur le hayon de la voiture, drame à l’horizon. La grand-mère vêtue de parme (Marilú Marini) y va de ses « de mon temps… » Les uns et les autres se racontent. Le jeune marié est acteur « entrepreneur de lui-même » dit-il. Dans ce milieu cultivé on lui parle de la Falconetti qui avait présenté L’Échange, de Claudel à Buenos-Aires. Les conflits de génération s’attisent. On poursuit dans les clichés, quand bien même ils seraient au second degré, rien de bien nouveau sous le soleil.

© Louise Quignon

Acte 3 – Retour sur la mort. Ode funèbre adressée à une jeune fille qui s’est défenestrée. Nouveaux scandales et couples qui se font et se défont. Les jeunes mariés déjà se séparent, pour divergences concernant l’envie ou non d’avoir un enfant, lui le voudrait, elle non. Stan vient récupérer ses affaires, laissant la place à son rival, l’ex d’Audrey, et s’explique avec son beau-père. Pascal Rambert truffe son texte de références l:  petites allusions à la psychanalyse, Lacan-ci Lacan-là ; pas de côté, sur l’antisémitisme ; zeste des films de Chris Marker, « le fond de l’air est rouge… » ; satire de la politique. Anne se raconte. Jamais de kaïros jamais le moment de parler se plaint-elle.

Acte 4 – Même les apparences ne sont plus sauves. Retour vingt ou trente ans en arrière. Pimpante et perruquée Marilú Marini fait du gringue à Laurent, et marie ses deux filles, enceintes. Jacques, son époux, ne se sent pas bien, ses filles annoncent qu’il perd la tête. Hélène et son époux se recollent, le diplomate démissionne. Stan court après son épouse qui attend que Laurent se décide : « Reste ! Tu as compté dans ma vie » lui dit-elle. Jacques fait allusion à Tchékhov, La Cerisaie, pièce faite de ces petits-riens… « Je déteste le théâtre » lance-t-il. Il reste seul et regarde autour de lui. « Ils sont tous partis, ils m’ont tous oublié » dit-il, pathétique, « comme si je n’avais pas vécu… Comme il fait nuit !»

La satire de ce milieu de gauche bien formaté n’a rien de très passionnant et Les Conséquences nous mènent dans un entre-soi plutôt banal où Pascal Rambert, côté texte, s’ingénie à la platitude blanchie sur pré. Il est heureusement bien servi par des acteurs qui eux semblent s’amuser dans leurs humeurs et cavalcades débridées. La dramaturgie repose sur la chorégraphie des entrées et sorties, les claquements de porte donnent le rythme, ça brasse de l’air mais ça brasse, alors on suit la géométrie des couples qui se font et se défont et le mi-cuit des conflits de générations.

Brigitte Rémer, le 20 novembre 2025

Avec : Audrey Bonnet, Anne Brochet, Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Mathilde Viseux, Jacques Weber -Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert – lumière Yves Godin – costumes Anaïs Romand – musique Alexandre Meyer – scénographie Aliénor Durand – collaboration artistique Pauline Roussille – régie générale Félix Lohmann – régie lumière Thierry Morin – régie son Baptiste Tarlet – régie plateau Antoine Giraud – habilleuse Marion Régnier – répétiteur José Pereira – direction de production Pauline Roussille – administration de production Sabine Aznar – Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Du 3 au 15 novembre 2025 à 20h, le dimanche à 15h, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro Châtelet. Tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredelaville-paris.com – En tournée : 2 au 5 décembre 2025, à Bonlieu/scène nationale d’Annecy – du 17 au 19 décembre 2025, au Centre Dramatique National Nice-Côte d’Azur.