Archives par étiquette : Paris Quartier d’été

Naïssam Jalal et son groupe Rhythms of Resistance

© Paul Evrard

© Paul Evrard

Avec Mahdi Chaïb saxo ténor et soprano, percussions – Karsten Hochapfel guitare et violoncelle – Matyas Szandai contrebasse – Arnaud Dolmen batterie percussions. Concert donné dans le cadre de Paris Quartier d’été.

Née à Paris de parents syriens, Naïssam Jalal est une magnifique flûtiste formée au classique et qui connaît tout autant le nay – cette flûte de roseau moyen orientale – pour l’avoir travaillé à Damas. Ses compositions font voyager entre l’orient et l’occident. Les mots qu’elle énonce ce soir-là sont à l’adresse du peuple de Syrie, le tragique habite le plateau. Elle fait figure d’une Antigone dans sa simplicité et sa fierté, dans son engagement.

Entourée du quintette qu’elle a fondé en 2011 avec des musiciens venant de différents pays, son inspiration est métisse et son style éclectique. Elle traverse la world music autant que le jazz et le rap, passant par le tango ou l’afrobeat. « Ma musique est unique et singulière d’abord parce qu’elle est l’expression de ma singularité propre : femme, musicienne, syrienne et française, arabe et européenne, à la fois nomade et sédentaire, à la recherche des traditions et de l’inconnu… » Elle a exploré les ressources musicales du Liban et de l’Egypte et travaillé avec les grands maîtres dont Abdo Dagher au Caire, virtuose du violon. Elle a accompagné le rappeur libanais Rayess Bek en France, au Liban et au Maroc et se produit souvent en tournée avec le joueur égyptien de oud, Hazem Chahine. Son premier album Aux Résistances est sorti en 2009, elle vient de composer les huit thèmes de son nouvel album, intitulé Osloob HayatiMa façon de vivre – où se retrouve la même diversité des registres. Elle tourne aussi dans le monde avec son duo Noun Ya.

Au cours des six soirées données dans le cadre de Paris Quartier d’été, Naïssam Jalal présente un invité et dialogue musicalement avec lui. Ce soir-là, ils sont deux : Médéric Collignon qui joue de tous les cornets et bugles en jazz et musiques improvisées, et le rappeur et producteur palestinien Osloob, fondateur du groupe Katibeh 5 que Rhythms of résistance accompagne en une alchimie musicale singulière.

Autour du Kiosque à musique dans le jardin du Luxembourg le public est nombreux, assis au sol ou sur des chaises, debout aussi, silencieux et attentif. Il porte, par sa qualité d’écoute, Naïssam Jalal et sa belle équipe. La magie opère, des solos aux ensembles, les arpèges s’envolent ou se déstructurent, et parfois la flûte pleure.

Brigitte Rémer, 5 août 2016 – Jardin du Luxembourg

27 juillet Square des Amandiers (75020) – 29 juillet Musée du Quai Branly (75007) – 31 juillet Parc de la Butte du Chapeau Rouge (75019) – 2 août Jardin des Tuileries 75001) – 5 août Jardin du Luxembourg (75006) – 6 août Jardin de la Folie Titon (75011)

 

Face Nord

© Milan Szypura

© Milan Szypura

Spectacle présenté dans le cadre de Paris Quartier d’été. Mise en scène Compagnie Un loup pour l’homme et Pierre Deaux – Acrobates : Alexandre Fray, Mika Lafforgue, Arno Ferrera et Alexandre Denis.

Aussi virtuoses que des alpinistes escaladant la Face Nord des Grandes Jorasses, ils occupent le petit espace carré recouvert de tatamis au centre de la belle cour intérieure du Centre culturel irlandais. Les spectateurs les entourent sur quatre côtés, intégrés dans la scénographie. Ce soir-là la pluie s’est invitée et les tatamis sont protégés. Il est remis aux spectateurs un imper de type cycliste dans lequel ils s’enroulent en attendant la fin de l’averse.

Pas de texte, le travail est physique, énergétique et les figures créées s’apparentent – impressions de départ – aux gladiateurs et jeux du cirque, à l’arène, il n’en est rien. Tout est plus subtil. La concentration est maximale, le jeu des regards donnent les tops du départ et lève les énergies. Quatre hommes, virils et plein de grâce, d’une attention et précision inouïes, construisent des histoires et figures à couper le souffle à partir d’un travail de main-à-main. Nous sommes plus près de la chorégraphie ou du jeu d’enfants avec sa poétique et son sens de l’illusion, que du sport. Ils sont partout : devant, derrière, en haut, en dessous, avec la fluidité et la rapidité des lynx.

L’écriture scénique donne un cadre d’une grande précision qui sert de garde-fous, et les acrobates-acteurs restent en état de veille sur ce qui peut advenir, sur l’inattendu. Ils trouvent les points névralgiques pour ne pas se faire mal en s’escaladant, marchant, courant, sautant, tombant, se déséquilibrant, s’attrapant, se portant, selon le poids et la force de chacun, son rôle au sein du collectif, sa personnalité. Ils étaient au départ deux acrobates : le porteur français Alexandre Fray et le voltigeur québécois Frédéric Arsenault, rejoints par le puissant Mika Lafforgue et la voltige d’Alexandre Denis. Appris par corps, fut la première pièce présentée par la compagnie en 2005 et jouée plus de deux cents fois dans le monde, suivie en 2006 de Grand-mère, qui questionnait la pratique de porteur au contact de personnes âgées.

Créé en 2011, Face Nord tourne depuis cinq ans et treize ou quatorze personnes l’ont porté, à la recherche des limites. Quatre acrobates jouent avec les figures masculines imposées que sont la compétition, la puissance, la violence et la combativité, mais de ce quatuor se dégage une grande délicatesse et de la douceur ; c’est virtuose et toujours aux frontières, soutenu par la musique qui à certains moments les porte – entre Schubert et Mahler – avec la même force.

« Notre cirque : un art d’action vers la recherche d’humanité » tel est leur manifeste. Ils oscillent entre force et fragilité, grandeur et faiblesse, repoussant leurs limites, partent de l’intuitif et de l’instinctif pour construire sur un mode très élaboré le sens du spectacle. L’engagement physique et la virtuosité acrobatique, l’émotion et le sensible, le sens de l’humour et celui de la tragédie, la construction dramaturgique, font de cette Face Nord un magnifique moment d’humanité.

Reinhold Messner homme de la haute montagne leur sert de guide : « On part ensemble vers des lieux sauvages. Tant pis si l’autre fait demi tour ensuite. Ce qui est important c’est l’expérience partagée, et non le fait de continuer ensemble. Pour atteindre le sommet à partir du dernier camp, il ne faut que quelques heures, et quelques heures pour en revenir, cela peut très bien s’effectuer seul. Mais partir seul de tout en bas, c’est une autre affaire. Soudain, l’autre vous manque. Quelqu’un sur qui l’on puisse compter, avec qui l’on puisse partager la peur et le bonheur, quelqu’un qui, comme soi même, ait besoin de l’autre. »

Avec Un loup pour l’homme, c’est une histoire d’hommes qui s’écrit, une histoire d’art et de fraternité.

Brigitte Rémer, 4 août 2016

Dramaturgie Bauke Lievens – Création sonore : Jean-Damien Ratel – Costumes : Emmanuelle Grobet – Équipe technique : Pierre-Jean Faggiani, Laurent Mulowski.

Du 2 au 6 août 2016, à 20h – Centre culturel irlandais 5 rue des Irlandais. 75005. Métro : Place Monge ou Cardinal Lemoine. Site : www.quartierdete.com

 

 

« Inhancutilitatem » et « Petit Psaume du matin »

© Josef Nadj

© Josef Nadj

Dans le cadre de Paris Quartier d’été, Josef Nadj expose ses photographies au Collège des Bernardins sous le titre Inhancutilitatem et présente sa chorégraphie Petit Psaume du matin en duo avec Dominique Mercy, au Centre Culturel Irlandais.

En pénétrant dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins où sont exposées vingt-cinq photographies de Josef Nadj, un bleu, infini, nous saisit – indigo, bleu de Prusse, lapis-lazuli ou cyan – le bleu chaud du rêve. De fines fleurs blanches de différentes variétés se tissent à la couleur et étalent leurs pétales comme de belles endormies en un langage proche des signes d’Henri Michaux. C’est l’herbier de Josef Nadj, son espace du dedans.

Le danseur chorégraphe, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans pendant une vingtaine d’années, est aussi plasticien. Il photographie et se déplace entre la mobilité et l’immobilité à la recherche des contraires, après avoir découvert il y a un an, la démarche de la britannique Anna Atkins. Au XIXème siècle, la botaniste travaillait l’image photographique par cyanotype pour l’illustration de ses herbiers, qu’elle publia à partir de 1843. Cet art de la photographie exposant des objets à la lumière sur une surface photosensible – les photogrammes – donne au tirage un bleu des plus profonds. Josef Nadj pose les pieds dans les traces des scientifiques anglais John Herschel et William Henry Fox Talbot, précurseurs de la photographie et emboite le pas à Anna Atkins. Il s’empare de la technique pour construire son entre-deux monde visuel et comme il le fait sur scène avec Petit Psaume du matin, invite à la méditation.

Pour réaliser ses photographies, Josef Nadj s’en est allé dans les jardins, au petit matin, mêlant le plaisir de la nature à la recherche d’empreintes végétales. A l’écoute de la musique des plantes comme de la musique du cosmos, il s’est posté aux aguets, a observé les plantes auxquelles d’ordinaire on ne prête pas attention et dialogué avec elles, laissé passer les saisons, organisé la cueillette. C’est un travail minutieux et obsessionnel dont il a parlé le jour du vernissage, en dialogue avec l’écrivain et poète Jean-Christophe Bailly.

Parallèlement à l’exposition, Paris Quartier d’été a eu la belle idée de programmer pour cinq représentations dans la cour du Centre culturel Irlandais, la chorégraphie de Josef Nadj intitulée Petit Psaume du matin. C’est un duo qu’il interprète avec Dominique Mercy, danseur emblématique de Pina Bausch, exploration lente et infinie de l’espace – aussi infinie que son bleu, enluminures en mouvement, parcours de l’absurde en référence à Beckett et à l’invitation au voyage faite par Mercier et Camier, ses personnages. Les corps glissent dans l’espace au frémissement de la musique, comme au ralenti ou en fondu enchaîné. « Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur… » dirait Baudelaire et le fondu au noir emmène, au fil de la nuit qui tombe – le spectacle est en plein air et sans éclairages – jusqu’à la coupe douce finale. L’image est reine et les musiques viennent de loin – du Cambodge, de Macédoine, de Roumanie, d’Egypte et de Hongrie – complétées de celles de Michel Montanaro, elles apportent la sérénité.

Dans ces territoires de silence, sur scène comme sur les murs des Bernardins, Josef Nadj poursuit son chemin, solitaire et singulier. Il retient le spectateur-visiteur par son regard poétique et l’écriture de lumière des nuits bleues de son imaginaire.

Brigitte Rémer, 26 juillet 2016

Inhancutilitatem, au Collège des Bernardins, du 21 au 29 juillet : lundi au samedi de 10h à 18h, dimanche et jours fériés de 14h à 18h, 20 rue de Poissy. 75005. Tél. : 01 53 10 74 44 – Petit Psaume du matin, au Centre culturel irlandais les 18, 19, 21, 22 et 23 juillet à 20h, 5 rue des Irlandais. 75005. Métro : Place Monge ou Cardinal Lemoine. Site : www.quartierdete.com

 

 

 

 

 

 

 

 

Sans objet

© Aglaé Bory

© Aglaé Bory

Théâtre visuel d’Aurélien Bory, dans le cadre du programme Paris Quartier d’été, au Théâtre de la Cité Internationale.

Multiforme, le travail d’Aurélien Bory côtoie toutes les disciplines entre autre la danse, les arts visuels, le théâtre, le cirque et la musique. Il inscrit la question de l’espace au cœur de sa démarche et crée ses propres scénographies. C’est un agité des sciences et des techniques, ses spectacles sont forcément singuliers et ne se ressemblent jamais. Bory expérimente et emballe sa vision dans une enveloppe poétique, burlesque et dérisoire. Dans Sans objet, la protagoniste est une machine à bras de fer, articulée, ni ange ni bête, plantée là, au milieu du plateau, lourde et gracieuse.

Comme Christo emballait son Pont-Neuf, Bory emballe sa machine infernale, dévoilée par deux acteurs acrobates vêtus de noir, jouant les petits mécanos à la Keaton, et coud l’espace de ses super marionnettes sorties de chez Kleist. Mais la messe est vite dite entre une machine à la mobilité sous contrôle qui mène la danse et règne en maître, et deux petits personnages animés qui tentent le dialogue avec la belle inconnue. David contre Goliath, l’absurde au rendez-vous. « Les acteurs n’avaient qu’une consigne. Être réceptif, passif, se laisser guider, s’accrocher. Ainsi Olivier Alenda et Olivier Boyer ont adapté leur corps à celui du robot… » dit le metteur en scène.

La bâche plastique qui, au début, recouvrait la machine, dans la dernière partie dérobe le premier rôle et brusquement se dresse en rideau de scène. Le premier impact d’une balle comme perdue, tirée du plateau, surprend le spectateur pris pour cible, puis deux puis trois, puis de nombreux impacts viennent faire des trous dans l’emballage, laissant filtrer la lumière comme des étoiles voie lactée ou comme dans les bains maures les faisceaux de lumières venant du plafond.

« Complètement sorti de son contexte industriel, le robot devient inutile. Et dans sa fonction perdue ne nous rappellerait-il pas la nature de l’art : être absolument sans objet ? » dit Aurélien Bory. On s’ennuie quand même un peu car l’incarnation machine et sa mise en contexte sont d’acier trempé. Le débat sur le rôle de l’art reste ouvert.

 Brigitte Rémer

Avec Olivier Alenda et Olivier Boyer – conception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory – pilote programmation robot Tristan Baudouin – composition musicale Joan Cambon – Création lumière et régie générale Arno Veyrat – Conseiller artistique Pierre Rigal – assistante à la mise en scène et costumes Sylvie Marcucci – sonorisation Stéphane Ley – décor Pierre Dequivre – accessoire moniteur Frédéric Stoll – patine : Isadora de Ratuld – masques Guillermo Fernandez.

Vu au Théâtre de la Cité Internationale, 17 Boulevard Jourdan. 75014. www.theatredelacite.com et wwww.cie111.com. Paris quartiers d’été 2015.