D’après William Shakespeare – Mise en scène Arnaud Churin – traduction, adaptation et dramaturgie Emanuela Pace – au Théâtre de la Ville/Les Abbesses.
Un plateau gris bleu pour une scénographie sobre (Virginie Mira) et d’élégants costumes (Sonia Da Sousa), sert une gestuelle et des déplacements passant par le filtre des arts martiaux. Trois voiles de cette même nuance gris bleu, découpes en forme de maisons, sont amarrées et font fonction de cloisons mobiles, délimitant les différents espaces de jeu où se déroule l’action. Écrite en 1604, Othello est une pièce de la trahison, de la destruction, du meurtre et de la différence. Shakespeare pense son personnage éponyme comme un personnage noir de peau dans un contexte blanc – n’est-il pas le Maure de Venise, sous-titre de la pièce ? – C’est l’étranger. Ici, Arnaud Churin inverse le jeu et fait d’Othello le seul personnage blanc de la pièce, tous les autres rôles sont assurés par des acteurs noirs. La traduction de la pièce, par Emanuela Pace, prend en compte cette donnée.
Maure affranchi et brillant devenu général des armées vénitiennes, Othello a épousé Desdémone, une beauté noble et généreuse, sans en informer Brabantio son beau-père, haute personnalité de la République de Venise. Ce mariage secret, promotion et reconnaissance pour lui, est peu apprécié, et on l’accuse d’avoir séduit la belle. Officier sous ses ordres, un temps son confident, Iago, personnage énigmatique, cultive une haine farouche à l’égard d’Othello – il pensait mériter la promotion au rang de lieutenant qui fut attribuée à Cassio – déploie sa perfidie et élabore des plans machiavéliques. Il est assisté de Roderigo, gentilhomme vénitien. Sur fond de guerre contre les Ottomans, Othello part défendre Chypre, ses officiers et sa femme l’accompagnent. Profitant d’une violente tempête qui détruit la flotte de l’ennemi, sournoisement, Iago met en place ses odieux plans en utilisant Cassio pour semer le doute dans l’esprit d’Othello quant à la fidélité de Desdémone. Manipulé par Iago, Othello tombe dans le panneau de la jalousie et donne ordre à Iago de liquider Cassio. Mais avant, sur les conseils de ce mauvais génie, il commet l’irréparable en étranglant son épouse. Quand Othello ouvre enfin les yeux, il voit sa méprise : Emilia, femme de Iago, amie et confidente de Desdémone en témoigne avant de mourir, Roderigo aurait aussi pu en témoigner s’il n’avait été assassiné, Cassio, blessé, raconte la trahison de Iago. Comprenant son aveuglement, Othello se donne la mort, aux côtés de sa femme et Lodovico, le Doge de Venise, ordonne à Cassio, successeur d’Othello comme gouverneur de Chypre, d’exécuter Iago.
Par son choix d’inversion – peau noire peau blanche – Arnaud Churin décale l’œuvre qui convoque la question noire et celle de l’altérité. Le couple shakespearien, Othello/Desdémone ici surprend (Mathieu Genêt, Julie Héga), non par cette inversion, mais on peine à lui trouver de l’harmonie : elle, est longiligne et sautillante, lui n’est pas cet habituel Otello massif, signe du chef de guerre, il en est tout le contraire. La crédibilité devient donc relative même si le nœud de la pièce le met en exergue, lui, Othello aimé et guerrier. Autour, Iago complote (Daddy Moanda Kamono), agi par les forces du mal, machination que la courageuse Emilia (Astrid Bayiha) dénonce avant de mourir en héroïne. Les autres personnages, forment comme un chœur, ils vont et viennent puis s’effacent au profit de l’histoire, les lumières (Gilles Gentner) renforcent leur côté inquiétant .
C’est une lecture imprégnée du réalisateur Akira Kurosawa que propose le metteur en scène. La gestuelle samouraï empruntée par les acteurs oblige à déplacer le regard de continents à continents. Et la ville des Doges devient une ville monde.
Brigitte Rémer, le 25 octobre 2019
Avec : Daddy Moanda Kamono, Iago – Mathieu Genet, Othello – Julie Héga, Desdémone – Nelson-Rafaell Madel Cassio – Astrid Bayiha, Emilia – Aline Belibi, Bianca et une conseillère du Doge – Denis Pourawa, le Doge de Venise et Lodovico – Jean-Felhyt Kimbirima, Roderigo – Ulrich N’toyo, Brabantio et Montano. Collaboration artistique, Julie Duchaussoy et Marie Dissais – scénographie, Virginie Mira – costumes, Olivier Bériot et Sonia da Sousa – lumières Gilles Gentner – musique, Jean-Baptiste Julie – conseil artistique et arts martiaux, Laurence Fischer – régie générale et son, Camille Sanchez
Du 3 au 19 octobre 2019 – Théâtre de la Ville/Les Abbesses – 31, rue des Abbesses, 75018 Paris – métro : Abbesses, Blanche, Pigalle – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com – En tournée : 13 au 16 novembre, Théâtre Montansier de Versailles – 23 janvier, Théâtre de Chartres – 28 et 29 janvier, Espace Malraux scène nationale de Chambéry et de la Savoie – 24 au 28 mars, Le Grant T de Nantes.
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