Chorégraphie de Marlene Monteiro Freitas (Cap Vert – Portugal) – Création Festival d’Avignon 2025, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes – en français et en anglais.
Côté cour un lit et un grand miroir, on pourrait être dans la chambre et l’espace sacrificiel des jeunes femmes consommées puis tuées au petit matin par le roi Shāhrīyār, dans les contes des Mille et une Nuits auxquels se réfère Marlene Monteiro Freitas.
Côté jardin différents podiums, dont un à l’arrière-scène où se tiennent les musiciens, sorte d’appariteurs tout de noir vêtus et maquillés de blanc, comme des Monsieur Loyal, musiciens-acteurs talentueux et sérieux comme des papes. À l’avant de ce même côté jardin, trois lits parallèles étagés et une table où de temps en temps stationne un personnage. Au centre, de grandes grilles blanches barrent l’espace et la façade de la Cour, quelques caisses claires y sont accrochées. Derrière, trois grilles en forme de triangle isocèle, sorte de toile de tente pour exercice de survie – mot que la chorégraphe affectionne particulièrement – qui, au demeurant ne servent pas à grand-chose. Des micros partout autant que de cuvettes bleues et vases de nuit qui se baladeront sur les genoux des spectateurs, des sacs à linge sale que chacun tient comme un emblème.
Si les Mille et une Nuits sont la référence comme le dit la chorégraphe, il y a sur scène des Schéhérazade petites et masquées, sortes de poupées au masque figé, répétées en plusieurs versions. L’une d’entre elles n’a pas de jambe mais sa mobilité est époustouflante, ses prothèses de tissu apportent une théâtralité marionnettique troublante. La petite chaise de poupée qui lui est destinée permet de créer une tension entre le grand et le petit, dans un jeu d’échelles intéressant par rapport au contexte de cette grande Cour d’Honneur.
Dans le prologue, apparaît un danseur noir aux jambes de gazelle portant une courte jupe blanche et jouant avec élégance et espièglerie de petits lancements de bassin/hanches déclinés en variations. « Can we begin ? » demande-t-il. Les lumières s’allument et s’éteignent avant que n’entre un homme qui se place derrière un micro sur pied pour haranguer et donner un fort discours mimographique, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche.
On est loin des mythiques Mille et une Nuits où le roi Shāhrīyār a épousé la fille de son vizir, Schéhérazade remarquée par sa beauté et son intelligence à tel point qu’elle s’arrange, pendant mille et une nuits d’affilée, à faire durer son récit jusqu’à l’aube, le concluant au moment crucial du suspens pour que le roi son mari ait envie de connaître la suite, et la laisse vivre chaque jour, un jour de plus.
Marlene Monteiro Freitas, danseuse et chorégraphe née au Cap-Vert et basée à Lisbonne – choisie comme artiste complice du Festival d’Avignon en cette 79ème édition – annonce s’être nourrie de contes persans, indiens et arabes pour préparer le spectacle, on n’en trouve cependant guère trace. Point de Shéhérazade ni de Sultan, point de Sinbad ni d’Aladin, point de contes enchâssés les uns dans les autres, point d’histoire. La chorégraphe aime le trash, l’hémoglobine et les draps souillés, les couteaux et la provoc, relookés par le grotesque et l’image très lointaine du carnaval originel de Cap-Vert. Seuls les musiciens dans leur distance chaplinesque et changements de rythmes nous sortent de l’ennui, y compris quand ils se syncopent et se mécanisent comme des mannequins, en robes noires ou jouant de la caisse claire à l’horizontale.
Au milieu de cet hybride décousu et de ce vide sidéral on navigue à vue, d’énergie en hystérie, de repas régurgités en langages désordonnés et pièces détachées. La montée en puissance mène à la déstructuration. Il n’y a finalement ni texte ni chorégraphie, seul un univers contrasté mâtiné d’excès développés jusqu’à l’anomie.
Marlene Monteiro Freitas monte des spectacles chorégraphiques depuis une quinzaine d’années. Il y avait eu Guintche en 2010 un festival de grimaces, (M)imosa en 2011, en collaboration avec Trajal Harrell, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, Canine Jaunâtre 3, en 2018, monté pour la Batsheva Dance Company et mis ensuite au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon, Mal-Ivresse divine en 2021, d’après un intitulé de Georges Bataille. Le Festival d’Automne de Paris lui a consacré un Portrait en présentant plusieurs de ses œuvres en 2022. Elle a mis en scène en 2023 Lulu d’Alban Berg, à Vienne, coproduit par les Wiener Festwochen et le Theatre An der Wien. Elle a entre autres obtenu en 2018 le Lion d’argent pour la danse à la Biennale de Venise.
Avec l’hybride Nôt, contrasté et inattendu, minimaliste et radical, la chorégraphe est dans le chic destroy plutôt mode et sans aucun ré-enchantement du monde. Ce n’est pas à la hauteur du lieu ni des enjeux et la montagne accouche ici d’une souris.
Brigitte Rémer, le 19 juillet 2025
Avec : Marie Albert, Joãozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri “Cookie” Lesguillier, Tomás Moital, Rui Paixão et Mariana Tembe – assistanat chorégraphique, Francisco Rolo – conseil artistique, João Figueira – scénographie, lumière et direction tchnique, Yannick Fouassier – son, Rui Antunes – costumes, MMF, Marisa Escaleira – Régie générale Ana Luísa Novais. Production P.O.R.K – Coproduction Festival d’Avignon. – Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès – Résidence La FabricA du Festival d’Avignon – Captation en partenariat avec France Télévisions.
En tournée : 14 et 15 août 2025 : Berliner Festpiele Berlin (Allemagne) – 28 et 29 août 2025 : La Bâtie, Genève (Suisse) – 11 au 14 septembre 2025 : Culturgest, Lisbonne (Portugal) – 19 et 20 septembre : Rivoli, Porto (Portugal) – 6 au 8 février : Onassis Stegi, Athènes (Grèce)- 20 et 21 février 2026 : PACT Zollverein Essen (Allemagne) – 4 et 5 mars 2026 : Le Quartz, Brest – 25 au 28 mars 2026 et 14 au 17 mai 2026 : Chaillot hors-les-murs / Parc de la Villette, Paris – 22 et 23 avril 2026 : La Comédie, Clermont-Ferrand – 28 et 29 avril 2026 : MC2, Grenoble – 6 et 7 mai 2026 : Maison de la Danse, Lyon – 14 au 17 mai 2026 : Kunstenfestivaldesarts, Bruxelles (Belgique).
Les 5, 6 juillet, et du 8 au 11 juillet 2025, à 22h – Cour d’Honneur du Palais des Papes. Tél. : +33 (0)4 90 14 14 60 Billetterie au guichet, en ligne ou par téléphone : +33 (0)4 90 14 14 14 – site : www.festival-avignon.com