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La fin de Satan

Poème de Victor Hugo – conception et jeu Christine Guênon, compagnie Chaos Vaincu – collaboration artistique Laure Guillem – Salon rouge de la Maison Victor Hugo.

Christine Guênon aime à fréquenter Victor Hugo. Elle en avait adapté son roman, L’Homme qui rit et présenté un spectacle au Théâtre de l’Aquarium, avant de le tourner dans le monde. Elle récidive avec La Fin de Satan accompagnée par Laure Guillem comme conseillère artistique et présente son solo à la Maison Victor Hugo. Dans ce même Salon rouge, l’écrivain lisait ses pièces à ses amis.

Le lieu est intime. Sur une petite estrade, un fauteuil. Blottie au fond du fauteuil, l’actrice et ses métamorphoses, intenses, entre la chute de l’ange, ce Dieu montré du doigt et la force de Satan. La Fin de Satan est une œuvre complexe dans laquelle Hugo se lance en 1854 et qui reste inachevée. Une partie de sa grande œuvre est déjà derrière lui. Né en 1802, Hugo écrit des poèmes depuis l’adolescence. Dès avant la trentaine il avait publié Les Orientales (1829), Hernani (1830) brisant les règles du théâtre classique et déclenchant une véritable bataille au Théâtre-Français, Notre Dame de Paris (1831), Le Roi s’amuse (1832), Lucrèce Borgia et Marie Tudor (1833), Ruy Blas (1838). Il avait été reçu à l’Académie Française en 1841. Son engagement politique avait débuté en 1848, année où il était élu à l’Assemblée Constituante. La Fin de Satan est donc en gestation depuis l’année 1854 mais ne sera éditée qu’en 1886, un an après sa mort. Hugo écrivait en même temps les Contemplations, publiées en 1856 et avait mis en attente son travail sur La Fin de Satan au profit des Misérables qui voyaient le jour en 1862.

 Écrite en vers, La Fin de Satan commence par sa chute dans l’abîme, les astres s’éteignent un à un, une plume des ailes de l’archange banni reste suspendue au bord du gouffre, prélude intitulé Hors de la Terre I : « Quelqu’un, d’en haut, lui cria : – Tombe ! Les soleils s’éteindront autour de toi – Maudit ! » Dans La Première Page, qui suit, Dieu déchaîne le déluge. Le début, « L’Entrée dans l’ombre » commence par  « Noé rêvait. Le ciel était plein de nuées. On entendait au loin les chants et les huées des hommes malheureux qu’un souffle allait courber… » puis, en vis-à-vis, avec « La Sortie de l’ombre » le Chaos refuse de reprendre le monde et Dieu consent qu’il revive. Le Livre Premier porte ensuite pour titre Le Glaive et met en scène Nemrod, ce géant qui ayant conquis la terre part à la conquête du ciel : « Il s’en retourna seul au désert, et cet homme, ce chasseur, c’est ainsi que la terre le nomme, avait un projet sombre. »  Dans Hors de la Terre II la plume de Satan devient un ange-femme appelée par Dieu, Liberté : « Cette plume avait-elle une âme ? Qui le sait ? » Le Livre Deuxième intitulé Le Gibet fait le récit de la crucifixion : « En ce temps-là, le monde était dans la terreur ; Caïphe était grand-prêtre et Tibère empereur… » Hors de la Terre III met en scène Satan proclamant son amour de Dieu en même temps que son impuissance et son envie de vengeance. Trois chants l’interrompent : « Chanson des oiseaux », « Chant de l’infini » et « Hymne des anges ». « Lumière ! fiancée de tout esprit, soleil ! feu de toute pensée, vie ! où donc êtes-vous ? » L’œuvre se termine avec L’Ange Liberté qui, descendant dans le gouffre affronte Satan et dans cette lutte du bien avec le mal, cherchant à remonter sur terre pour sauver les hommes, « L’ange entendit ce mot ; Va ! »

Métaphore de la liberté, l’œuvre est épique et métaphysique, son adaptation n’est pas une mince affaire. La proposition de Christine Guênon est superbement agencée. Narratrice, elle incarne l’auteur comme elle incarne le mal et le bien, Satan et l’Ange-Liberté, du fond de son gouffre/fauteuil avec une grande puissance évocatrice. Sa parole habitée jaillit du fond du Salon Rouge sous le regard de Victor Hugo, façonné par le sculpteur David d’Angers. C’est une belle proposition théâtrale et littéraire qui trouve sa juste place dans le lieu emblématique de l’écrivain, sa Maison.

Brigitte Rémer, le 20 janvier 2022

Du 14 janvier 2022 au 4 février 2022 à 19h30, Maison Victor Hugo, 6 Place des Vosges, 75004 – métro : Bastille, Saint-Paul – site : www.musee-hugo.paris.fr – tél. : 01 42 72 10 16