Archives par étiquette : Laurent Rojol

Une assemblée de femmes – diptyque

D’après Aristophane, Théâtre National Palestinien El-Hakawati, au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes. Spectacle et film en langue arabe surtitré en français, film de Laurent Rojol et Roxane Borgna.

Une Assemblée de femmes avait été présentée par le Théâtre National Palestinien El-Hakawati à l’Institut de Monde Arabe, en octobre 2023 dans un autre format. Nous avions présenté ce travail par un article dans Ubiquité-Cultures, le 27 octobre 2023. *

L’adaptation de la pièce d’Aristophane est reprise sur le grand plateau du Théâtre du Soleil par le Théâtre National Palestinien El-Hakawati, invité d’Ariane Mnouchkine, qui le dirige. « Ce projet qui ne parle pas de la guerre mais de quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus universel, rien de moins que de la moitié de l’humanité. Ce projet parle de la lutte parmi les luttes, celle des femmes. Celle de la moitié de l’humanité » dit-elle. La pièce s’inscrit aujourd’hui dans un diptyque et s’accompagne d’un film documentaire dont certaines séquences font partie intégrante de la représentation théâtrale, nous le présentons dans cet article.

© Laurent Rojol

L’ensemble de la soirée est un hommage à la femme palestinienne, à la femme en général, dans la fierté d’être Femme. Les mères parlent de leurs filles et parlent à leurs filles. « Vous êtes fortes et vous êtes uniques. » Même si le cœur n’est pas toujours à la fête, on les voit conviviales et solidaires, elles ont décidé de prendre la parole : « J’ai ma propre voix pour dire qui je suis » posent-elles parlant de leur société dans laquelle « l’homme a le pouvoir et où il n’y a pas d’égalité. » Leurs conditions de vie changent vu de la ville ou de la campagne, car partout dans le pays, la femme est sous contrôle, politiquement et religieusement. À la campagne, elle semble pourtant mieux armée, plus solide.

Le film parle du programme Adwar, un organisme d’aide internationale, qui accompagne les femmes au plan économique et social dans leur émancipation, et qui a mis en place un comité de protection. Les femmes palestiniennes mettent l’accent sur l’éducation de leurs enfants, elles savent qu’ils sont l’avenir. « Ma fille m’a fait avancer dans la vie » dit l’une. À l’hôpital de Naplouse une jeune fille brûlée à 65° a passé trois mois à l’isolement et va partir se faire soigner aux États-Unis. Sa mère l’accompagne et dit : « J’ai découvert que j’étais une femme forte. »

Dans le camp de Ein as-Sulṭān, la solidarité entre femmes existe et les enfants chantent. Des réseaux de solidarité se mettent en place. « Où réside la force des femmes ? » se demande-t-on et l’une répond : « les femmes réfléchissent, y compris celles qui n’ont pas étudié. On aime cuisiner, danser, on a besoin de parler et d’écouter l’autre… » Comme tout un chacun elles aiment la vie. Pourtant, elles ont subi de nombreux traumatismes, n’ayant pas au départ acquis la capacité de dire non, de s’opposer. L’une anime des ateliers sur le thème de la discrimination, une autre sur celui de l’occupation. La démolition de leurs maisons les hante et les images montrent par contraste une terre de toute beauté, rouge et chaleureuse. « Comme on respecte la terre, la femme doit être respectée » dit le film.

© Laurent Rojol

Le Théâtre Ashtar implanté à Ramallah participe aux ateliers et aide à la formulation de leurs combats pour exister. Au cours d’une représentation à Naplouse, le doyen s’est autorisé à arrêter la représentation mais l’actrice, imperturbable, a poursuivi son texte et la représentation, défendant la liberté d’expression propre au théâtre, ici comme ailleurs. Et le film se demande « pourquoi l’homme est-il roi ? » Le processus lancé par les femmes semble quasiment irréversible : « Mon choix, c’est mon droit… » disent-elles, même si leur statut reste fragile : la femme est très seule dans la société palestinienne, sans droit à l’avortement, soumise au tabou de la virginité – à Hébron des parents ont été jusqu’à tuer leur fille dont l’attitude leur avait déplu, en un geste d’autorité et de désespérance. Plus tard, c’est elle toujours qui est exposée au harcèlement sexuel et parfois au féminicide. Dans tous les cas les humiliations sont fréquentes.

© Alice Sidoli – Théâtre National Palestinien, à l’IMA

Spécialiste des méthodes du Théâtre Forum, le théâtre Ashtar travaille aussi avec les hommes pour les amener à réfléchir sur leur attitude, à se poser la question de l’égalité et des droits humains. Elle, s’est mariée à seize ans, lui est chrétien, elle bédouine. Une autre s’est mariée à vingt ans. Lui, contrôle… « C’est une société du faire semblant en ce qui concerne les femmes » constatent les réalisateurs dans leurs échanges avec les femmes.

Dans une autre séquence la haine s’exprime autrement, et l’on regarde, consternés, ces oliviers volés et arrachés par la colonisation israélienne : « Mon arrière-grand-père avait tout planté, c’est mon pays. » Alors comment guérir et apprendre à se supporter mutuellement quand tant de tourmentes traversent la société ? C’est ce que pose le film de Laurent Rojol et Roxane Borgna, tourné en 2021/2022 à Bethléem, Naplouse, Jérusalem, Hébron, Ramallah, à travers les multiples interviews rapportés et qui prolongent le propos qu’Aristophane avait lancé dans son Assemblée des femmes.

La comédie grecque satirique dont s’est emparé le Théâtre National Palestinien El-Hakawati mettant en miroir la vie des Athéniennes au IVème siècle avant J.C. et celle des Palestiniennes d’aujourd’hui permet d’ouvrir le débat sur le statut de la femme en général, a-fortiori de la femme en temps de guerre et du respect qui lui est dû dans sa recherche d’émancipation, loin des réflexes du patriarcat et des considérations religieuses. Une belle leçon de vie !

Brigitte Rémer, le 28 octobre 2025

Avec : Ameena Adileh, Iman Aoun, Mays Assi, Firas Farrah, Nidal Jubeh, Amer Khalil, Shaden Saleem, Yasmin Shalaldeh – un spectacle de Roxane Borgna, Jean-Claude Fall, Laurent Rojol.

Les 11 et 12, 18 et 19 octobre 2025 – les samedis 11 et 18 octobre, spectacle à 15h suivi du film à 16h30, et à 19h30, suivi du film à 21h – les dimanches 12 et 19 octobre, spectacle à 13h30 suivi du film à 15h00 – Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes – site : www.theatre-du-soleil.fr – tél. : 01 43 74 24 08.

*Article du 27 octobre 2023, sur Une assemblée de femmes, présenté par le Théâtre National Palestinien à l’Institut du Monde Arabe :  https://www.xn--ubiquit-cultures-hqb.fr/une-assemblee-de-femmes-et-me-and-my-soul/