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La Mort de Danton

© Christophe Raynaud de Lage

Texte de Georg Büchner – traduction Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil – mise en scène et scénographie Simon Delétang – à la Comédie Française/Richelieu, avec la troupe de la Comédie-Française, les comédiens et comédiennes de l’académie de la Comédie Française.

On entre de plain-pied dans le sujet, par la phrase de Saint-Just inscrite sur le rideau de fer transformé en un immense drapeau tricolore : « Tous les arts ont produit des merveilles, l’art de gouverner n’a produit que des monstres. »

La pièce en quatre actes se déroule sur une semaine, le titre en porte l’aboutissement : la mort. L’écrivain et dramaturge, également médecin et scientifique allemand, Georg Büchner (1813-1837) l’écrit en cinq semaines et la publie en 1835, deux ans avant sa mort, frappé par le typhus. Il a vingt-quatre ans. Elevé dans le sud-ouest de l’Allemagne, le Grand-Duché de Hesse-Darmstadt marqué par les révolutions de 1789 et par celle de juillet 1830, il fut étudiant en médecine à Strasbourg. Là, il entra en contact avec les groupes d’opposition républicains. Il fut ensuite nommé professeur-adjoint à la faculté de médecine de Zürich, en 1836, où il tissa des liens avec d’autres réfugiés politiques. C’est un homme engagé, un révolutionnaire, qui produit en sa courte vie, une œuvre majeure : outre La Mort de Danton, il écrit la même année une nouvelle, Lenz, sur la souffrance de l’écrivain Jakob Lenz, poète à l’âme malade et suicidaire ; l’année suivante, en 1836, une comédie satirique, Léonce et Léna et il débute l’écriture de Woyzeck, drame qui restera inachevé. Il avait auparavant, en 1834, écrit un pamphlet, Le Messager de Hesse et traduit Lucrèce Borgia et Marie Tudor, de Victor Hugo.

L’action de la pièce se passe du 30 mars au 5 avril 1794 quand Robespierre, assisté de Saint-Just, s’en prend aux modérés, au Club des Jacobins. Il ira jusqu’à faire exécuter Danton, ses amis et partisans, qui déjà ne croient plus à la Révolution, le peuple restant dans la même misère après, qu’avant : la révolution sociale n’a pas eu lieu. Révolutionnaire de la première heure, Danton est las et se laisse aller à une vie facile et délictueuse. Tel est le portrait qu’en brosse Büchner et sur lequel insiste Simon Delétang, metteur en scène, qui, plutôt que la mort des idéologies ou le peuple et des scènes de rue, développe le volet des mœurs libres de Danton, permettant à l’implacable Robespierre de justifier l’élimination de celui qui est devenu son adversaire. L’intrigue est assez linéaire et on est en vase clos, ce que souligne la scénographie (de Simon Delétang) qui place l’action dans un salon-écrin du XVIIIe siècle, se transformant ensuite en prétoire puis en prison, sous le sceau du tableau de Jacques-Louis David, La Mort de Socrate et sous celui de la Méduse telle que représentée par Caravage, gorgone qui a le pouvoir de pétrifier tout mortel. Les lumières de Mathilde Chamoux, remarquables, et les costumes d’époque de Marie-Frédérique Fillion accompagnent la part sombre de la lutte fratricide avec une certaine préciosité. Le tombeau est somptueux.

© Christophe Raynaud de Lage

Plus près de la bourgeoisie que des cris de la rue, on a peine à croire ici que Danton ait été meneur de la Révolution : « Ce n’est pas nous qui avons fait la Révolution, c’est la Révolution qui nous a faits » déclare-t-il à Lacroix. Il sait qu’il va mourir et trouve la parade : « Nous sommes des pantins manœuvrés par des forces inconnues. » La pièce de Büchner est précise et documentée, certains fantômes de Shakespeare et de Goethe y rôdent et le mythe Danton-Robespierre s’effondre, le premier, effrontément grivois – Loïc Corbery dans le rôle-titre, un rien désabusé, fauve désespéré peu avant la mort – le second, Clément Hervieu-Léger, parfaitement rigide dans celui de Robespierre. Ils sont entourés d’une douzaine de comédiens dont Guillaume Gallienne – en alternance avec Julien Frison – en Saint-Just, Gaël Kamilindi en Camille Desmoulins, Marina Hands en grisette et de jeunes interprètes de l’académie de la Comédie Française.

Après avoir dirigé le Théâtre de Bussang, dans les Vosges, Simon Delétang est depuis peu à la tête du Centre dramatique national de Lorient. Il signe l’entrée de La Mort de Danton au répertoire de la Comédie-Française qui suit, à vingt ans d’intervalle celle de deux autres textes de Georg Büchner mis en scène par Mathias Langhoff, Léonce et Léna et Lenz. Pour Simon Delétang « il y a un véritable vertige à croiser l’histoire de ce lieu – la Comédie Française – et l’Histoire de France, d’autant que la troupe du Roi avait à l’époque été sauvée in extremis de la guillotine par un bienfaiteur. » Jean Vilar avait mis en scène La Mort de Danton, présentée pour la première fois en France en 1948, au Festival d’Avignon.

La modernité de la pièce, dans le rapport au pouvoir, dans l’échec des idéaux et les déchirements entre deux frères ennemis, dans la destinée humaine et le rapport à la mort, nous parle d’aujourd’hui, à travers le regard de Büchner.

Brigitte Rémer, le 27 février 2023

Avec : Guillaume Gallienne, Saint-Just, membre du Comité de salut public (en alternance) – Christian Gonon Barrère, membre du Comité de salut public et Legendre, député – Julie Sicard Julie, femme de Danton – Loïc Corbery – Georges Danton, député – Nicolas Lormeau, Lacroix, député – Clément Hervieu-Léger Robespierre, membre du Comité de salut public – Anna Cervinka Lucile, femme de Camille Desmoulins – Julien Frison Saint-Just, membre du Comité de salut public (en alternance) – Gaël Kamilindi Camille Desmoulins, député – Jean Chevalier Collot d’Herbois, membre du Comité de salut public et Hérault-Séchelles, député – Marina Hands, Marion, une grisette – Nicolas Chupin Billaud Varennes, membre du Comité de salut public et Philippeau, député

© Christophe Raynaud de Lage

L’académie de la Comédie Française : Sanda Bourenane une femme – Vincent Breton, un monsieur, deuxième citoyen, un lyonnais, un député et un bourreau – Olivier Debbasch un monsieur, premier citoyen, un député, Herrmann, président du Tribunal révolutionnaire et un géôlier – Yasmine Haller, une dame et Rosalie, une grisette – Ipek Kinay, une dame, Adélaïde, une grisette et une femme – Alexandre Manbon, un jeune homme, un député, Paris, ami de Danton et un prisonnier. Costumes Marie-Frédérique Fillion – lumières Mathilde Chamoux – musiques originales et son Nicolas Lespagnol-Rizzi – assistanat à la scénographie Aliénor Durand. Avec le soutien de la Fondation pour la Comédie-Française.

Du 13 janvier au 4 juin 2023 en alternance, Comédie-Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 – métro : Palais Royal – tél. : 01 44 58 15 15 – site : comédie-francaise.fr