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À propos d’Elly

Adaptation scénique du film À Propos d’Elly, d’Asghar Farhadi – concept Jolente De Keersmaeker, Scarlet Tummers, compagnie Tg STAN, au Théâtre Nanterre-Amandiers / Centre Dramatique National.

© Kurt van der Elst

Scénariste, grand réalisateur et producteur iranien, Asghar Farhadi avait reçu l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur, pour son film À Propos d’Elly, en 2009, à Berlin. Deux fois l’Oscar du meilleur film étranger lui a été attribué, pour Une séparation, en 2012 et pour Le Client en 2017.

Lors d’un week-end au bord de la mer Caspienne un groupe d’amis constitué quand ils étaient étudiants se rassemble. Il y a trois couples : Sepideh, l’organisatrice de la rencontre, est avec son mari et sa fille, elle s’est chargée de trouver le lieu où ils passeront ces trois jours et a invité Elly, l’institutrice de sa fille et Ahmad, un ami vivant en Allemagne ; il y a Shohreh, son mari Peyman et leurs deux enfants ; il y a Naazy et son mari Manouchehr ; Le moment s’annonce festif.

© Kurt van der Elst

Première contrariété, le lieu dont ils devaient disposer n’est en fait pas libre, on les dirige vers une autre maison, inoccupée et en mauvais état qu’il faut commencer par dépoussiérer et organiser. Tout le monde s’y colle, compensation la mer reste proche. Sepideh présente à tous Elly, énigmatique et quelque peu effarouchée, et met en valeur Ahmad, cet ami qu’elle aimerait pousser dans les bras d’Elly, le groupe essaie de favoriser leur rapprochement, sans trop de subtilité et les deux ne semblent pas indifférents l’un à l’autre. Les choses s’installent dans la bonne humeur et chacun vaque jusqu’au moment où l’un des enfants manque de se noyer dans cette mer immense. Peu après, on se rend compte qu’Elly manque à l’appel. On la cherche, l’anxiété monte, on se questionne car on la connaît peu, jusqu’au constat final de sa disparition et l’annonce de sa vraisemblable noyade, à sa famille. Elle aurait sauver l’enfant, peu précis sur l’événement.

tg STAN a donc adapté le scénario d’Asghar Farhadi en 2023, pas sûr que ce soit une bonne idée. La troupe flamande vient souvent en France, on lui reconnaît un langage scénique basé sur une certaine loufoquerie. Son iconoclasme ici se retrouve dans le jeu des enfants, interprétés par des adultes et irritant à souhait malgré mouette et cerf-volant, contrepoint caricatural dans la montée dramatique façon polar d’un scénario qui ne prête guère à rire.

© Kurt van der Elst

La première scène apporte son mystère, qu’on ne décode pas au point de départ mais qui prend toute sa valeur dans le déroulé de l’histoire : sous une pluie fine une jeune femme roule, s’enroule sur le sol et s’abandonne (Anna Franziska Jäger), carré de pierres grises, qui pourrait être une plage, ou la mer, ici est la clé du spectacle avec sentiment de solitude, senteur et couleur d’un pays. Une toile peinte à l’arrière-scène confirme la mer et se déroule de temps à autre dans des peintures assez abstraites, une bâche plastique devient la mer, les rotatives activent un grand vent, un univers artisan qu’on apprécie chez tg STAN. Pourtant, l’ensemble s’apparente plutôt à un univers club des cinq avec déjeuner sur plage, partie de volley, devinettes et séance photo. Rien de très consistant et on est loin de tout contexte iranien, rien qui ne se rapporte au pays, même en se forçant un peu dans la lecture et la digression pour évoquer la position de la femme et celle de l’homme ou tout autre sujet moyen-oriental.

© Kurt van der Elst

Étrange démarche des tg STAN qui lancent quelques pistes sans les développer avec un collectif de onze acteurs actrices issus de quatre compagnies différentes et venant de pays comme Iran, Irak, Afghanistan et pays européens. On apprend à la fin du spectacle qu’Elly est fiancée et doit se marier bientôt, obligation, fuite, mensonges ? La question de sa disparition plane, noyade ou suicide ? La suspicion s’installe, les amitiés, la solidarité vacillent. Le spectateur peut spéculer autour du conformisme, de l’amitié et de la famille, le spectacle manque nettement d’une colonne vertébrale. Le projet peut-être est trop ambitieux ou le film impossible à adapter à la scène, puisqu’il repose sur les non-dits et les hors champs, n’a pas de scénario publié et a obligé la compagnie à en demander la transcription à des amis iraniens. D’où peut-être ce côté vague, trop vague et comme vidé de substance.

Brigitte Rémer, le 7 décembre 2025

De et avec : Luca Persan, Kes Bakker, Robby Cleiren, Jolente De Keersmaeker, Lukas De Wolf, Anna Franziska, Jäger Manizja Kouhestani, Armin Mola, Mokhallad Rasem, Scarlet Tummers, Stijn Van Opstal – Décor Joé Agemans et tg STAN – lumière Luc Schaltin – costumes Fauve Ryckebusch – concept musical Frank Vercruyssen – dramaturgie version française Khatoon Faroughi – assistance de traduction Estelle Zhong Mengual.

Du 3 au 20 décembre 2025, du mardi au vendredi à 20h30, les samedis 6,13 et 20 décembre 2025 à 18h, dimanche 14 décembre à 15h – au Théâtre Nanterre-Amandiers / CDN, 7 avenue Pablo Picasso. 92022. Nanterre Cedex – site : nanterre-amandiers.com – tél. : 01 46 14 70 00