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Le Grand Théâtre d’Oklahama

© Christian Berthelot

Librement inspiré des oeuvres de Franz Kafka – mise en scène et adaptation Madeleine Louarn et Jean-François Auguste, Atelier Catalyse, à la MC93 Bobigny.

Après la création au Festival d’Avignon de Ludwig un roi sur la lune, en 2016 et sa reprise au TGP de Saint-Denis (cf. notre article du 7 janvier 2017) l’Atelier Catalyse y a présenté l’été dernier Le grand théâtre d’Oklahama, repris à la MC93 Bobigny. Madeleine Louarn travaille depuis une trentaine d’années avec des acteurs en situation de handicap et développe une présence artistique au sein du groupe. Elle poursuit sa route avec eux et pour ce spectacle avec Jean-François Auguste, directeur artistique de la compagnie For Happy People and Co.

Ils s’inspirent ici de Kafka et prennent pour base de travail le dernier chapitre de Amerika, “Le grand théâtre d’Oklahoma”, changent le “o” en “a” et y intercalent quelques autres pages de l’auteur sur un thème qui fonctionne avec la notion de collectif, ancrée dans leur démarche. Toujours, ils mettent en parallèle la quête de personnages en même temps que la position des acteurs de Catalyse, qui cherchent leur place dans la société. Ils ont approfondi leurs recherches autour de Kafka, ses récits les plus connus ne convenaient pas au profil des acteurs. Ils ont préféré puiser dans les textes inachevés, fragments et nouvelles les moins connus avec lesquels ils ont construit un canevas mieux adapté.

Par une grande affiche placée à l’avant-scène, première image qui accueille le spectateur, le grand théâtre d’Oklahama recrute des artistes où, justement, chacun aurait sa place. « On embauche tout le monde » figure en toutes lettres sur l’affiche. Les chômeurs et les exclus s’y présentent, les cabossés de la vie. Le recrutement se fait dans un rapport de force, Karl Rossmann héros kafkaïen par excellence (Guillaume Drouadaine, l’ex magnifique Louis II de Bavière dans le spectacle précédent) et ses amis, se présentent : Fanny mi-chat mi-agneau la figure de l’ange, Joséphine la souris au tutu blanc, Rougeaud le singe en cage et qui en sort pour imiter les humains. Au grand théâtre d’Oklahama ils sont tous engagés et organisent un banquet pour fêter les embauches. Assis à table, de dos, ils portent un toast. Scéniquement, l’image est forte. Mais très vite ils déchantent et se heurtent à un autoritarisme cynique et débridé. On suit leurs espoirs et déceptions, quand chacun comprend qu’il se doit de renoncer à ce qu’il est. Karl devient agent technique et non pas ingénieur comme il l’espérait, sous le nom imposé de Negro, les postes proposés ne coïncident pas aux promesses d’emploi. Ils deviennent des exécutants pour basses besognes – agent d’entretien, lingère, soutier, liftier, soubrette – et non pas des artistes, comme ils l’imaginaient. Tous et chacun se retrouvent broyés dans la machine à mensonges – la société ? -. On voit la faim, la rupture, l’abandon, la colère, le monde qui se rétrécit. La fin est rude avec un départ pour Oklahama annoncé, sans possibilité de bagages ni de livres, sans rien. Un aller, sans retour.

La scénographie d’Hélène Delprat, plasticienne, mi-réaliste mi-onirique, sert le propos à partir d’installations mécaniques et de portes. Elle construit un mirador sur roulettes, une tour-ascenseur, une cage, des figures d’ange qui se déplacent. Avec les lumières de Mana Gautier, qui créent des univers et ajoutent au lyrisme, l’enveloppe théâtrale est belle. Dans l’élaboration du scénario les acteurs ont mêlé leurs mots à ceux de Kafka pour mettre à distance l’aspect littéraire du texte et s’inspirent du registre du burlesque, soulignant le caractère dérisoire des destinées. Ils savent passer du rire aux larmes, peuvent parler de soumission, d’oppression et de culpabilité tout en s’amusant avec la création de leurs personnages. Un porte-voix intégré dans l’équipe d’acteurs tient le rôle du souffleur et un narrateur, voix enregistrée, donne le fil conducteur.

Le grand théâtre d’Oklahama est le fruit d’un travail interdisciplinaire patiemment mené par Madeleine Louarn et Jean-François Auguste, une fois de plus une belle aventure. Il met en jeu différentes techniques du spectacle avec inventivité (théâtre d’ombres, table tréteau, métaphore animale etc…) et crée les siennes propres. Il y a de l’humain, de l’inquiétude, de l’humour, une grande intensité dans ce spectacle qui baigne dans l’imaginaire et l’étrangeté de Kafka.

Brigitte Rémer, le 10 février 2019

Avec les comédiens de l’Atelier Catalyse : Tristan Cantin, Manon Carpentier, Guillaume Drouadaine, Christian Lizet, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic – accompagnement pédagogique Erwanna Prigent, Mariwenn Guernic – dramaturgie  Pierre Chevallier – scénographie Hélène Delprat – création musicale Julien Perraudeau – chorégraphie Agnieszka Ryszkiewicz – régie générale Thierry Lacroix – lumière Mana Gautier – son Cyrille Lebourgeois – costumes Claire Raison – couturières et couturiers Yolande Autin, Ludivine Mathieu, Magali Perrin Toinin, Armando Sanchez – construction décor atelier et équipe technique MC93 Bobigny.

Du 31 janvier au 9 février 2019, à la MC93 Bobigny/Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 Bd Lénine à Bobigny – métro : Bobigny Pablo Picasso – En tournée – 13 février : Ferme du buisson – Scène Nationale de Marne-La-Vallée, 20 et 21 mars : Le Quartz – Scène Nationale de Brest.