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Les Enfants terribles

© Christophe Raynaud de Lage

Opéra pour quatre voix et trois pianos de Philip Glass – livret Philip Glass et Susan Marshall d’après Jean Cocteau – direction musicale Emmanuel Olivier – mise en scène et scénographie Phia Ménard – à la MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny.

C’est en 1996 que Philip Glass compose Les Enfants terribles, à partir du roman de Jean Cocteau qu’il affectionne particulièrement, pour avoir composé deux autres opéras issus de l’oeuvre du même auteur : Orphée en 1993 et La Belle et la Bête en 1994. Il s’inspire aussi de l’adaptation cinématographique réalisée par Jean-Pierre Melville, en 1950.

L’artiste chorégraphe, performeuse et metteuse en scène, Phia Ménard s’en empare et pour la première fois s’aventure à monter un opéra. Multiforme en soi, transgressive et subversive dans ses propositions scéniques, elle sait en principe nous mener de la tragédie à la loufoquerie, de l’inventivité à l’extravagance. Elle se glisse donc dans l’univers de Cocteau, a priori éloigné de ce qu’elle est et des libertés qu’elle cultive dans ses créations.

L’argument de base écrit par Cocteau en 1929 parle d’un enfant délaissé par une mère mélancolique et qui disparaît, Paul, très tôt livré à lui-même et gouverné par sa fantaisie et celle de sa sœur, Élisabeth. D’une violente charge poétique, la première scène mène le lecteur dans la cour du collège où il reçoit en plein cœur une boule de neige lancée par Dargelos : « Un coup le frappe en pleine poitrine. Un coup sombre. Un coup de poing de marbre. Un coup de poing de statue. Sa tête se vide. Il devine Dargelos sur une espèce d’estrade, le bras retombé, stupide, dans un éclairage surnaturel. » Il gardera la chambre pour reprendre des forces mais finalement ne la quittera plus et, avec sa sœur la transformera en scène permanente où tous deux joueront une sorte de comédie de l’enfance où l’innocence s’enfuit. Le roman se transforme en conte fantastique et chant nocturne de l’adolescence où se côtoient l’amour et la mort.

Avec Phia Ménard, nous voilà loin de l’enfance, à l’exact opposé. Elle décide de remonter l’histoire à l’envers dans la chronologie de la vie et nous conduit dans une maison de retraite. Trois pianos à queue, blancs, superbes, sont mis en rotation avec leurs musiciens dans une scénographie qui tient lieu de personnage principal – bien servi par les lumières d’Éric Soyer – et qui pourrait être le ventre de la mère. Mais de mère il n’y a point, il n’y a que des grand-mères-grands-pères rôles de composition, ce qui confère au propos un décalé assez énigmatique et enferme le huis-clos sans possibilité d’échappée. Les pianos tournent en rond comme la musique circulaire de Philip Glass, comme sur le pont d’un bateau pris dans la tempête, sans mal de mer apparent pour les musiciens-assistants de vie amarrés à leurs mélodies en spirales.

Quelques petites marionnettes-figurines au début du spectacle appellent le passé, dans lequel les acteurs-chanteurs s’immergent ensuite à travers des casques à réalité augmentée. Bien encombrés, ces quatre chanteurs aux voix amplifiées – magnifiques chanteurs – se laissent glisser vers la fin de la partie : Paul, le rôle principal, est en fauteuil roulant (Olivier Naveau, baryton) ; sa sœur Elisabeth, dominatrice et manipulatrice papillonne avec une certaine aisance (Mélanie Boisvert, soprano) ; Gérard, camarade de classe et ami de Paul est amoureux d’Elisabeth (François Piolino ténor) ; Agathe, amoureuse de Paul, fait la mouche du coche et tient aussi le rôle de Dargelos, l’ange damné (Ingrid Perruche, soprano) ; Jonathan Drillet, assure la narration, il est aussi l’ombre de Jean Cocteau. Les sentimentalités circulent, les intrigues pourtant ne se nouent pas et le drame l’emporte. Emmanuel Olivier au piano pilote la partition pour trois pianos, avec Flore Merlin et Nicolas Royez, trois musiciens superbement concentrés malgré le roulis et le tangage.

© Christophe Raynaud de Lage

Les rouages choisis par Phia Ménard pour ces grands-enfants-terribles étant parfaitement mis en place, il ne reste plus guère de vie, que du dernier souffle. Tout est linéaire et rien ne se passe, on s’ennuie. Il nous faut, comme au manège des enfants, compter les tours de pianos et armés d’un bâton essayant d’attraper les anneaux tendus par le propriétaire du manège, tenter d’attraper les lignes brisées de l’histoire et les lignes courbes de la mélodie.

Brigitte Rémer, le 10 mars 2023

Avec : Olivier Naveau, Mélanie Boisvert, Ingrid Perruche, François Piolino, Jonathan Drillet – Pianos : Emmanuel Olivier, Flore Merlin et Nicolas Royez et direction musicale Emmanuel Olivier. Assistanat mise en scène et scénographie Clarisse Delile – création lumières Eric Soyer assisté de Gwendal Malard – création costumes Marie La Rocca – création maquillages et coiffures Cécile Kretschmar – dramaturgie Jonathan Drillet – régie générale Marie Bonnier – régie son Jonathan Lefèvre-Reich – régie plateau Nicolas Marchand – régie lumière Aliénor Lebert – maquillage Agnès Dupoirier )- décor et costumes ateliers de l’Opéra de Rennes – production la Co[opéra]tive.

Du 23 au 26 février 2023, à la MC93/Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny – tél. : 01 41 60 72 72 – site : www.MC93.com