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Re : Creating Europe

© Jan Boeve

Soirée dirigée par Ivo van Hove et présentée par Bas Heijne – Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier – en coréalisation avec le Théâtre de la Ville, dans le cadre des Chantiers d’Europe.

L’idée de cette soirée présentée par Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, est de parler d’Europe, ce qu’elle a été et ce qu’elle est, dans la sensibilité des élections prochaines. Ivo van Hove, directeur de l’International Theater Amsterdam et metteur en scène bien connu en France, qui présente actuellement à la Comédie Française Électre/Oreste (cf. notre article du 7 mai) en est le maître de cérémonie. Il en avait élaboré la conception, et avait présenté une première édition en juin 2016, dans un forum sur la Culture à Amsterdam, en partenariat avec le Centre pour les Arts De Balie/ Dutch Performing Art Center, à la veille du Référendum sur le Brexit.

L’essayiste Bas Heijne, qui travaille sur les sujets de sociétés au sens large et qui a reçu pour l’ensemble de son oeuvre le Prix PC Hooft 2017, rappelle quelques étapes de la construction de l’Europe en ses symboles forts, et notamment la création de l’Hymne européen en 1985, l’Ode à la joie, dernier mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven. Il dit l’idée européenne de dépassement des limites de nationalité et de compréhension mutuelle recherchée. Il fait référence à Friedrich Von Schiller, poète et dramaturge allemand se reconnaissant dans les idées de Rousseau et le mouvement littéraire du Sturm und Drang et à Ivan Jablonka, historien et écrivain dont les grands parents ont été déportés à Auschwitz et qui a apprivoisé l’Europe en voyageant en camping-car, dans sa jeunesse.

Les textes lus en trois langues et surtitrés, par la douzaine d’acteurs qui participaient à la soirée, venant des Pays-Bas, d’Allemagne et de France – superbement accompagnés dans différentes postures et situations, sur un plateau recouvert d’un tapis bleu aux douze étoiles dorées – sont autant de déclarations d’intentions partagées avec le public ce soir-là, remettant sur le devant de la scène quelques mots-clés, comme Fraternité, Respect des différences, Romantisme, Universalisme.

L’histoire commune a été rappelée à travers quelques images vidéo projetées montrant que l’Europe avait grandi de progrès en régression, d’illusions en désillusions, d’idées brillantes en erreurs. A travers les discours et les textes, paroles d’artistes, de penseurs, de dirigeants politiques, de Shakespeare à Mitterrand, de Thatcher à Obama, de Victor Hugo à Simone Weil, cette exploration de l’Europe qui définit son histoire, était salutaire à entendre, Ivo Van Hove l’a fort réussie.

Loin de la globalisation aujourd’hui imposée, la place de l’art, qui renverse les préjugés, a été saluée – la soirée a lieu dans un Théâtre National – pour un projet européen à ré-affirmer.

Brigitte Rémer, le 10 mai 2019

Avec les comédiens du Internationaal Theater Amsterdam et Charles Berling, Valéria Bruni Tedeschi et Lars Eidinger. Son Timo Merkies – lumières Dennis van Scheppingen – vidéo Jordi Wolswijk, Mark Thewessen – Sites : theatre-odeon.eu et theatredelaville.fr – Jusqu’au 1er juin 2019 : Chantiers d’Europe, l’Europe des Arts et l’Europe des générations, plus de vingt artistiques de neuf pays différents, à découvrir, dans la programmation Hors les murs du Théâtre de la Ville.

 

The Hidden Force/ La Force cachée

© Jan Versweyveld

De Stille Kracht, texte Louis Couperus – mise en scène Ivo Van Hove –  Internationaal Theater Amsterdam – en néerlandais soustitré en français – Théâtre de la Ville hors les murs/ Grande Halle de La Villette.

Un dispositif majestueux, immense plancher carré, parquet de bois, et un espace presque nu, mis à part quelques éléments comme un ou deux fauteuils çà et là, une table au loin, un piano à queue, une chaise-bureau ; un immense écran sur trois faces qui au début plante le décor, en encerclant les acteurs du ressac de la mer. Les pluies de mousson et la lourdeur tropicale ponctuent ce temps colonial  du début du XXème, à Labuwangi, sur l’île de Java. Côté cour sont alignés quatre grands portants d’instruments de musique traditionnelle, faits de lamelles de bois verticales qu’un musicien fait délicatement chanter –  le compositeur Harry de Wit, qui, au long du spectacle, mêle musique enregistrée, bruits de la nature, piano et percussions orientales -.

Otto van Oudijck, Résident hollandais, c’est-à-dire Gouverneur, gère attentivement les affaires de l’Île et s’affaire sur sa chaise-bureau devant laquelle il s’agenouille pour travailler (Gijs Scholten van Aschat). Il remplit sa mission en apportant la prospérité à la population locale et ses journées sont dédiées au travail. Autour de lui sa famille prend des libertés, bientôt se désagrège et se délite, mais il ne le voit pas : Léonie sa femme, légère et sûre d’elle, (Halina Reijn) entretient une liaison avec le beau-fils, Théo, (Jip van Den Dool) qui tente d’échapper à l’influence de son père, puis avec Addy le fiancé sang mêlé, (Mingus Dagelet) de sa belle-fille, Doddy (Eva Heijnen). Les indigènes s’affairent, serviteurs de tous les instants qui donnent le côté chromo à ce paysage exotique. Otto ne sent pas davantage monter la révolte, il croit avoir les clés et connaître les codes culturels de ce pays aux croyances ancestrales. Petit à petit l’ambiance s’alourdit dans la chaleur et l’humidité, et conduit au magique et au fantastique. L’inauguration du puits doit calmer les esprits. L’intrigue bascule quand le nouveau Régent, le prince Soenario, succède à son père et couvre les frasques du régent de Ngadjiwa, son frère, qui investit les salaires des fonctionnaires dans le jeu (Barry Emond). Otto van Oudijck le chasse malgré les supplications de la mère du Prince, hiératique et suppliante. La malédiction proférée met en place une révolte qu’on ne peut arrêter. Les forces des ténèbres entrent en action et conduisent à la chute du Gouverneur. Il perd femme, enfants – après en être venu aux mains avec son fils – pouvoir et réputation. La dernière image le montre seul et défait, démis de ses fonctions, vêtu de manière locale et comme perdu, au bas de l’échelle sociale.

À travers son portrait c’est la fin visionnaire de la colonisation hollandaise qui est annoncée. Petit-fils d’un gouverneur général et connaissant bien les indes orientales néerlandaises – actuelle Indonésie – l’auteur, Louis Couperus (1863-1923) grand romancier néerlandais, écrit The Hidden Force après une visite sur l’Île, entre mars 1899 et janvier 1900, moment où la domination coloniale des Pays-Bas est à son apogée. Il écrit sur l’altérité et l’impossibilité de comprendre l’autre, montrant le fossé existant entre une société rationnelle et organisée, l’occidentale, et une société plus mystérieuse, dont les piliers sont la superstition, un certain mysticisme, le culte de la famille. L’auteur décrit deux mondes qui ne se comprennent pas et la lente déchéance du Gouverneur frappé par de mystérieux phénomènes, le chemin jusqu’à son  désaveu et sa disgrâce.

Ivo Van Hove, directeur du Toneelgroep Amsterdam depuis 2001, s’empare du propos et le met en images comme il l’a fait pour Visconti, Shakespeare, Sophocle, Miller et bien d’autres. Il connaît l’univers de Louis Couperus, dont il a mis en scène avec sa troupe, deux autres pièces : Les choses qui passent et Petites Âmes. Il dit de lui qu’il écrit « sans compromis ni verdict moral sur la sexualité, la violence et l’étiquette sociale. » Ivo Van Hove s’intéresse aux émotions humaines qu’il met en musique, texte et image avec des acteurs qu’il guide au plus juste. Il transcrit magnifiquement, avec Jan Versweyveld pour la scénographie et les lumières, l’effet ravageur du climat et le cycle de la nature. Le dispositif permet aux pluies de mousson de tomber sur le plateau, sur les acteurs et le musicien détrempés, ainsi que sur le piano, accompagnant la lente dégradation du destin d’un homme.

Brigitte Rémer, le 10 avril 2019

Avec : Bart Bijnens, Si-Oudijck – Mingus Dagelet, Addy de Luce – Jip van Den Dool, Théo van Oudijck – Barry Emond, Soenario et Régent van Ngadjiwa – Eva Heijnen, Doddy van Oudijck – Halina Reijn, Léonie van Oudijck – Maria Kraakman, Eva Eldersma – Rob Malasch, serviteur – Chris Nietvelt, De Raden-Ajou Pangeran – Massimo Pesik, serviteur – Dewi Reijs, Derip – Michael Schnörr, serviteur – Gijs Scholten van Aschat, Otto van Oudijck – Leon Voorberg, Frans van Helderen. Adaptation et Dramaturgie, Peter van Kraaij – scénographie et lumières, Jan Versweyveld – musique, Harry de Wit – costumes, An D’Huys – chorégraphie, Koen Augustijnen.

Du 4 au 11 avril 2019 – Grande Halle de La Villette – métro : Porte de Pantin – Sites : lavillette.com et theatredelaville-paris.com – Tél : 01 40 03 75 75 et 01 42 74 22 77.