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Concert des chanteurs étoiles de l’Opéra du Caire

© Brigitte Rémer

Oratoire du Louvre, Paris. Dans le cadre de l’année culturelle France Egypte 2019 – en collaboration avec Caroline Dumas, de l’Opéra de Paris.

Les solistes de l’Opéra du Caire ont donné un récital des plus chaleureux au cœur de Paris, interprétant de la musique française, italienne et égyptienne à l’Oratoire du 1er arrondissement de Paris. A cette occasion, cinq des plus belles voix de l’Opéra du Caire se sont fait entendre sous le patronage de la Ministre Egyptienne de la Culture, Dr Enas Abdel Dayem, en présence de S.E. Ehad Badawy, Ambassadeur d’Egypte en France, délégué permanent auprès de l’Unesco et de la Conseillère culturelle Nivine Khaled. Jean-François Legaret, Maire du 1er arrondissement de Paris et Conseiller régional d’Île-de-France accompagnait la démarche ainsi que la Présidente du Comité d’animation culturelle de l’arrondissement, Carla Arigoni.

Les mots d’accueil des personnalités présentes, précédant le concert, ont créé un climat d’intimité, pris en relais par les deux cantatrices et trois chanteurs qui se sont succédé. L’Ambassadeur a mis l’accent sur l’importance de la culture comme pivot de la relation entre l’Egypte et la France depuis Champollion, le Maire a évoqué l’importance du patrimoine matériel et immatériel par les voix, comme autant de trésors vivants.

« Carmen » de Georges Bizet fut à l’honneur, avec trois morceaux : La fleur que tu m’avais jetée par le ténor Amr Medhat – qui a par ailleurs chanté È la solita storia del pastore de « l’Arlesiana » de Francesco Cilea composée d’après Alphonse Daudet ; Toreador, le grand air, chanté par Mostafa Mohamed, baryton, qui a aussi interprété une mélodie populaire égyptienne, Tes yeux sont des perles de Hisham Khalaf, qui signe les arrangements musicaux du récital ; La Habanera de « Carmen » L ’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser… écrit Prosper Mérimée, morceau interprété par la mezzo-soprano Jolie Fayzi, également interprète de Voi lo sapete, o mamma, un air de « Cavaleria Rusticana » de Pietro Mascagni, et de Mon cœur s’ouvre à ta voix, de « Samson et Dalila » opéra de Camille Saint-Saëns ; Reda El Wakil, profonde voix de basse, a chanté La Calunnia/L’air de la calomnie, du « Barbier de Séville » signé Gioachino Rossini, Ella giammai m’amo ! Elle ne m’a jamais aimé, aria du « Don Carlo » de Verdi et Quand la flamme de l’amour de « La jolie fille de Perth » opéra de Bizet ; Iman Mostapha, soprano dramatique, a interprété avec Amr Medhat l’intense duo d’amour du « Bal masqué » de Giuseppe Verdi, Duo Teco io sto, une aria tragique de « La Tosca » de Giacomo Puccini, Vissi d’arte/J’ai vécu pour l’art, inspirée de la pièce de Victorien Sardou, et deux chansons napolitaines des compositeurs Eduardo di Capua et Ernesto de Curtis. Les chanteurs étaient accompagnés au piano par le talentueux James Greig Martin.

Cette invitation au cœur de Paris des solistes de l’Opéra du Caire s’inscrit dans le cadre de l’année culturelle France Egypte dont le coup d’envoi a été donné le 8 janvier dernier par l’ambassadeur de France en Egypte, Stéphane Romatet, à l’Opéra du Caire. Un spectacle de danse classique et contemporaine, Indépendanse X Egypte – création de Gregory Gaillard, chorégraphe, danseur et maître de ballet à l’Opéra de Paris interprétée par les danseurs des deux Opéra(s), Le Caire et Paris – a été créé à cette occasion. La composition musicale de Florian Astraudo, également danseur à l’Opéra, a été réalisée pour l’événement, mixant de l’électro au ney, la flûte arabe. La ministre de la Culture égyptienne Inas Abdel Dayem et le ministre des Antiquités Khaled el-Enani étaient présents. Dans le cadre de cet échange artistique et symbole d’amitié entre les deux pays, l’année culturelle France Egypte propose de nombreuses manifestations tant au Caire qu’à Paris : au Caire, deux manifestations importantes, L’Épopée du Canal de Suez, pour les 150 ans de l’inauguration du Canal, exposition présentée en 2018 à l’Institut du Monde Arabe de Paris, et La Bande dessinée arabe aujourd’hui, créée lors du dernier Festival de la BD d’Angoulême. Le prochain grand événement parisien sera l’exposition Toutânkhamon, Le Trésor du Pharaon, à La Grande Halle de La Villette, à partir du 23 mars prochain.

Une année culturelle prometteuse s’engage, à en juger par la virtuosité des solistes de ce concert, donné à l’Oratoire du Louvre : l’amplitude, la couleur, le volume vocal et la qualité des timbres de voix, d’une belle intensité chacun dans son registre, furent un vrai plaisir.

Brigitte Rémer, le 22 février 2019

Mercredi 20 février 2019, Oratoire du Louvre, 145 rue de Faubourg Saint-Honoré, 75001. Paris – métro : Louvre-Rivoli et Palais-Royal, RER : Châtelet – Les Halles – Sites : www.bureaucultureleg.fr www. institutfrancais-egypte.com – www.francegypte19.com

 

Réinventer le Patrimoine – Enregistrer le présent

© Brigitte Rémer – Passage Kodak, Le Caire

La seconde édition de La Fabrique de la ville durable s’est tenue les 13,14 et 15 décembre 2018 à l’Institut Français d’Égypte – Le Caire/Mounira.

Une première édition avait réuni en 2017 les partenaires institutionnels investis dans le domaine de la gouvernance urbaine et des patrimoines architecturaux. Pour faire le lien et en écho à cette édition, la rencontre 2018 a débuté par la projection d’un film-reportage retraçant les objectifs et stratégies d’une réflexion voulue pérenne sur La Fabrique de la ville durable. Une belle idée permettant de sédimenter les interventions et les réflexions qui, l’année précédente, avaient lancé le colloque et qui d’année en année, enrichiront le débat.

L’édition 2018 met le projecteur sur les archives du présent et rassemble chercheurs, acteurs culturels et artistes impliqués dans la question des patrimoines culturels urbains, matériels et immatériels, d’Égypte et de France. Au-delà de l’architecture, elle interroge différentes disciplines telles que musique, photographie, littérature, cinéma, théâtre et cultures populaires en trois étapes : Réinventer la ville – Réinventer les patrimoines – Enregistrer le présent.

On découvre dans le premier volet du colloque, Réinventer la ville, deux quartiers du Caire, Hattaba et Maspéro, dans lesquels le collectif 10 tooba rassemblé par Ahmed Zaazaa, architecte et urbaniste, conduit des recherches appliquées sur la ville et l’habitat. Dans une ville de plus de vingt millions d’habitants, sans réelle infrastructure ni investissement pour la réhabilitation des quartiers anciens, le constat est sévère : 70% de l’habitat est formé de quartiers informels, la spéculation bat son plein et repousse les terres agricoles au profit de villes nouvelles périphériques, la question des transports est aiguë. Dans ces conditions, toute tentative et proposition en vue de développer des activités culturelles, apporte un peu d’oxygène. Marie Piessat, jeune doctorante en géographie de l’Université Lyon 3 et auprès du CEDEJ, centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales, observe de son côté les toits terrasses, au sommet des immeubles du Caire. L’enquête qu’elle mène révèle les pratiques urbaines et montre que ces toits – qui véhiculent une mauvaise image – sont des espaces de liberté, comme le décrivent les auteurs emblématiques de la littérature égyptienne, Naguib Mahfouz et Alaa Al Aswany dans lesquels elle puise. Le coordinateur des programmes de Mahatat, entreprise culturelle et sociale fondée en 2011 au Caire, Hussein Mohamed, présente ensuite la philosophie du travail mené et les pratiques artistiques que l’association met en place. La réinvention des espaces publics, à Port-Saïd et dans le Gouvernorat du Delta, est au cœur du sujet, à partir de la consultation des habitants et de l’analyse des besoins.

En vis-à-vis, deux expériences françaises sont présentées, deux projets singuliers basés sur des interactions et partenariats : la première, Yes we camp, une plateforme de projets urbains, dont témoignent Leïla Mougas et Arthur Poisson. Ils dessinent les territoires sur lesquels ils interviennent et qu’ils occupent temporairement, comme les Grands Voisins à Paris, situés sur le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul et plusieurs autres sites, à Marseille. Ils y réalisent un travail social avec l’association Aurore chargée de l’accueil des migrants, un travail culturel et économique avec Plateaux Urbains. Les différents projets en cours de réalisation, élaborés et mis en oeuvre en synergie avec ce collectif d’associations, déploie des trésors d’invention dans le passage à l’action. Ils partagent leur système d’organisation, qu’ils aimeraient modéliser. La seconde expérience, un travail de création sonore réalisé à Paris et en Ile-de-France par Simon Pochet et le collectif Mu, bureau chargé de production artistique auquel il est artiste associé, plonge dans l’innovation technologique et les outils numériques développés en parlant de web radio, de Fab-lab, de compositions sonores et de parcours artistiques réalisés notamment avec des élèves de la Goutte d’or à Paris, s’interrogeant sur les évolutions de leur quartier. Les projets du collectif Mu sont multiples et se nomment entre autres La Station-Gare des Mines laboratoire consacré aux scènes artistiques émergentes, Magnétique Nord 3 une sorte de festival et lieu de réflexion et d’expérimentation, Soundways, une application pour mobiles.

Le second volet du colloque, sur le thème Réinventer les patrimoines, s’inscrit dans plusieurs directions : tout d’abord celle du patrimoine bâti. Mohamed Elsahed, historien d’architecture et commissaire d’exposition signe l’exposition présentée à l’Institut Français sur le thème « Le Caire depuis 1900. Enregistrer l’architecture d’une ville qui disparaît » à partir des images de son récit sur l’architecture dont la publication, à visée de sensibilisation, est prévue en mai prochain. Mercédès Volait, directrice de recherche au CNRS et du laboratoire InVisu de l’Institut national d’histoire de l’art à Paris, qui connaît bien l’Égypte, s’interroge sur le thème Restituer et transmettre une mémoire visuelle du Caire moderne, au-delà des poncifs. Elle met en relation des photographies et documents de photographes comme Beniamino Facchinelli au début du XIXème, de collectionneurs comme Max Karkégi au XXème, de producteurs comme Richard Mosseri, qui permettent de reconstruire une histoire de la ville. La responsable de la bibliothèque de l’Institut français d’archéologie orientale au Caire (IFAO), Agnès Macquin, parle du projet international de numérisation et d’éditorialisation de documents traitant des relations de la France avec le Moyen-Orient, intitulé Bibliothèques d’Orient. En lien avec la Bibliothèque nationale de France, cette base de données consultable en trilingue – arabe, français, anglais – rassemble près de sept mille documents.

Autres directions de ce second volet, le cinéma, le théâtre et la musique. Pour le cinéma, Marianne Khoury, cinéaste et productrice, co-gérante de Misr International Films parle de la préservation et de la numérisation des archives Youssef Chahine, patrimoine familial dont une partie est actuellement exposée à la Cinémathèque de Paris – notes, cahiers, photos, découpages -. Elle présente, à l’occasion du dixième anniversaire de la disparition du réalisateur, une création musicale sur les vingt premières minutes de son film Gare Centrale avec le Trio Nerda et Z3ro feat, avant de projeter le film dans son intégralité. Pour le théâtre j’avais l’honneur de présenter la philosophie et le travail de la première troupe indépendante d’Égypte, El Warsha Théâtre, fondée en 1987 par Hassan El Geretly, démarche artistique que j’observe depuis une douzaine d’années. Son langage théâtral multiforme et ses sources d’inspiration multiples, viennent tant de l’énergie de la rue que des différentes strates de l’art populaire et traditionnel égyptien, tout en étant d’une grande modernité. Pour la musique, Louis Davis Brozetti a raconté l’odyssée de la mythique Columbia Phonograph Company, fondée en 1888 aux Étas-Unis et qui s’est développée à Athènes dans les années 1930, donnant une fabuleuse dynamique à la diffusion des musiques grecque, africaine et arabe. Il pose la question : faut-il restaurer cette emblématique maison de gravage, mixage, pressage de vinyles, de recherche en art de la pochette, et en faire un musée ? Enfin le compositeur de musique classique contemporaine arabe et chercheur en musicologie, Mustafa Saïd, grand joueur de oud, a parlé de sa démarche et de ses recherches musicales avec l’Ensemble for Arab Classical Contemporary Music/ASIL qu’il a fondé en 2003 et de son travail dans le cadre de la Foundation for Arab Music Archiving and Research/AMAR, fondation libanaise dont il est directeur artistique, spécialisée dans la conservation et la diffusion de la musique arabe traditionnelle (voir UC du 5 janvier 2019). L’enregistrement entraine-t-il toujours une perte d’identité, lance-t-il ?

Le troisième volet du colloque, Enregistrer le présent, s’est déroulé hors-les-murs, à Townhouse Rawabet : Omar Nagati, directeur de Cluster a parlé de méthodes alternatives pour imaginer la ville et présenté ses travaux de recherche. Au Caire, avec son équipe, il a réaménagé plusieurs passages du centre-ville et notamment le Passage Kodak. A Beyrouth et Amman il a créé une plateforme de partage des ressources, catalogue en réseau de bibliothèques et centres de ressources sur les villes. Dia Hamed et Mai Elwakil ont présenté leur travail au sein de Medrar.TV archives numériques des scènes artistiques contemporaines du Caire, et évoqué la problématique des droits. Mariam El Nazahy a parlé d’éthique et de protection des archives à travers le projet Open Index qui vise à numériser et diffuser les archives de la galerie Townhouse. D’autres démarches, personnelles ou collectives, de préservation de la mémoire ont été présentées dont le travail du CIC, Contemporary Image Collective par Andrea Thal, qui lie l’archivage et la programmation et qui parle de l’impossible neutralité des archives ; dont le travail de recherche mené par Ahmed Shawky Hassan sur La naissance de l’art vidéo en Égypte ; dont le roman de Omar R. Hamilton, La ville gagne toujours sur la révolution égyptienne de 2011, qui a obtenu en 2018 le Prix de la littérature arabe décerné par l’Institut du Monde Arabe, à Paris. Ont aussi été présentées une Performance de Alaa Abdelhamid autour des écrits sur les arts du philosophe et écrivain Abbas Mahmoud Akkad, ainsi qu’une lecture théâtrale menée par Duncan Evennou, Lancelot Hameli et Benoît Verjat, Les rêves du Caire, à partir des récits qu’ils ont collectés auprès de diverses communautés de la ville et qui s’inscrivent dans un work in progress.

Cette seconde édition de La Fabrique de la ville durable qui met en relation deux termes pouvant paraître antinomiques, Réinventer le Patrimoine – Enregistrer le présent, apporte un matériau d’une grande richesse. Elle a permis une confrontation d’expériences et de points de vue sur le patrimoine culturel, à partir de géographies différentes – l’Égypte et la France notamment – et à partir de formations et métiers diversifiés, mêlant architectes, concepteurs de projets culturels, artistes et chercheurs. Suivie d’un échange avec le public, chaque séquence a donné du grain à moudre et ouvert le champ de la connaissance. Chapeau bas au programmateur et modérateur de l’ensemble, David Ruffel, Attaché pour le livre à l’Institut Français d’Égypte et à son équipe, qui ont mis en œuvre ces fructueuses rencontres sous l’égide du Conseiller culturel, Mohamed Bouabdallah et de l’Attachée culturelle, Marine Debliquis.

« A la vitesse du météore se propage une rumeur selon laquelle l’État va démolir le monastère dans le cadre d’un projet d’équipements publics. En une seconde, la nouvelle devient le sujet des conversations dans les maisons, les échoppes, les magasins publics, les fumeries, la taverne et les terrains vagues… Il n’y a de verdure et de fleurs que dans le monastère… » décrit le Prix Nobel de Littérature, Naguib Mahfouz, dans les Récits de notre quartier publiés en 1975, et qui donnent les contours du microcosme où il vit, le quartier Gammaleya au Caire, au début du XXème siècle. « C’est dimanche. Rue Soliman-Pacha, les boutiques ont fermé leurs portes, et les bars et les cinémas se remplissent de leurs habitués. La rue sombre et vide, avec ses boutiques closes et ses vieux immeubles de style européen, semble sortir d’un film occidental triste et romantique. Depuis le début de cette journée de congé, le vieux concierge, Chazli, a transporté son siège de l’entrée de l’ascenseur à celle de l’immeuble, sur le trottoir, pour contrôler ceux qui y entrent et ceux qui en sortent… » écrit en écho, en 2002, Alaa Al Aswany dans son premier roman, L’Immeuble Yacoubian où il montre la vie foisonnante d’un édifice autrefois grandiose du centre-ville. « Une ville géante assise sur le bord, baignait dans l’eau ses pieds de pierre » disait Hugo dans Les Orientales, parlant du Caire.

Brigitte Rémer, le 13 janvier 2019

Colloque La Fabrique de la ville durable, 2nde édition, « Réinventer le Patrimoine – Enregistrer le présent » les 13,14 et 15 décembre 2018 à l’Institut Français d’Égypte, 1 Sh. Madresset El Huquq El Frinseya, Mounira, Le Caire.