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Carolyn Carlson chorégraphie… le musée d’Orsay

Poésie visuelle de Carolyn Carlson, avec quatre danseurs de sa compagnie – Juha Marsalo, Céline Maufroid, Sara Orselli, Yutaka Nakata – avec Hugo Marchand, danseur étoile – Pierre Le Bourgeois, violoncelle – le chœur de hurleurs finlandais Mieskuoro Huutajat dirigé par Petri Sirviö – Grande nef du Musée d’Orsay.

P.Le Bourgeois, C.Carlson, J.Marsalo © Ève

Carolyn Carlson a composé un spectacle qui s’inscrit dans la majestueuse nef du Musée d’Orsay. Les peintures et sculptures du XIXème balisent la route. Une scène a été montée au carrefour de deux grandes allées, une autre en vis-à-vis, qui permet les entrées et sorties des artistes. Plusieurs séquences composent le programme pour ne devenir qu’une seule pièce.

L’impressionnant chœur finlandais Mieskuoro Huutajat (qui signifie hurleurs) dirigé par Petri Sirviö, – une trentaine d’hommes hiératiques, élégamment vêtus – costumes anthracite, cravates, chemises blanches – se place sur les larges escaliers du musée et débute une puissante psalmodie sur des rythmes qui s’envolent par-delà les statues. Petri Sirviö le chef de chœur déploie la même énergie que les chanteurs déploient en intensité et étrangeté décalée. Affirmations, syncopes, accélérations, crescendos et décrescendos fendent l’air par un volume vocal déchiré jusqu’aux respirations finales et au silence. Ils reviendront clôturer le spectacle.

Yutaka Nakata © Ève

Après quelques accords de violoncelle (Pierre Le Bourgeois) entre en piste sur roulement de tambour Yutaka Nakata danseur d’origine japonaise, pour un solo créé en 2023, A deal with instinct. Carolyn Carlson puise dans le bouddhisme zen et les arts martiaux pour inventer une sorte de danse du sabre ou du bâton, pleine d’énergie. Torse nu, portant le hakama, cet élégant pantalon large plissé blanc et gris clair, de type samouraï, le geste est guerrier, concentré, élégant et dense, avec de puissants jetés de jambe et une fluidité des bras sur texte enregistré et musique synthétique (signée Aleksi Aubry-Carlson). Yutaka Nakata, est formé aux techniques du Tai-chi et du Qi Gong, il invoque les pouvoirs du tigre ou du serpent pour rechercher un équilibre malgré l’instabilité du monde.

Sur la scène centrale apparaît ensuite Carolyn Carlson costume pantalon noir qui livre un texte offert avec quelques signes gestuels, livrant ses réflexions et méditations en anglais que traduit Juha Marsalo, dans le rôle de l’ombre ou de l’écho, sorte de Monsieur Loyal. Elle s’adresse au ciel, pierres, miroir, vaste océan, frontières, ancêtres, au monde sauvage, aux forêts et aux vagues, aux « mirages d’une nuit étoilée, hors de soi-même » avant de fixer son regard sur la passerelle d’un étage supérieur, où une danseuse en alerte (Céline Maufroid) invite à un autre voyage avant de s’enfuir. Les méditations à haute voix de Carolyn Carlson ont repris, son traducteur de l’autre côté, un peu loin pour l’efficacité avant que n’entre en scène vêtu de blanc Hugo Marchand, danseur étoile de l’Opéra de Paris.

Hugo Marchand, danseur étoile © Ève

Le solo Sunlight Under Water signé de la chorégraphe a été créé pour lui dans le cadre des Jardins culturels Dior en 2022 en collaboration avec le Château de Versailles et le sculpteur Jean-Michel Othoniel. Il l’a revisité pour sa présentation au Musée d’Orsay. La musique de Jóhann Jóhannsson, compositeur islandais décédé prématurément en 2018 porte ce solo épuré et virtuose sur orchestre lyrique. Les mains du danseur sont papillons, il vole dans la nef avec un alphabet décliné du battement à l’arabesque, de l’en-dehors au jeté, des tours en l’air aux pliés dans une fluidité contemporaine. « Les arbres, l’herbe, le ciel, l’eau et la terre fusionnent avec les rythmes intérieurs du danseur étoile, tel un voyage dans la Nature et dans sa propre intériorité. Hugo explore le monde entre le sacré et le profane, le spirituel et le physique, la connexion au phénomène silencieux de la splendeur terrestre pour ne faire plus qu’un avec la Nature, et notamment avec l’eau, qui représente l’éternel flux de créativité et la force vitale de nos existences » dit la chorégraphe.

Céline Maufroid © Ève

Carolyn Carlson revient dans un jeu de chiffres de cinq à sept et le lyrisme des violons : « Le monde est sens dessus-dessous, Tu ne trouveras le salut qu’en toi-même » lance-t-elle. Entre une danseuse dans un nouvel élan musical, Sara Orselli, qui se détache de la statue blanche placée sur la trajectoire de mon regard, elle esquisse des pas et des gestes avec une certaine solennité et danse un duo avec Juha Marsalo. Les hurleurs Huutajat dirigé par Petri Sirviö reviennent sur scène et entourent les danseurs pour un final en apothéose et dans une chorégraphie créée pour l’occasion. Ils reprennent leurs chuchotements et phrasés syncopés, des cris aux rythmes dans un face à face complice avec les danseurs et tous s’apostrophent.

C’est une belle idée que de faire vivre le Musée d’Orsay, si habité, par des événements culturels. Avant cette présentation en soirée, Carolyn Carlson a montré dans la journée des extraits de son répertoire transmis aux élèves du Conservatoire à rayonnement régional de Paris-Ida Rubinstein. Sa poésie visuelle comme elle aime nommer ses chorégraphies, invite à une exploration ample et profonde entre orient et occident, méditation et action, équilibre et instabilité, force et délicatesse, immobilité et mouvement absolu. C’est très réussi.

Brigitte Rémer, le 1er juillet 2025

Le choeur Mieskuoro Huutajat © Ève

Carolyn Carlson, direction artistique, chorégraphies, improvisation et poèmes – Avec : Hugo Marchand, danseur étoile de l’Opéra de Paris – Pierre Le Bourgeois, violoncelliste – la compagnie Carlyn Carlson : Juha Marsalo, Céline Maufroid, Yutaka Nakata, Sara Orselli – Mieskuoro Huutajat, chœur dirigé par Petri Sirviö  – musique additionnelle : Johann Johannsson, Aleksi Aubry-Carlson. Régie lumière Gillaume Bonneau – régie son Rémi Malcou – avec le soutien de l’ambassade de Finlande.

Les 28 et 29 juin 2025 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing. 75007 Paris – métro : Solférino – site : www.musee-orsay.fr