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Double murder : Clowns, The Fix

© Todd MacDonald – “Double murder/The Fix”

Chorégraphie et musique Hofesh Shechter avec sa compagnie Junior, dans le cadre des saisons du Théâtre de la Ville hors les murs et du Théâtre du Châtelet

Il y a une formidable vitalité dans la proposition de Hofesh Shechter et ses danseurs, intitulée Double Murder. Double programme aussi pour fêter un retour sur scène après deux années de pause obligée, par une pandémie qui a gagné le monde entier : Clowns en première partie, suivi de sa nouvelle création, The Fix. Ce plaisir du retour, le chorégraphe l’exprime aussi dans un avant-propos de folle gaîté sur la musique d’Offenbach, où il entraine le public en des hip hip hip, hourra pour le plaisir de tous.

 Hofesh Shechter avait créé Clowns en 2016 pour le Nederlands Dans Theater, qu’il a repris de loin en loin. C’est aujourd’hui une tout autre version qui est proposée avec sa nouvelle génération de danseuses et danseurs, âgés de 18 à 25 ans, la Compagnie Junior, créée en 2015. Clowns ne fait pas tant référence aux personnages comiques de cirque, qu’à la mise en scène de la violence meurtrière et des exécutions sommaires. On assiste à un simulacre de meurtres : pistolets sur la tempe, couteaux dans le dos, étranglements, sur un mode distancié, banalisé et ludique. On y meurt, on y ressuscite, on y vit, on y danse. Ici, la fête côtoie la mort.

Quatre couples de danseuses et danseurs s’infiltrent dans ce dérèglement du monde et tirent les ficelles avec légèreté et fureur, tantôt victimes, tantôt bourreaux. Une bande son magnétique créée par le chorégraphe les porte, de l’accéléré au répétitif, du lancinant à l’obsédant et les lumières sculptent les atmosphères. Les danseurs portent des costumes disparates mais harmonieux aux tons grège, sable, bistre et marron glacé, prêts pour un opéra bouffe : pour les hommes chemise à jabot, collerette XVIème autour du cou, veste romantique ou redingote, lavallière, pantalons flous ou serrés, pour les femmes, robes sur collants blanc cassé, petit liseré tradition ou pantalons saris dans ces mêmes couleurs, gilet justaucorps manches longues, jupe courte bordée de dentelles, transparences superposées.

La danse est très structurée tout en restant libre pour traduire le sarcasme, l’ironie et l’absurde, la colère et l’humour. Les pieds ancrés dans le sol, les figures en cercles, farandoles et lignes évoquent les danses traditionnelle, classique ou baroque, le clanique et la transe. La virtuosité des danseuses et danseurs, par la générosité et l’amplitude des gestes qu’ils accomplissent, par les ondulations du corps, transmettent beaucoup de grâce à l’ensemble, en dépit de la noirceur d’un thème qui nous transporte ici et ailleurs.

La nouvelle création de Hofesh Shechter présentée en seconde partie, The Fix / La Réparation, change de registre. Elle est née de ce temps suspendu pendant la pandémie Covid et traduit le plaisir de se retrouver. Du magma dans lequel danseuses et danseurs évoluent au début de la pièce, émergent des personnalités jusqu’à ce que, un à un, parés de masques et de gel, ils rejoignent les spectateurs dans la salle, pour les étreindre. « Il faut toujours s’attendre à l’inattendu ; c’est ce que je souhaite pour mon public » affirme Hofesh Shechter qui décline sur un mode personnel son inépuisable alphabet, à la fois poétique et provocateur.

La Hofesh Shechter Company, est en résidence au Brighton Dome et Hofesh Shechter est lui-même artiste associé au Sadler’s Wells. Avec de nombreuses cordes à son arc car également formé comme musicien, depuis 2002, année de la présentation de sa première chorégraphie, Fragments, il développe un éblouissant sens du rythme qu’il canalise à travers les danseurs, porteurs de sa sensibilité, de sa sensualité et de son talent.

Brigitte Rémer, le 14 octobre 2021

Avec la Hofesh Shechter Company : Miguel Altunaga , Robinson Cassarino , Frédéric Despierre,  Rachel Fallon , Mickaël Frappat, Natalia Gabrielczyk , Adam Khazhmuradov, Yeji Kim, Emma Farnell-Watson, Juliette Valerio. Directeur artistique associé Bruno Guillore – directeur technique Paul Froy – reprise des lumières Andrej Gubanov – régisseur Lars Davidson – assistant régisseur Léon Smith – directeur de tournée Rachel Stringer.

Pour Clowns, lumières Lee Curran – lumières additionnelles Richard Godin – d’après les costumes de Christina Cunningham – musiques additionnelles : CanCan, de Jacques Offenbach, The Sun, de Shin Joong Hyun (Komca) interprétée par Kim Jung Mi – Pour The Fix, lumières Tom Visser – costumes Peter Todd – musique additionnelle Le Roi Renaud, de Pierre Bensusan.

Concernant le travail de Hofesh Shechter, voir aussi notre article sur Political Mother Unplugged, du 17 janvier 2021.

Political Mother Unplugged

© boshua

Chorégraphie et musique de Hofesh Shechter, au Théâtre de la Ville/Théâtre des Abbesses.

C’est en 2008 que le danseur chorégraphe Hofesh Shechter fonde sa compagnie, après s’être installé à Londres quelques années auparavant. Sa première chorégraphie, Fragments, date de 2002. Il a été formé à l’Académie de danse et de musique de Jérusalem, a ensuite dansé au sein de la Batsheva Dance Company, a travaillé avec les chorégraphes Wim Vandekeybus, Paul Selwyn-Norton et Tero Saarinen. Très tôt, adolescent, la danse folklorique l’attirait.

La pièce, Political Mother Unplugged, qu’il présente au Théâtre de la Ville, aujourd’hui par écran partagé, fête ses dix ans et n’a cessé d’évoluer. Cette nouvelle version est présentée par sa Compagnie Junior, dans un Théâtre de la Ville solidaire et généreux, vidé de son public mais non de sa substance. Les jeunes danseurs de la Compagnie ont entre vingt-et-un et vingt-cinq ans et viennent de différents pays – États-Unis, France, Grande Bretagne, Singapour, Taïwan – C’est pour eux une plateforme de lancement dans la carrière. Chaque année depuis dix ans, la Hofesh Shechter Company est invitée au Théâtre de la Ville et présente ses spectacles. Uprising et In your rooms furent les premiers, en 2010. Hofesh Shechter signe aujourd’hui Political Mother Unplugged en sa nouvelle version, en tant que chorégraphe et compositeur de la partition musicale. Il est en effet également musicien, a appris et pratiqué les percussions et avait hésité entre les deux disciplines. La musique qui accompagne ses spectacles est habituellement jouée en live, des images (de Shay Hamias) viennent ici combler le vide de l’absence des musiciens.

Le mot Political contenu dans le titre de la pièce, Political Mother Unplugged, a ici son importance. Des images vidéo suggèrent et esquissent en des dessins brouillés quelques figures peu fréquentables et l’allusion à une mère-patrie incertaine. La première scène chorégraphique montre un samouraï qui se fait hara-kiri, seul en scène. On est entre le politique, le militaire, la transe et la déliquescence, entre la destruction et la folie. Les séquences se suivent, rythmées par des moments musicaux forts où alternent le collectif, les duos, trios, et autres configurations, mais le collectif domine. La lumière alterne de même entre semi-obscurité et éclairage cru, agressif parfois. Les couleurs des costumes sont hétérogènes, de l’ocre au rose foncé ou à l’orange, short, robe ou pantalon. Rondes, sauts, ligne, fête, le spectacle déborde d’énergie comme un volcan qui gronde. On est entre la fin atomique, l’adoration au soleil, le magma du centre de la terre, dans des spasmes et des secousses en dérapage contrôlé.

Il y a beaucoup de fougue et sur l’écran les images d’un tyran-pantin qui hurle, porteur de tous les totalitarismes. La dramatisation nous mène de mort à résurrection et les éléments se déchaînent. Tout à coup une note, unique, continue, suspend le mouvement bientôt reprise par les violons. Plus tard les danseurs sortent, hagards. Est-on dans un camp ou dans un asile ? Le plateau se vide. Une mélodie reprend. Les dix interprètent s’avancent, face au public, bras en l’air, en réponse à celui qui, sur écran, les menace de son arme. Un dialogue s’engage avec l’image, les danseurs sont en fondu enchaîné avec elle, dans tous les sens du terme. C’est la force du collectif. On voit peu leurs visages, ils sont souvent dos public, face à l’écran. Qui tire sur eux ? Déflagration, désintégration, anomie entourent le samouraï de retour, démultiplié en quatre figures, couleur gris acier.

Les moments crus et agressifs où une armée se rapproche alternent avec d’autres, méditatifs et oniriques, avant que les rayons d’un soleil cruel n’aveuglent le public et que tout à nouveau disjoncte et se délite. Des tours de cour, image de captivité, des accélérations décélérations, des passages de relais spontanés, une lutte contre l’invisible. La douceur des violons tout-à-coup apporte son réconfort et son lyrisme sous une lune blanche et brillante avant que ne reviennent des tremblements sourds et le rythme d’un tambour au loin, comme un cœur qui bat. Certains danseurs se suspendent, d’autres courent, d’autres tressaillent et s’agitent. Des dessins aux contours blancs s’écrivent sur un tableau noir. La figure du tyran revient en un flux et un reflux, comme un cauchemar, accompagné de cris fauves.

Political Mother Unplugged ressemble à un conte philosophique et une histoire d’aujourd’hui. Les danseurs se remettent en mouvement, sur un rythme lancinant avant que ne monte une psalmodie et que se superposent des mélodies, avant qu’une ronde ne se forme. Where there is pressure there is folk dance… L’un danse, tous regardent, avant de disparaître. Une lumière crue comme en surexposition, surgit. La fin s’étire, une voix passe sur un air de balade, suivie de quelques notes de saxo. Retour sur le danseur samouraï qui ferme le spectacle – I really don’t lie/Je ne sais pas mentir – jusqu’à ce que l’image s’éteigne et que les danseurs se figent. La troupe salue devant une salle vide, sans applaudissements ni remerciements. Ils ont du mérite d’autant, félicitons-les chaleureusement. Bonjour tristesse !

Brigitte Rémer, le 15 janvier 2021

Avec : Jack Butler, Evelyn Hart, Evelien Jansen, Niek Wagenaar, Rosalia Panepinto, Jill Goh Su-Jen, Chieh-Hann Chang, Charles Heinrich, Marion de Charnacé, Jared Brown.

Chorégraphie et musique Hofesh Shechter – lumières originales Lee Curran – costumes originaux Merle Hensel – projection vidéo Shay Hamias – collaboration musicale Nell Catchpole et Yaron Engler – arrangements percussion Hofesh Shechter et Yaron Engler – musiques additionnelles Jean-Sébastien Bach, Cliff Martinez, Joni Mitchell, Giuseppe Verdi.

Vu en direct sur www.theatredelaville.com