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L’Amour telle une cathédrale ensevelie 

© Christophe Pean

Texte et mise en scène Guy Régis Jr – composition musicale et guitare Amos Coulanges – Compagnie Nous Théâtre, au Théâtre de la Tempête.

Les clés nous sont données à la fin du spectacle. Les clés d’un arrachement, au-delà de la raison, d’un Fils à sa Mère. Comme d’autres, il a bravé son destin en tentant de la rejoindre depuis Haïti jusqu’au Canada. Comme d’autres il a sombré en chemin, l’embarcation qui devait l’emmener vers un meilleur destin s’est retournée. La nouvelle vie imaginée et qui devait cimenter la famille s’est arrêtée net.

On comprend alors la violence de l’affrontement qui se tient à huis-clos entre l’homme et la femme – elle, Haïtienne émigrée ayant épousé un Canadien, son Retraité Mari, rencontré par internet avec l’aide de son fils – et la rage qui occupe le premier tiers du spectacle. « Tu délires, tu dénies. Je te hais… » jette-t-elle. Et lui, le « faux-sage » comme elle le caractérise, demande grâce « Parlons… » tente-t-il. « Je ne parle pas de guerre, vieux cacochyme. Je parle de l’amour, de cet amour mort entre nous. De l’amour telle une cathédrale ensevelie », d’où le titre du spectacle. Et quand tout se délite, il réagit avec la même violence : « J’ai tout oublié… jusqu’à ton pays… » Un grand naufrage.

Rupture de style avec la seconde partie qui se tient à l’avant-scène et qui pourrait évoquer un chœur grec ou un oratorio. Au texte théâtral se mêle le chant d’un chœur lyrique inspiré des rythmes caribéens populaires et sacrés. Tels des revenants, ces personnages-acteurs mais aussi magnifiques chanteurs portent les polyphonies et invoquent le dieu de la mer et des océans, Poséidon. La partition, composée par le talentueux compositeur et guitariste classique Amos Coulanges, présent en live dès le début du spectacle, se compose de dix chants en créole haïtien surtitré en français, empreints de lyrisme. Le choeur commente d’une voix collective l’action dramatique qui se déroule derrière lui, face au public, sur le tulle noir devenu écran, celle des boat people accompagnant le Fils. Il porte ses imprécations, « Sur ce bateau-sauve-qui-peut, celui ou celle qui se laisse plonger se noiera tout seul, pour ses propres yeux. » Cet écran sépare le salon en surplomb – deux petits canapés type occidental et le vide absolu – de cette grève abandonnée où coule une rivière là où apparaissent les bateaux de l’exil, (scénographie Velica Panduru, lumières Marine Levey). Des images de chaloupes surpeuplées nous submergent, entre l’euphorie du départ et le drame absolu du naufrage (vidéo Dimitri Petrovi), grondements en mer, pluies d’orage sur scène, tempête (création sonore François Van Opstal). Ces anonymes qui ont pris place dans les embarcations, pleins d’espoir et d’une grande force de vie, s’effacent, laissant pour traces quelques effets flotter à la surface de l’eau. Il pleut sur le tulle.

© Christophe Pean

Retour sur le couple qui se réchauffe un peu, dans la troisième partie de la pièce, tenté par la fête au loin, les lumières. Pas de danse pourtant mais un récit poignant de la mère parlant de l’absent, ce Fils intrépide, noyé, qui ne la rejoindra pas. Dans une puissante montée dramatique la Mère rappelle Antigone à qui il est interdit de mettre en terre son frère, Polynice. Pas de tombe pour les intrépides. Cette dernière séquence, principalement portée par Nathalie Vairac, magnifique actrice, est d’une grande force.

Avec L’Amour telle une cathédrale ensevelie second volet de la Trilogie des Dépeuplés écrite par Guy Régis Jr – qui n’a pas épuisé le sujet de l’exil, se croisent la petite et la grande histoire d’Haïti.  Ici, la mère quitte l’Île, comme elle le dit : « Nous sommes à la recherche d’une terre à la mesure de nos pieds… »  L’auteur poursuit sa radiographie des familles haïtiennes éclatées qu’il connaît bien, il vient de l’une d’elles. Le premier volet, Étalé deux pieds devant, devenu au théâtre Les cinq fois où j’ai vu mon père (cf. notre article du 31 janvier 2022) traitait de l’absence du père qui avait quitté le foyer en catimini pour s’installer aux États-Unis, du vide et de la souffrance de l’enfant, resté au pays avec sa mère. La troisième pièce, Et si à la mort de notre mère, parle du retour au pays de la mère, malade, elle n’a pas encore été montée.

La création de la pièce a eu lieu en septembre dernier au festival Les Zébrures d’automne, ex-Francophonies de Limoges.  Outre son talent d’auteur dramatique, Guy Régis Jr met en scène ses textes et partage son Haïti, proche et lointaine dans ses tragédies contemporaines, donnant corps, avec finesse et ingéniosité, à l’indicible.

Brigitte Rémer, le 21 novembre 2022

Avec : Déborah-Ménélia Attal – Frédéric Fachena et François Kergourlay en alternance – Jean-Luc Faraux – Dérilon Fils – Aurore Ugolin – Nathalie Vairac – assistanat à la mise en scène Hélène Lacroix – composition et guitare Amos Coulanges – scénographie Velica Panduru – vidéo Dimitri Petrovic – lumières Marine Levey – création sonore François Van Opstal – régie générale Samuel Dineen – La Trilogie des dépeuplés est publiée aux Solitaires Intempestifs.

Du 11 novembre 11 décembre 2022, du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre. 75012 – tél. : 01 43 28 36 36 – site : www.la-tempete.fr

Face à la mère

© Gabrielle Voinot

Texte Jean-René Lemoine – mise en scène Alexandra Tobelaim – création musicale Olivier Mellano – au Théâtre de la Tempête/Cartoucherie de Vincennes

L’auteur donne rendez-vous à sa mère, assassinée, dans un pays qu’il ne nomme pas mais qui est aussi le sien, Haïti. Un rendez-vous pour tout ce qu’ils ne se sont pas dit. « Voici venu le moment de me présenter à vous pour cet entretien si longtemps différé. » Le parcours d’enfance ne fut pas si simple entre ce pays quitté, l’exode à Léopoldville aujourd’hui Kinshasa, l’adolescence en Belgique pour des « années pluvieuses, neigeuses, brièvement éclairées par la lumière de l’Afrique où, pendant les grandes vacances, nous allions rejoindre mon père pour un simulacre de vie familiale. » Puis l’envol vers d’autres horizons où la perfection, enfin, n’est plus obligatoire.

Écrit en trois mouvements, trois moments, précédé d’un prologue et fermé d’un épilogue, Face à la mère commence, sur scène, par le bruit du ressac, celui de l’Atlantique ou de la mer des Antilles, celui de l’ambivalence. Dans ce récitatif où se tissent douceur, douleur et pudeur apparaît le portrait contrasté d’une mère, institutrice, qui pour ses enfants recherchait l’excellence et ne savait donner le geste tendre tant attendu. Et pourtant, « Vous me manquez » écrit-il dans cette lettre qu’il lui adresse, comme une sonate au clair de lune. Et il refait le parcours : « Où sont les chemins de mon enfance ? »

Dans le premier mouvement la nouvelle qui tombe, en pleine répétition, par un coup de fil de la sœur, le retour précipité avec elle pour accompagner le dernier voyage et vider la maison. « La mère portait une jupe blanche aux mille plis et cette jupe était un conte de fée aux histoires infinies » cette même jupe avec laquelle elle est partie. « Prendre son souffle », laisser les pensées s’évader sur l’esprit des lieux, les années passées sans se voir, les questions qu’il lui pose : « A quoi pensiez-vous en quittant ce pays ? Avez-vous été heureuse à Coquillatville puis à Léopoldville… ? »

« Si je me souviens bien, jusqu’à l’âge de vingt ans j’ai été votre fils, le meilleur, puis le pire » ainsi commence le second mouvement dans lequel Jean-René Lemoine va « gratter la mémoire jusqu’à l’os » en faisant émerger les moments de difficulté, puis de cruauté. « Le premier jour de septembre vous m’avez laissé dans une cour de récréation grande comme un champ de bataille au milieu d’enfants pâles qui me dévisageaient… » La vie quotidienne s’est écoulée, l’enfant était sage comme une image et travaillait bien, pour faire plaisir. Jusqu’à ce qu’il apprenne à dire non.  « Nous étions confinés dans la cale d’un navire définitivement à quai. J’attendais que le sablier se vide pour tracer mon sillon dans des terres plus clémentes. » A l’adolescence, l’auteur apprend la solitude, l’absence, la frustration. « Je voudrais que quelqu’un caresse mon épaule. » La tension fut extrême, « nous cherchions tous les deux le mot définitif qui allait briser l’autre. »

Dans le troisième mouvement le déroulé de l’acte, l’assassinat, le taraude. « Mille fois j’ai inventé pour elle une mort un peu moins inhumaine. » Puis il fait le compte des violences et des atrocités du pays pour un triste constat : « Votre pays ne va pas bien. Votre pays se meurt depuis votre départ. » Certains mots, quelques phrases, reviennent frapper, comme le mouvement de la mer, sorte de leitmotiv musical. « Où sont les chemins de mon enfance ? »  On voudrait retenir chaque mot de cette lettre écrite « par-delà les mers et par-delà le temps », poignant monologue intérieur. « Votre main sur mes yeux » devient en juste retour « ma main sur tes yeux… »

Faire théâtre d’un texte, si vrai et si fort, est loin d’être simple. La voix de l’auteur est ici portée par trois acteurs – Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon, Olivier Veillon – qui le vocalisent comme une partition de chant choral, décalent les mots en écho, ou en canon, ou les donnent à l’unisson, apportent leurs nuances et dessinent chacun une facette du fils face à la mère (travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq). Un praticable les rapproche du public et les pendrions clairs s’écrouleront, comme s’écroulent les illusions du fils (scénographie Olivier Thomas, lumières Alexandre Martre). Trois musiciens commentent et rythment les événements (Yoann Buffeteau à la batterie, Vincent Ferrand à la contrebasse, Lionel Laquerrière à la guitare et à la voix). Olivier Mellano violoniste et guitariste, qui rassemble des artistes pour des créations musicales dans de nombreux festivals et travaille pour le théâtre, a composé la partition. Le parti-pris de mise en scène posé par Alexandra Tobelaim – directrice du NEST/Centre dramatique national transfrontalier de Thionville-Grand-Est, à la recherche de formes singulières pour le passage du langage verbal au langage scénique – est très judicieux. La démultiplication du personnage et la sobriété du plateau donnent au texte toute sa puissance poétique et affective et place la relation du fils à la mère dans une dimension archétypale et universelle.

L’écriture de Jean-René Lemoine auteur, metteur en scène et acteur, bouleverse. Il avait présenté il y a quelques années une Médée, poème enragé qu’il avait écrit et qu’il interprétait avec beaucoup de subtilité et de poésie déjà, spectacle repris au Théâtre de la Ville. Il a reçu plusieurs prix pour l’écriture dont celui de la SACD pour L’Odeur du Noir et celui du Grand Prix de la Critique pour Scarlett O’Hara. Erzuli Dahomey est entré au répertoire de la Comédie Française en 2012 et Vents contraires a été créé en 2019 à la MC93 Bobigny. Son travail est à suivre très attentivement.

Brigitte Rémer, le 13 mai 2022

Avec les acteurs : Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon, Olivier Veillon – avec les musiciens : Yoann Buffeteau à la batterie, Vincent Ferrand à la contrebasse, Lionel Laquerrière à la guitare et à la voix) – création musicale Olivier Mellano – scénographie Olivier Thomas – lumières Alexandre Martre – costumes Joëlle Grossi – travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq – son Émile Wacquiez

Du 5 au 15 mai 2022 au Théâtre de la Tempête / Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, 75012 – site : la-tempete.fr – tél. : 01 43 28 36 36

Les cinq fois où j’ai vu mon père

© Nathania Périclès

Texte et mise en scène Guy Régis JR, avec Christian Gonon de la Comédie Française – à Théâtre Ouvert, en co-accueil avec le Théâtre Nanterre-Amandiers.

Assis côté jardin l’acteur-conteur regarde le public s’installer avant d’entrer dans le vif du sujet, un récit où l’auteur part à la recherche de sa propre histoire. Il énonce : « La cinquième fois où j’ai vu mon père, ce fut la dernière… » Bruitage des étals de marché et chant du coq. Cette cinquième fois, l’enfant avait douze ans et taraude sa mère : « Cet homme à la valise, sur le marché, c’était lui ? C’était lui, je le sais. Pourquoi ne réponds-tu pas ? » L’enfant raconte l’absence, les apparitions et disparitions, le chagrin de sa mère et le sien, de nature différente, l’incompréhension. Le récit fait le compte à rebours des quatre rencontres précédentes avec ce père aimé, l’absent, qui un jour, a quitté son île natale, Haïti. Parti pour les États-Unis, il ne s’est pas retourné, sauf, de loin en loin, sur son fils. Il a quitté un pays « sans-dessus dessous » comme finit par le lui dire sa mère. Elle, fière et décidée, ne le quittera pas. « Comment effacer un pays ? Un pays ne s’efface pas… » dit-elle.

La quatrième fois, « il était venu pour me dire qu’il m’aimait ». Le père-ombre semblable à un oiseau noir est représenté sur l’écran situé côté cour et en même temps habité par le conteur. « La troisième fois, j’avais 9 ans, il est venu pour ma communion, et on a posé dans le studio photo de Magic Photos ». Un flash traverse la salle et éblouit le public, souvenir d’un moment qui se grave au plus profond. La seconde fois, « j’avais 6 ans. Ma mère m’a demandé de me faire beau, je ne savais pas pourquoi, j’ai cru qu’on allait à l’église. Je pleurais toute la pluie » ajoute-t-il, quand il comprit. La première fois, « j’avais un an et je pleurais » ; « Arrête… Arrête… » lui disait-on. Et il apprit à dire « papa… » Le Père était parti dans l’espoir d’une vie meilleure. « Depuis, l’enfant l’avait cherché partout, dans tous les visages, dans toutes les moustaches, dans tous les visages d’hommes. »

Depuis ce départ, il/le narrateur/ Guy Régis JR – car l’œuvre est autobiographique – avait cherché ce Père. « J’ai si soif de te voir… » il aurait aussi voulu connaître « la recette de l’oubli » ne plus voir, ne plus souffrir en même temps qu’il se chargeait d’énergie. « J’aurais voulu manger le soleil, être le soleil… »  À Haïti la nature est présente, soleil et pluie,  comme l’art, par les peintres et les écrivains, mais l’envie de partir souvent est plus forte, pour vivre mieux. Les pères partent et laissent un grand vide. C’est le récit que fait Guy Régis JR de sa vie, à la recherche de sa propre histoire. « Aujourd’hui, à l’âge où je suis vieux, je me surprends à le chercher encore… je le cherche sans répit » ajoute-t-il.

Écrivain, réalisateur et metteur en scène Guy Régis JR fonde sa compagnie, Nous Théâtre, en 2001 et pose un acte fondateur avec son premier spectacle Service Violence Série, créé en 2005. Il est également actif dans le développement des arts vivants en Haïti, et a créé le Festival 4 Chemins à Port-au-Prince, moment important de la vie culturelle de la capitale haïtienne. Réalisateur de courts métrages expérimentaux, il est actuellement en résidence à la Villa Médicis où il mène un projet d’écriture. Ses textes – théâtre, romans et poésie, sont traduits en plusieurs langues.

Avant d’être un récit-scène, Les cinq fois où j’ai vu mon père est un récit-roman. L’écriture, sensible, évidente et poétique, est ici comme une petite musique teintée de la mémoire. Avec intensité et sans artifice Christian Gonon, acteur de la Comédie Française, porte magnifiquement ce monologue intérieur. Il habite l’enfance et parle des chagrins, entre le silence de la mère et l’absence du père comme un arrachement. A côté de lui l’écran se peuple des dessins naïfs de Raphaël Carloone ponctuant le récit. Ils mettent le projecteur sur l’identité haïtienne de l’auteur et traduisent l’environnement et le climat, la violence de la pluie à certaines périodes, en lien avec le désarroi de l’enfant.

Derrière le chagrin il y a la vie et les cris d’enfants. Il y a un grand lyrisme de l’auteur qui avec pudeur parle de départ et d’exil dans un pays, Haïti – premier pays au monde né d’une révolte d’esclaves comme le fut la révolution haïtienne, en 1804  – où 70 % des personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Pays qui avait inspiré à Césaire La Tragédie du Roi Christophe, montée pour la première fois par Jean-Marie Serreau, en 1964. C’est un travail de mémoire qui traverse tous les pays, toutes les enfances.

Brigitte Rémer, le 25 janvier 2022

Avec Christian Gonon, de la Comédie-Française – assistanat à la mise en scène Kim Barrouk, Hélène Lacroix – création sonore Hélène Lacroix – images Raphaël Carloone – régie générale Sam Dineen – Le roman, Les cinq fois où j’ai vu mon père est publié aux éditions Gallimard, collection Haute Enfance.

17 au 29 janvier 2022, Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta 75020 Paris – tél. :01 42 55 55 50 – site : theatre-ouvert.com – En tournée : 25 et 26 mars 2022 : Tropiques Atrium, Fort de France, Martinique – 1er et 2 avril 2022 : L’Artchipel, Basse-Terre, Guadeloupe – à venir : Théâtre de Liège, Belgique

Lettre de France

© D.R.

© D.R.

Hommage à Willems Edouard, expert dans le domaine de la propriété intellectuelle, en Haïti.

« Ils ont assassiné Willems c’est tout ce que je peux dire avec certitude » écrit un de ses collègue et ami, depuis Port-au-Prince. Vendredi matin, 8 juillet 2016, « alors qu’il s’apprêtait à entrer dans son bureau, Willems a reçu deux balles, dont l’une dans la tête. Les assassins ne l’ont pas raté. »

Né le 23 avril 1965 à Pétion-Ville (Haïti) Willems vient à Paris pendant une année, en 1997/98 dans le cadre de la Formation Internationale Culture, programme du ministère français de la Culture et obtient un DESS en management culturel de l’Université Paris3 Sorbonne Nouvelle. Il fait un stage à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et écrit un mémoire sur le sujet : La gestion collective au regard de développement technologique. Le cas de la SACD.

Avec ses collègues venant d’Angola et du Brésil, du Cameroun, de Chine et de Chypre, de Corée du Sud, de Hongrie et de Jordanie, du Mali, de Roumanie, de Russie et du Sénégal, d’Ukraine et du Venezuela, il échange sur La formation des conseillers culturels des communes, tremplin pour impulser l’action culturelle en Haïti. Avec sa promotion, il fait un voyage d’étude dans la Région Centre de la France pour y observer la vie culturelle à différents niveaux : local, départemental, régional et national. Il y rencontre les décideurs, les responsables d’institutions, les artistes et porteurs de projets et réfléchit à la problématique des friches industrielles réinterprétées en lieux culturels, guidé par un conservateur en chef des monuments historiques, passionné et passionnant -. Il part avec la promotion à Montréal, Québec et Ottawa visiter les lieux culturels, rencontrer les créateurs et les projets, comprendre les modalités de financement de l’art et de la culture dans différents domaines – le livre et l’édition, le cinéma et les nouveaux médias, les musées, etc. – Il est, avec tous, à Avignon, pour le Festival, moments de plaisir partagés. Gentillesse et discrétion, un projet bien ancré dans sa réalité, en Haïti, Willems trace sa route.

De retour à Port-au-Prince, il poursuit des études juridiques à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, et obtient son doctorat en Droit, en 2006. Devenu spécialiste de la propriété intellectuelle par son travail, Willems dirige le Bureau Haïtien du Droit d’Auteur de 2000 à 2004, puis les Presses Nationales d’Haïti qu’il restructure et modernise, de 2004 à 2011. Pendant ces sept années il contribue fortement au développement de la poésie et de la littérature en créole et en français, s’intéresse à la traduction et à la diffusion dans le pays et à l’étranger dont en France. Il lance plusieurs collections et crée un site internet, numérise certaines archives nationales dont les Journaux Officiels à partir de 1804. Il sait éveiller la créativité en écritures, organise des concours et crée des clubs de lecture notamment dans les écoles qui n’ont pas de bibliothèque. Le journal Le Nouvelliste lui décerne le Prix du Gardien du Livre, en 2012.

Devenu conseiller auprès du Conseil National des Télécommunications – Conatel – Willems Edouard ouvre en 2015 son cabinet, en tant qu’avocat et consultant. Comme professeur au Département Juridique de la Faculté de Droit et des Sciences économiques, il publie régulièrement des articles dans les magazines spécialisés et les journaux, notamment dans le quotidien Le National. Il est aussi auteur, deux de ses recueils de poésies ont été publiés : Rêve obèse, à Port-au-Prince en 1996 et Plaies intérimaires, à Montréal en 2004.

De Paris à Port-au-Prince le monde culturel pleure le départ de Willems, la violence de ce départ, l’absurdité et l’injustice, son absence. Organisations et professionnels de l’art et de la culture – entre autre la Fondation Culture Création d’Haïti qu’il côtoie – se mobilisent. « C’est avec la rage au cœur que je t’annonce la mort brutale de Willems Edouard, un ancien de la Formation Internationale Culture*  tué par balle le 8 juillet 2016 à Pétion-Ville… » écrit la Fondation. Il y avait déjà eu pour nous, en 2001, l’assassinat sauvage de Giovanni Barandica López, colombien de Cali, personnalité calme et discrète, comme Willems, tous deux investis dans leur engagement culturel.

Si l’on pose que la culture est un risque, et plus, un danger « il faut montrer au monde que l’esprit n’a jamais été soumis », dit l’auteur haïtien Dany Laferrière. Dans un climat politique tendu en Haïti sur fond de campagne électorale où la montée de l’insécurité et de l’arbitraire semble se confirmer, on a rayé d’un trait de plume ce généreux et brillant avocat qui a consacré sa vie professionnelle à la défense des artistes et à la justice de son pays. Et reprenant le titre d’un ouvrage de René Depestre, Non-assistance à poètes en danger, rendons hommage au travail de Willems.

Brigitte Rémer, 18 juillet 2016

* L’auteur de l’article a été directrice de la Formation Internationale Culture, de 1991 à 2003.

Les enfants des cyclones

Logo_SoupirailPremier roman de l’auteur haïtien Ronald C. Paul publié en France, aux éditions Le Soupirail.

Cette jeune maison d’édition créée en février 2014 et dédiée à la littérature française et étrangère, vient de publier un premier roman, Les enfants des cyclones, dont l’écriture est prometteuse. Il a été décerné à son auteur, Ronald c. Paul, le 3e Prix ADELF-AMOPA – Association des écrivains de langue française – de la première oeuvre littéraire francophone, le 24 mars 2015, à l’Organisation Intergouvernementale de la Francophonie (OIF).

Jacques Chevrier, président et Marie-Neige Berthet, secrétaire générale, dans leur discours de remise du Prix, ont fait l’éloge de l’ouvrage : « Le grand mérite du livre est d’évoquer la violence quotidienne avec colère et pudeur. Les émeutes, les tontons macoutes, les trafics (…) toutes les déambulations misérables sont énoncées sans pathos ».

L’écrivain haïtien, Gary Victor, résume le roman en quatrième de couverture, son ambiance, ses drames : « Dans le balancier des cyclones caraïbes, Ronald c. Paul raconte, avec un sens impressionnant des détails, la vie de deux jeunes enfants en Haïti dans un moment bien particulier de notre histoire où tous les rêves d’une génération vont faire naufrage, comme emportés par les eaux des grandes intempéries. La force de ce récit c’est d’avoir mis en parallèle deux vies, celles de Willio et de Willia, un frère et une sœur que rien n’aurait dû séparer et, qui, dans leur véhément désir de se rencontrer, malgré les aléas de la vie, sont mus par l’appel profond du sang, peut-être capable de mettre à la raison les lois de la physique. L’écriture de Ronald c. Paul nous restitue à la fois la singularité d’une ville chaotique, Port-au-Prince, et l’agitation démentielle des personnages possédés par les démons de la survie. Voici un très beau roman qui démontre encore une fois la vitalité de la littérature haïtienne ».

Né à Port-au-Prince en 1957, Ronald c. Paul est d’abord un passionné de lecture et s’exerce à l’écriture depuis toujours. À partir du début des années 90, il se consacre au développement du livre et de la lecture en Haïti. Parallèlement, son intérêt pour la peinture et le cinéma l’amène à concevoir et à réaliser le film Zenglen rèv atis pent nan Nò yo, musée d’art virtuel de la peinture contemporaine du Nord du pays, ainsi que l’histoire iconographique des hauts et des bas d’Haïti. Occasionnellement, il publie aussi des articles sur des sujets divers, dans des journaux et revues. Après plusieurs séjours à l’étranger, notamment à Bruxelles, Paris et Barcelone, il s’installe définitivement en Haïti où il poursuit son travail d’écriture.

Les enfants des cyclones a été présenté pour différents Prix dont Les Ethiophiles, le Prix Senghor, le Prix des Cinq continents, et le Prix du Premier roman à Laval. Pour son éditrice, Emmanuelle Moysan : « C’est un verbe qui claque, une langue qui ondule, emporte tout sur son passage, l’oralité, la créolité, la noirceur, la poésie, le merveilleux dans une multitude de détails pour peindre une terre, un peuple, et insuffler une narration vivante, un rythme haletant des dialogues, et le pouls, le doux chant d’un conte qui réinvente l’Histoire ». Emmanuelle Moysan est un coureur de fond qui peut être fière de cette première année de vie des éditions Le Soupirail qu’elle a créées à mains nues, avec passion, et forte de son expérience et de sa connaissance de la littérature et du milieu éditorial. Chez elle, l’objet-livre est en soi raffiné, comme le concept.

« Le Soupirail : œil-esprit dérobé et offert, rencontre entre souffle, lumière et regard. Il est mouvance, vision, entre intérieur et extérieur. Il met en valeur l’écart qu’offre l’écriture littéraire contemporaine face au monde. Cette respiration… » Ainsi définit-elle sa maison.

 brigitte rémer

Editions Le Soupirail. Littérature française et étrangère. Contact : editionslesoupirail@gmail.com – Site : www. editionslesoupirail.com