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2ème Biennale des Photographes du Monde Arabe contemporain

© Laila Hida – Série Borderless

Cette seconde édition poursuit son exploration de la création photographique contemporaine dans le Monde Arabe, à l’initiative de l’Institut du Monde Arabe et de la Maison Européenne de la Photographie. Gabriel Bauret en est le commissaire général. Huit lieux partenaires – l’Institut du Monde Arabe, la Maison Européenne de la Photographie, la Cité internationale des Arts, la Mairie du 4e, les galeries Thierry Marlat, Photo12, Clémentine de la Feronnière et Binôme – exposent ces photographies comme autant de regards d’auteurs – qu’ils soient ou non arabes – parlant de leurs pays ou vu d’autres rivages. Ils contribuent à « révéler des réalités cachées » comme le dit Jack Lang, Président de l’IMA, là où se mélangent les cultures et se croisent les sensibilités. Le positionnement de la Biennale est cette année, géographique. Deux pays du Maghreb sont à l’honneur, la Tunisie et l’Algérie. L’édition est dédiée à Leila Alaoui, photographe tragiquement disparue en 2015, alors qu’étaient exposés ses Portraits de Marocains.

Olfa Feki, co-commissaire basée en Tunisie, a rassemblé pour l’IMA les œuvres d’une vingtaine de photographes venant de l’espace tunisien et d’autres géographies. Ainsi Scarlett Coten, qui, née à Paris, travaille aux Etats-Unis et démystifie le concept de masculinité sous le titre Mectoub en prenant en photo des hommes épris de liberté, après la révolution. Elle signe l’affiche et la couverture du catalogue où un homme jeune et beau tenant un œillet à la main est assis dans un fauteuil, lascif, sur fond de papier peint de ces mêmes grosses fleurs rouges. Laila Hida, née à Casablanca, présente The Dreamers, une œuvre onirique travaillée avec Artsi Ifrach, designer marocain qui choisit des tissus, dentelles, broderies et couleurs, tandis qu’elle élabore des discours à travers la grâce et la poésie : arabesque d’un bras noir sur mur blanc, imprimés qui appellent, profondeur de la couleur. Douraïd Souissi présente Mohamed, Salem, Omrane, Hbib, Hsouna, sur le fond noir d’un paysage qu’on ne voit pas et qui mange la photo. Ses portraits d’hommes silencieux, yeux baissés ou de trois-quarts dos, à peine éclairés, sont d’une portée quasi mystique. Bruno Hadjih né en Kabylie (Algérie), fait, avec Nous n’irons pas nous promener, un récit photographique d’Effacements successifs à partit du rejet des effets radioactifs dus à l’essai nucléaire réalisé par la France en 1962, dans le Sahara. Huit photos grands formats, quatre de paysages arrêtés pour raison de rejets de gaz et de poussières radioactives, deux de visages ressemblant à des icônes, deux de dos. Née à Beyrouth et vivant aux Etats-Unis, Rania Matar parle, avec Becoming, du passage entre l’état adolescent et la volonté d’être femme. Stephan Zaubitzer, né à Munich, ramène d’une escale libanaise les photos de belles endormies que sont ces anciennes salles de projection au Liban, Le Star, Le Byblos ou Le Colorado qu’il prend à la chambre photographique grand format et qu’il intitule Cinémas. D’Egypte, Ahmad El-Abi avec Alphabet, tord les lettres de l’alphabet arabe, avec une certaine dose d’humour. Chaque lettre l’oblige à l’élaboration d’un concept différent qu’il pose sur trente petites toiles toutes fantaisies et de couleurs vives. Son compatriote, Karim El Hayawan présente Cairo cacophony, un film vidéo dans lequel défile, au rythme d’une musique enlevée, le quotidien égyptien : jeu de dominos, poissons, murs griffés, repas partagés, coupoles et photos en quinconce sur fond de fauteuils fatigués. Jaber Al Azmeh né à Damas, vit et travaille à Doha et présente Border-Lines, trois photos qui racontent le Sahara, en déplaçant les lignes : une rangée de seize fauteuils alignés et superposés, tête bêche, au milieu du désert ; des traces en pointillés comme des signes à perte de vue, sur un sable sépia ; une rangée de vieux autobus, cabossés et accidentés jaunes, blancs et vert d’eau sur ciel immense et bleu.

La Biennale se poursuit avec les photographies de trois artistes d’horizons différents, à la Maison Européenne de la Photographie. « Chacun des trois photographes tend un peu vers une acception de la nostalgie » dit son directeur, Jean-Luc Monterosso. Au premier étage, Hicham Benohoud, qui vit entre Paris et Casablanca, entre dans les appartements comme par effraction et s’impose à partir de deux thèmes : avec The Hole, il crée des trous dans les murs ou les plafonds, place et déplace les corps de manière ludique, inventant des écritures avec les bras, les mains, les pieds ou les bustes, puis il rebouche les trous et s’en va. Avec Acrobatics c’est une troupe d’acrobates qui l’accompagne et investit les appartements. Ils jouent de leurs figures et postures devant des familles mi amusées mi inquiètes, créant un joyeux anachronisme entre la rigidité de l’ordre habituel, dans la maison et la flexibilité de la liberté des corps. Au sous-sol de la MEP, Farida Hamak interroge l’Algérie d’aujourd’hui. La série de photographies qu’elle présente, Sur les traces, parle de Bou-Saâda, une ville sahélienne surnommée la Cité du bonheur. Elle y capte la lumière si particulière du désert pour en faire sa matière première, travaille la transparence et les tons pastel, dans le silence et la chorégraphie lente de ceux qui habitent les oasis. A l’autre extrémité du sous-sol, la photographe russo-suédoise, Xenia Nikolskaya, présente DustPoussière – , qui travaille sur les traces d’un patrimoine architectural oublié et montre, en de petits formats, les palais du Caire à l’abandon, symboles d’une grandeur passée. Ainsi la Villa Casdagli à Garden City, le Palace Al-Gawhara de la Citadelle, ou encore le Palais du Prince Saïd Halim.

A la Mairie du IVème arrondissement administrée par Christophe Girard, le photojournaliste Michel Slomka témoigne de la communauté Yézidie d’Irak, sous le titre Sinjar naissance des fantômes. Chassée en 1980 par l’armée de Sadam Hussein dans le but d’épuration ethnique, accusée de satanisme, la communauté avait vu ses villages rasés. A partir de 2014, c’est l’Etat Islamique qui, après avoir pris Mossoul, s’est tourné vers les Monts Sinjar situés au carrefour de l’Irak, de la Syrie et de la Turquie, et habités depuis des siècles par cette minorité religieuse. Daech a fait des femmes ses esclaves sexuels et des enfants ses soldats. Les photos montrent le rapport à la terre pour ceux qui ont pu fuir, à leur retour, en 2017, dans des paysages d’une beauté bouleversante et se fait l’écho du traumatisme collectif de la violence. Ainsi cet homme qui retrouve son frère, avec émotion et douleur, après avoir été libéré et contraint de se convertir à l’Islam pour échapper à la mort ; ainsi Aïshe et Bubu Daoud, mari et femme posant fièrement devant leur maison de Khanassor située au pied des Monts Sinjar, qui portent au quotidien l’habit traditionnel ; ainsi Suad, 22 ans, allaitant son enfant, violée durant sa captivité et restée sans nouvelles de son mari ; ainsi cette ronde de petites filles à côté du camp de déplacés de Shari’a au Kurdistan Irakien. L’exposition est belle et forte, un peu cachée dans sa localisation au fond de la Mairie et sa signalétique, discrète.

A la Cité internationale des Arts, l’Algérie est à l’honneur et l’exposition, généreuse. L’artiste Bruno Boudjelal, travaillant entre la France et l’Algérie, a assuré de son expertise le choix des œuvres et le commissariat de l’exposition présentée sous le titre Ikbal/Arrivées, pour une nouvelle photographie algérienne. Il a opté pour la multiplicité des regards et des thèmes à travers vingt jeunes photographes venant des différentes régions du pays, qui lancent leurs messages en parlant de la ville (Karim-Nazim Tidafi) et de la rue (Mehdi Boubekeut) ; du rural (Ramzy Bensaadi) ; du social avec les sans emplois (Besma Khalfa) et les migrants (Nassim Rouchiche, Abdo Shanan) ; des rêves (Sonia Merabet) ; de l’intime (Yassine Belahsene, Farouk Abbou) ; de la prière et de l’Aïd Al Kebir (Sihem Salhi et Youcef Krache) ; de l’absence (Liasmine Fodil) ; du sport (Fethi Sahraoui). Ahmed Badreddine Debba raconte L’histoire emblématique de L’homme à la djellaba, guerrier, maître et guérisseur plein de sagesse et de modestie, qui fut chassé et insulté, et qui se mit à perdre son identité et son visage jusqu’à devenir un esprit errant. Abdelhamid Rahiche parle d’utopies urbaines dans Alger, climat de France avec l’architecture de Fernand Pouillon, parti de l’idée généreuse de désengorger les bidonvilles, espaces aujourd’hui devenus comme des ghettos surpeuplés. Dans Nuages noirs, Yanis Kafiz photographie les visages d’amis proches avec sensibilité et impudeur, dans une sorte de quête de soi, il en fait un journal. A la Cité internationale des Arts, la Biennale présente un puissant témoignage sur la vitalité des artistes algériens qui, comme le dit Bruno Boudjelal, « nous parlent, à travers leurs images, d’eux-mêmes et des lieux dans lesquels ils vivent. » Et il ajoute : « il est essentiel que l’Algérie, comme de nombreux autres pays à travers le continent africain, soit aussi racontée, décrite, photographiée. » On y trouve un beau parcours en images et l’élaboration d’une pensée.

La Biennale c’est aussi plusieurs galeries fédérées qui présentent les photographies de : Mustapha Azeroual et Sara Naim à la Galerie Binôme, avec The Third Image, un travail expérimental sur la lumière ; de Daniel Aron à la Galerie Photo12 avec Tanger intérieurs simples, un regard sur une ville peu à peu désertée où de nouvelles populations s’installent, du moins temporairement ; de Marco Barbon à la Galerie Clémentine de la Féronnière avec The interzone qui travaille sur la notion de frontière et d’espaces-temps intermédiaires à partir de Tanger, ville frontière par excellence, qui joue entre fiction et réalité ; de Randa Mirza avec Beitutopia, une projection dans l’avenir du portrait de Beyrouth et de Zad Moultaka à la recherche des planètes et de l’éternité, présentant Astres fruitiers : leçons de ténèbres planétaires, à la Galerie Thierry Marlat.

La géographie, privilégiée pour cette Deuxième Biennale des Photographes du Monde Arabe contemporain, contrairement à la Première en 2015 qui avait choisi quatre grands thèmes de réflexion se répondant en écho – Paysages, Mondes intérieurs, Cultures et Identités, Printemps – est nettement plus ramassée, on peut le regretter. Outre le jeunisme et la nouveauté, bienvenus, on peut regretter de ne pas voir la suite du parcours de certains artistes dont le développement des expressions ponctue l’évolution des sociétés. Il faut donner de l’ampleur à la Biennale des Photographes du Monde Arabe contemporain, tant dans l’annonce et la communication que dans l’identification des lieux d’expositions. Cette radioscopie du monde arabe comme le disait Jack Lang est salutaire. Elle est une métaphore du temps et de la vie et une réalité du monde, devenues vitales. Son développement aide à la compréhension de nos sociétés multiculturelles. Donnons-lui plus de visibilité, encore. « Nous vivons dans un monde qui n’est pas seulement fait de marchandises mais aussi de représentations, et les représentations – leur production, leur circulation, leur histoire et leur interprétation – sont la matière première de la culture » écrivait Edward W. Saïd.

Brigitte Rémer, le 23 septembre 2017

Du 13 septembre au 12 novembre 2017, Institut du monde arabe – Maison Européenne de la Photographie (jusqu’au 29 octobre) – Cité internationale des arts (jusqu’au 4 novembre) – Mairie du 4e arrondissement – Galerie Binome – Galerie Clémentine de la Féronnière – Galerie Photo12 – Galerie Thierry Marlat – Site : www. biennalephotomondearabe.com – Le catalogue est publié aux éditions Silvana Editoriale.