Exposition des peintures et dessins de Thomas Lévy-Lasne – Galerie Les Filles-du-Calvaire.
En pénétrant dans la Galerie, le regard est attiré par la grande toile qui nous fait face, Le Bosco, un sombre sous-bois aussi finement réalisé et précis qu’une photo, fusain sur toile de trois mètres sur quatre qui prête à la méditation. A l’invitation de Thomas Lévy-Lasne qui pose un geste pictural fort, on s’enfonce sur le chemin clair-obscur qui mène à une clairière peut-être, ou une décharge, ou sur le vide. Il n’y a ni apparition ni miracle dans ce lieu pourtant magique situé près de la Villa Médicis, à Rome, où l’artiste a séjourné un an, et qui subit l’œuvre du temps et des vents. D’indestructible en apparence Le Bosco semble voué à une dégradation prématurée par la nature même qui est censée le protéger. Le noir est intense et profond.
Plus discrètement, compte tenu de la présence de cette grande œuvre qui dévore le rez-de-chaussée, trois fusains sur papier, réalisés en 2018 et de même dimension (89X116cm), parlent de spectacle, vivant : Le concert et L’entracte, ou visuel : Le cinéma. Dans chaque tableau le public est présent : debout près des musiciens écrasés de lumière pour le premier ; assis dans des rangs clairsemés pour raison d’entracte et non de covid, une lumière crue réfléchie sur le rideau de fer pour le second ; imposant, dans la pente douce d’une salle bondée, devant un écran blanc dans l’attente de projection, pour le troisième. Des scènes plus quotidiennes de même format et même technique – fusains sur papier – sont aussi montrées : Le feu d’artifice, Le bal du village et À l’hôpital, dans lesquelles ombre et lumière étonnent par leur précision tant dans la forme que dans le discours.
Les récits de vie portés par Thomas Lévy-Lasne se poursuivent au premier étage de la Galerie, avec des huiles sur toile où les tragédies contemporaines se côtoient. Il met à plat « les lieux de catastrophes », comme il le dit lui-même.
Il y montre de manière hyper-réaliste et en couleurs les images de nos sociétés dégradées, à commencer par l’entrée du camp d’Auschwitz qui bravait le monde en affichant son slogan Arbeit macht Frei / Le travail rend libre, devant un saule pleureur où un couple se prend en photo. La Centrale 4 de Tchernobyl, recouverte d’un dôme en acier trempé, plantée au coeur d’une campagne presque idyllique et d’une clarté quasi poétique, recouverte toutefois de menaçants nuages. Autre toile, Le guide de Tchernobyl, qui mesure la radioactivité au ras d’un champ totalement pollué ; ou encore À Pripiat, ville fantôme du nucléaire, située à quelques kilomètres de la centrale, où, dans une classe morte la vie s’est suspendue, sous l’image arrêtée d’un astronaute encore à l’écran. D’autres toiles parlent encore, comme Le champ, désert de glaces fondues où le ciel avale une terre abandonnée ; Propriété privée – défense de passer dans une nature perdue et sans délimitation, recouverte de neige ; Bords de mer une décharge honteuse sur une dune où se sédimentent des plastiques, « un paysage aussi banal que le mal qu’il renferme » dit Thomas Lévy-Lasne.
L’artiste montre aussi deux huiles sur toiles Au Biodôme de Montréal, un musée vivant construit sur l’ancien vélodrome de Montréal pour les Jeux olympiques d’été de 1976, monde artificiel s’il en est où se confrontent l’infiniment petit et l’infiniment grand, les mutations du monde et la transformation des espaces et des écosystèmes. Un groupe de touristes en visite guidée stationne Devant l’arbre, noble et géant, en écoutant le commentaire du médiateur.
Thomas Lévy-Lasne donne à voir notre vulnérabilité et le tragique des paysages contemporains. « Ma peinture tourne autour d’une esthétisation calme du réel : un spectacle à échelle humaine, un matérialisme confiant, un premier degré souriant, une attention au tragique de l’existence en tension avec un appétit de peindre et une joie à rendre le trésor quotidien qu’est le monde des apparences ». Il part souvent de photographies qu’il prend lui-même et réalise ses tableaux. Jeune artiste né en 1980, Thomas Lévy-Lasne est diplômé des Beaux-Arts de Paris. Il a travaillé cinq ans avec le critique d’art Hector Obalk à filmer pour la télévision tous les musées d’Europe, puis a passé un an à la Villa Médicis, en 2018/19. Le cinéma l’attire aussi, il a joué, dans Vilaine fille, mauvais garçon de Justine Triet, collaboré au scénario de Victoria, deuxième long métrage de la réalisatrice, et réalisé son premier court-métrage, Le Collectionneur, en 2017.
Avec L’asphyxie, sa première exposition personnelle à la Galerie Les Filles du Calvaire qui le représente, Thomas Lévy-Lasne colle au monde dans lequel il habite, le met en mouvement et questionnement avec ses fusains sur papier et sur toile, et dans ses huiles sur toile. Son inspiration puise dans le quotidien et dans l’Histoire. Il dit son inquiétude sur l’environnement et prend position pour le développement durable. Un travail d’une grande force et une pensée magique qui transforment le tragique et le noir profond en lumière, et posent la question de la représentation.
Brigitte Rémer, le 12 septembre 2020
Exposition du 4 septembre au 24 octobre 2020. Galerie Les Filles du Calvaire, 17 rue des Filles-du-Calvaire. 75003 – tél. : 01 42 74 47 05. Ouverture du mardi au samedi de 11h à 18h30.
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