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Dämon – El funeral de Bergman

Spectacle d’Angelica Liddell, en espagnol, français, suédois, surtitré en français et en anglais, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

© Christophe Raynaud de Lage

Un cor de chasse lance la traque. Le pape flambant blanc aux chaussures vernis rouge sur tapis rouge fait le compte des fauteuils roulants déposés en file indienne, côté cour. Lève-toi et marche ! pense-t-on, le pape, ou Angelica Liddell, feront-t-ils un miracle ? Un chant aigu semblable à un cri strident passe la transparence des rideaux qui ferment les espaces de part et d’autre du plateau. On entre chez les revenants, par l’entremise du metteur en scène, scénariste et réalisateur suédois Ingmar Bergman (1918/2007) et de ses démons dans lesquels la metteure en scène se reconnaît. « Le théâtre est la porte de l’enfer » lance -t-elle, comme une dämone.

Une bande son au rythme autoritaire accompagne le personnage de petite taille qui traverse le plateau d’un pas décidé, porteur d’un blason-tête de mort et de lunettes noires, avant de s’arrêter au centre du plateau. Serait-ce la mort ? Des croque-morts viennent le chercher et l’on entend quelques phrases sorties du carnet de travail de Bergman, en juin 1964 : « Quand je mourrai tu porteras mon cercueil jusqu’à ma tombe… » Ce carnet noir sera le fil rouge du spectacle pour une Angelica Liddell toréadore.

Seule en scène, elle entre, socquettes blanches et talons noirs, nuisette transparente ouverte sur un corps nu, s’empare d’un broc d’eau et d’un bidet posé en fond de scène et se lave les parties intimes, en prenant son temps. Elle poursuit son rituel, remplissant d’eau souillée un goupillon, en bénit la foule avant de ranger ses accessoires. Lecture de la lettre de Saint-Paul aux Corinthiens, issue du carnet noir de Bergman. Liddell achète ses lettres d’indulgence.

Elle écorche ensuite avec brutalité la critique, en nommant les signataires de papiers incendiaires et cite, pour chacune et chacun, les extraits incriminés. Polémique à Avignon où le spectacle a été créé, liberté d’expression, pour tous ? Suit un texte au micro « Nous nous sommes éloignés comme deux mouettes sur deux mers… » puis une danse, avant qu’elle ne se jette dans une harangue des plus violentes, sur le thème Je plains les gens, quelle est cruelle la vie des gens – dont on comprendra plus tard la référence à August Strindberg, que Bergman admirait – logorrhée qui montera en puissance pendant une quinzaine de minutes comme un océan démonté sur fond d’orgues solennelles. Insultes, menaces, apostrophes et vociférations se déclinent dans les différents registres de sa voix, entre psalmodies et litanies. C’est l’Armageddon, avec une Érinye dans sa toute-puissante, s’attaquant aux trahisons conjugales et hypocrisies morales, aux comportements, à l’image sociale. Dans sa conversation, Dieu n’est jamais très loin, celui à qui « on parle quand il n’y a plus personne avec qui parler » dit-elle, repris par une chambre d’écho. Elle dégaine Artaud dans sa folie et son poème, la vieillesse dans les zones blanches du cerveau, le réel et l’irréel, la mort qu’elle interroge et le royaume des morts qu’elle habite. Un chant solo perce.

© Christophe Raynaud de Lage

Arrivent les anciens qui s’installent dans la file des fauteuils roulants, les croque-morts portant nez rouge guidant un brancard avec roulettes qui fait des tours de plateau où une ancienne, souffrante, est allongée, sous l’égide de l’Évangile selon Saint-Jean (21.18), « En vérité, en vérité, je te le dis : quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais, mais quand tu seras devenu vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas. » Elle se met à courir à contre-courant, s’enfuyant peut-être d’elle-même, avant de monter sur ce lit à roulettes. Drôle de vision d’un monde en décomposition, où les thanatopracteurs nus disjonctent et se fouettent, semblant prêts, eux aussi, à passer du côté des enfers.

Entrent quatre jeunes femmes, accompagnées d’un garçon d’une dizaine d’années, yeux bandés portant la jupe rouge du sacrifice, suivis du pape en fauteuil roulant, soutane retroussée, sexe bien visible qu’elle viendra provoquer. Un ancien, nu, porte au bras un ruban de deuil, fantasme d’un enterrement, celui du pape ou celui de Bergman. Une musique électro-acoustique accompagne le rituel de transgression et de provocation et les anciens placent leurs fauteuils en ligne, face au public et s’installent dedans. Tout s’affole au son de la sirène. Passent devant eux les jeunes femmes, nues, telles des nymphes qui effleurent leurs visages, images de ce qu’ils furent dans une jeunesse éloignée. Un aveugle, nu et peint en rouge passe avec son guide, tous montent du fond de la scène marquant un geste d’offrande, une danse par couple s’organise, une procession de fauteuils se prépare au son d’une fanfare. On ne sait plus si on est chez Fellini ou chez Bergman, le pape semble sur le déclin.

© Christophe Raynaud de Lage

Et l’on égrène quelques-uns des films réalisés par Bergman dont Persona, en 1966, l’année de la naissance d’Angélica Liddell comme elle le fait remarquer, Cris et Chuchotements en 1972, Saraband en 2003, son dernier film. L’auteur de La Danse de mort, du Songe et d’Inferno entre autres, August Strindberg, inspira le réalisateur dans ses plongées vertigineuses sur les thèmes de l’incommunicabilité, de la difficulté du couple et de la folie. Puis l’instant solennel arrive, celui du cercueil de Bergman porté par quatre personnes accompagnées d’une pasteure et d’une violoncelliste, cercueil de bois inspiré de celui du pape. Des sirènes, puis des avions, des bruits de guerre, guerre intérieure peut-être, couvrent la voix qui célèbre l’ode funèbre et la musique du violoncelle. Le personnage du début de la pièce porteur du blason-tête de mort, repasse, oiseau de mauvais augure. Portant l’habit de deuil, Angélica Liddell prend place près du cercueil et redevenue petite fille, ou nonne en prise d’habit, se propose comme dernière épouse. Le spectacle se ferme avec une réflexion sur le temps assassin et sans échappatoire, sur la peur de la mort.

Dans sa radicalité, Angélica Liddell – entourée des acteurs du Dramaten/Théâtre Dramatique Royal de Suède que Bergman avait dirigé un temps, et des collaborateurs de sa compagnie – explore l’idée de la mort et Dämon en est le second volet. Le premier, Vaudou, célébrait ses propres funérailles. L’idée de la référence à Ingmar Bergman lui est venue après avoir vu comment le réalisateur avait planifié ses funérailles, s’inspirant de celles du Pape Jean-Paul II, en 2005. « Lorsque j’ai su qu’Ingmar Bergman avait écrit le scénario de ses funérailles, j’ai considéré qu’il s’agissait là de sa dernière œuvre » dit-elle. Étranges noces entre Bergman dans son silence et son intimité et Liddell dans ses rêves et excès, dans ses extravagances et ses ruptures fondamentales, dans ses extrêmes.

Brigitte Rémer, le 10 octobre 2024

Texte, mise en scène, scénographie, costumes, Angélica Liddell – lumière Mark Van Denesse – son Antonio Navarro – assistanat à la mise en scène Borja López – traduction pour le surtitrage Christilla Vasserot (français), 36caracteres (anglais) – régie plateau Nicolas Chevallier – direction technique André Pato – production Gumersindo Puche.

Avec : Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angélica Liddell, Borja López, Tina Pour-Davoy, Sindo Puche, Daniel Richard, Nemanja Stojanovic – et la collaboration de l’habilleuse du Dramaten, Erika Hagberg, et de David Abad – et les figurants : Patricia Burkhalter, Francine Billard, Paule Coste, Jean-Luc Couton, Léa Delaporte, Annette Ecckhout, Christian Ecckhout, Louise Greggory, Jeanne Heuclin, Pierre Hoffmann, Dominique Houdart, Manon Hugny, Daphné Lanne, Françoise Loreau, Perrine Mechekour, Julia Pal, Kenza Vannoni – la violoncelliste Laura Meilland – les enfants en alternance Axel Delage, Adam Ghosn-Sordet, Ange Tomasini – et la voix de Jonas Bergström –Dämon, les funérailles de Bergman, trilogie des funérailles / tome 2, de Angélica Liddell, traduit par Christilla Vasserot est publié aux Solitaires intempestifs/ Domaine étranger. Le spectacle a été créé au Festival d’Avignon le 29 juin 2024.

Festival d’Avignon 2024

Le Festival d’Avignon déroulera sa 78ème édition du 29 juin au 21 juillet 2024 dans la Cité des Papes et alentours. Tiago Rodrigues, directeur, en a révélé la programmation au cours d’une conférence de presse à Avignon, puis à Paris le 4 avril, au Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier.

Tiago Rodrigues, assisté d’artistes et d’économistes passionnés de théâtre et de culture, de son équipe, dévoile la programmation de cette édition, dans un esprit de partage, énergie et conviction, dans le droit fil de ce que voulait Jean Vilar en le fondant, en 1947. Comment le faire ensemble ? pose-t-il.

Il est accompagné de Boris Charmatz, chorégraphe complice, qui traversera par ses créations l’ensemble du Festival. Ce dernier est aujourd’hui directeur du Tanztheater Wuppertal fondé et inventé par Pina Bausch et a pris le relais de l’immense travail qu’elle avait accompli. Il présentera trois spectacles : Cercles, restitution d’ateliers en plein air, Liberté Cathédrale chanté et dansé par le Tanztheater Wuppertal et son équipe expérimentale Terrain en version plein air et Forever, qui revisitera l’emblématique Café Müller de Pina Bausch.

21 lieux, 15 communes du Grand Avignon, 37 projets artistiques dont 21internationaux, 219 représentations, sont au générique. 83% des spectacles programmés sont des créations. De France, les spectacles de Séverine Chavrier (Absalon, Absalon !), Caroline Guiela Nguyen (Lacrima), Lorraine de Sagazan (Léviathan), Gwenaël Morin (Quichotte), Mohamed El Khatib (La vie secrète des vieux), Baptiste Amann (Lieux communs), et de Noé Soulier pour la danse (Close L’p).

La programmation nous mène aussi au sud de l’Europe en Espagne et au Portugal, ainsi qu’en Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Suisse, spectacles dans lesquels la France est souvent partenaire. De Pologne, Krzystof Warlikowski présente Elizabeth Costello/sept leçons et cinq contes moraux et Marta Gornicka fait entendre, dans la Cour d’Honneur, un chœur de femmes d’Ukraine, Pologne et Biélorussie, Mothers A Song for Wartime, avec pour message : continuez à nous regarder ! Tiago Rodrigues met en scène Hécube, pas Hécube d’après Euripide, une ré-écriture libre pour la Comédie-Française ; l’ouverture du Festival, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, est confiée à Angelica Liddell qui présentera Dämon, El funeral de Bergman autour de la figure du célèbre réalisateur Ingmar Bergman.

Troisième volet de la programmation et non des moindres des spectacles venant d’Amérique Latine : d’Argentine, spectacles de Lola Arias, Tiziano Cruz et Mariano Pensotti ; du Chili, un spectacle de Malicho Vaca Valenzuela ; du Pérou, un spectacle de Chela De Ferrari ; de l’Uruguay deux spectacles, l’un de Gabriel Calderón, l’autre de Tamara Cubas.

Comme à l’accoutumée la SACD soutient les artistes avec son programme « Vive le sujet ! Tentatives » et présente Un ensemble (morceaux choisis) de Anna Massoni, et Le Siège de Mossoul, de Félix Jousserand ; Canicular, de Rebecca Journo et Trace… de Michael Disanka et Christiana Tabaro, de République Démocratique du Congo ; Méditation de Stéphanie Aflalo et Baara, de Tidiani N’Diaye, du Mali.

De nombreuses autres initiatives permettant d’Être ensemble selon la devise du Festival, sont proposées : des lectures – comme avec le programme Talents ADAMI au Musée Calvet – des projections – particulièrement dans les cinémas Utopia de la ville – des rencontres, ateliers et master class – notamment une école d’été, Transmission impossible, pour cinquante jeunes dont dix boursiers étrangers à l’Église des Célestins, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès et Mathilde Monnier –  le Café des idées, espace de partage et découverte, lieu des prises de paroles et de réflexion qui, tout au long du Festival invite à des rencontres, conférences et ateliers au Cloitre Saint-Louis sur les thèmes liés à la littérature, le théâtre et les arts. Nous en avons eu un premier volet ce jour en première partie de l’annonce de programmation, Jérôme Saddier, président du Crédit Coopératif qui soutient fortement le Festival, pilotait une table ronde sur le thème Inspirer nos transformations.

Cette édition du Festival d’Avignon signe une programmation riche, ouverte, pluridisciplinaire et pluriculturelle, dessine des lieux d’échanges et de rencontres, de transmission et de débats, pour tous les publics et dans l’esprit d’accueillir de belles découvertes grâce à de nombreux partenaires. Deux expositions-installations complètent la proposition, l’une est un hommage à Alain Crombecque, directeur du Festival d’Avignon de 1985 à 1992, puis directeur du Festival d’Automne de 1992 à 2009, On ne fait jamais relâche ; l’autre, Monte di Pietà, de Lorraine de Sagazan et Anouk Maugein. Et comme le rappelle Tiago Rodrigues et son équipe, « c’est le public qui fait le Festival. »

Brigitte Rémer, le 12 avril 2024

Festival d’Avignon, 20 rue du Portail Boquier, Avignon – site : festival-avignon.com dès maintenant – tél. 04 90 14 14 14, à partir du 22 mai, du mercredi au samedi, de 13h à 19h – à partir du 25 mai au Guichet du Cloitre Saint-Louis, du mercredi au samedi, de 13h à 19h (adresse ci-dessus) et dans les magasins Fnac – à partir du 24 juin,  guichet et téléphone, tous les jours de 10h à 19h – à partir du 29 juin, pendant le Festival, ventes arrêtées 5 heures avant les spectacles et reprise sur chaque lieu, 1 heure avant le spectacle.

Anaïs Nin au miroir

© Christophe Renaud de Lage

D’après L’Intemporalité perdue et autres nouvelles d’Anaïs Nin – texte Agnès Desarthe – mise en scène Élise Vigier – au Théâtre de la Tempête.

En fait on ne sait pas qui parle, d’Anaïs Nin ou d’Agnès Desarthe, les choses sont confuses, se chevauchent et se perdent, les digressions sont multiples. Dommage, nous n’aurons pas l’éclairage attendu sur la sulfureuse Anaïs Nin qui s’était révélée par la publication de ses Journaux Intimes à travers plusieurs décennies.

Qui est-elle, sur scène devenue fantôme hiératique aux tresses en couronne, qui hante le théâtre où se répète un spectacle ? « J’entre dans la vie des autres… » dit le texte. Anaïs Nin (1903-1977) est multiculturelle de par sa famille : née en France d’un père compositeur et pianiste cubain d’origine catalane et d’une mère chanteuse franco-danoise, elle part aux États-Unis avec sa mère et ses deux frères à l’âge de onze ans quand ses parents se séparent. Elle y travaille comme mannequin dès l’âge de quatorze ans, se marie à vingt, puis vit en France pendant une vingtaine d’années où elle se met à l’écriture. Sa vie privée, ses rencontres et ses aventures érotiques se trouvent dans ses écrits. Elle devient l’amie, parfois l’amante et/ou la muse d’écrivains de premier plan comme Antonin Artaud, Henry Miller pour lequel elle se passionne, Gonzalo More poète péruvien de qui pendant un temps elle partage la vie, Lawrence Durrell et bien d’autres. Elle n’hésite pas à afficher sa bisexualité dans ce petit monde intellectuel et artistique plutôt échangiste, fait la connaissance de Frede, reine des nuits parisiennes, homosexuelle renommée et directrice de cabarets. Elle se penche aussi – époque oblige – sur la psychanalyse qu’elle étudie un temps avec un disciple de Freud, Otto Rank et plus tard se porte volontaire pour prendre du LSD sous la surveillance du psychiatre américain Oscar Janiger dans le but de décrire l’expérience psychédélique.

Comment retrouver cette figure emblématique de la séduction et d’un certain érotisme dans cette écriture et cette mise en scène brouillonnes, un entremêlement peu lisible de personnages dont on a du mal, entre fiction et réalité, à suivre les trajectoires ? Anaïs Nin serait-elle la dévoreuse qui fait que, qui la côtoie se fait engloutir ?

Sur scène, un reste de décor dont la proue d’un bateau côté cour, des jeux de miroirs symbolisés par des cadres de lumière, mobiles, entre lesquels vont et viennent les personnages, des jeux d’eau par écran interposé – traces d’enfance reprises en images noir et blanc lors d’une traversée, table de travail et de maquillage côté jardin, portant avec costumes de théâtre, accessoires dans le désordre. Les idées avancées pourtant se perdent en chemin malgré l’énergie des acteurs, qui tous et chacun deviennent un reflet d’Anaïs Nin, mais ne donnent pas les clés ni l’accès aux références des sources.

© Christophe Renaud de Lage

Reste l’esquisse de l’époque par le filtre des cercles intellectuels et artistiques à travers la magie qui coupe la femme en deux, le music-hall et ses jeux de travestissements, les masques blancs, la rencontre avec l’art africain, l’abstraction, le surréalisme, les cultures étrangères – ici la danse flamenca, sa couleur rouge et cette pluie de pétales de fleurs, avec le feu. C’est le temps des expériences, des performances, de l’excentricité, des libertés : « J’ai peint sur mon corps, j’ai teint mes cheveux, vous me rendez la vie… » Somnambulisme, magie, hypnose, internationale socialiste, parti communiste français et discussions sur le politique, Union des populations du Cameroun, parti fondé en 1948 pour obtenir l’indépendance, formules magiques, strip-tease et nudité. Les thèmes a priori foisonnent mais s’envolent, Eros en tête, désir, imagination, art et écritures…

La diffraction de la lumière qu’on trouve dans Anaïs Nin au miroir, entraine la diffraction de la compréhension. La figure de style du théâtre dans le théâtre – « ma mère est dans la salle ce soir !» – n’y suffit pas, on se perd entre les différents niveaux de paroles et de récits et cela manque singulièrement de doute et de magie. La mise en scène se noie dans un texte qui balade le spectateur plutôt que de faire apparaitre Anaïs Nin dans sa complexité de femme et d’auteure.

Brigitte Rémer, le 25 novembre 2022

Avec Ludmilla Dabo, William Edimo, Nicolas Giret-Famin, Louise Hakim, Dea Liane, Makita Samba, Bachir Tilli, Nantené Traoré, Élise Vigier et Marc Sens, musicien – À l’image Marc Bertin (le Père), Marie Cariès (la Mère), Hannarick Dabo (la mère de Ludmilla), Ôma Desarthe (Anaïs ado), Mia Saldanha (Anaïs enfant) Marcial Di Fonzo Bo, Luis Saldanha, Wandrille Sauvage, Philippe Sicot, Steven Tulmets, Flavien Beaudron, Stephen Bouteiller (les soldats) Claude Thomas, Patrick Demiere, Gérard Lange (les hommes du bal) et les musiciens Louison Audouard, Appolinaire Bertrand-Martembault, Julio De Siqueira, Johan Godard, Léo Zerbib – Assistante à la mise en scène Nanténé Traoré, scénographie Camille Vallat et Camille Faure, films Nicolas Mesdom, costumes Laure Mahéo, maquillages et perruques Cécile Kretschmar, lumières Bruno Marsol, musiques Manusound et Marc Sens, chorégraphies Louise Hakim, effets magiques Philippe Beau en collaboration avec Hugues Protat – Le spectacle a été créé au Festival d’Avignon 2022.

Du 10 novembre au 11 décembre 2022, du mardi au samedi 20h, dimanche à 16h – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, 75012. Paris. site : www.latempete.fr – tél. : 01 43 28 26 36

Festival d’Avignon 2022 – 76ème édition

© Jean Couturier

La soixante-seizième édition du Festival d’Avignon se tiendra du 7 au 26 juillet 2022, dernière édition pilotée par l’équipe en place, Olivier Py directeur et Paul Rondin directeur délégué annoncent le programme en conférence de presse. Pour cette dernière édition qu’il pilote après deux mandats de cinq ans, le directeur du Festival d’Avignon remercie les tutelles engagées dans son financement – ministère de la Culture, ville d’Avignon, Communauté d’Agglomération du Grand-Avignon, Région et DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, département et préfecture du Vaucluse, ministère de la Justice, ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports notamment par les collèges et lycées de la ville.

Il remercie ensuite les publics qui lui ont fait confiance et égrène la liste de ses collaborateurs – dont les 750 saisonniers chaque année – et celle des partenaires qui l’ont accompagné dans sa mission de direction depuis dix ans. « Je n’ai tenu en rien à faire un Festival récapitulatif ou commémoratif » prévient-il d’emblée. Il garde la ligne définie dans les autres éditions et son engagement, le travail mené pour défendre la place des femmes et leur identité, l’intérêt qu’il a toujours manifesté pour d’autres cultures, notamment le Moyen-Orient et l’Afrique, l’ouverture vers le jeune public et la décentralisation du Festival à travers le territoire.

L’édition 2022 s’étend sur 20 jours, présente 46 spectacles et prévoit 270 levers de rideau, 120 000 billets à la vente et 25 000 entrées libres. En comptant lectures et débats ce sont plus de 400 rendez-vous, qui sont proposés aux festivaliers dans les différents lieux de la ville dont l’opéra rénové qui ré-ouvre cette année avec Iphigénie, de Tiago Rodrigues qui succédera en 2023 à Olivier Py, spectacle mis en scène par Anne Théron (7 au 13 juillet).

Beaucoup de découvertes, fidélités et retrouvailles sont à l’affiche. Le Moine noir, d’après Anton Tchékhov du metteur en scène russe Kirill Serebrennikov ouvre le Festival dans la Cour d’honneur du Palais des papes (7 au 15 juillet), Miss Knife et ses sœurs d’Olivier Py le clôture le 26 juillet sur la scène de l’Opéra d’Avignon en compagnie des Dakh Daughters, artistes ukrainiennes et d’Angélique Kidjo. Olivier Py met aussi en scène Ma Jeunesse exaltée, dialogue entre deux générations, au Gymnase Aubanel (8 au 15 juillet) tandis que dans la Cour d’Honneur, Jan Martens présente Futur proche avec le Ballet de Flandres (19 au 24 juillet) et Kae Tempest un spectacle de poésie et musique, The line is a curve (le 26 juillet).

Survivre au chaos du monde est un thème que défend Olivier Py, autour de la résilience. En transit, d’Amir Reza Koohestani, d’après Anna Seghers, témoigne de la déportation (7 au 14 juillet, au Gymnase du Lycée Mistral) ; Via Injabulo, spectacle de danse raconte les townships d’Afrique du Sud (10 au 17 juillet, Cour minérale de l’Université). Quatre spectacles du Moyen-Orient sont programmés : de Palestine, Milk de Bashar Murkus (10 au 16 juillet, à Vedene, l’autre scène du Grand Avignon), Et la terre se transmet comme la langue, d’après Mahmoud Darwich (14 juillet, cour du Collège Joseph Vernet), Elias Sanbar son traducteur et ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco en est le récitant, des musiciens l’accompagnent dont le compositeur de jazz et vibraphoniste Franck Tortiller ; quatre poétesses de différents pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont présentées par Henri Jules-Julien dans un spectacle intitulé Shaeirat (16 au 19 juillet, Gymnase et Jardin du Lycée Saint-Joseph) ; Ali Chahrour de Beyrouth dansera Du temps où ma mère racontait (21 au 26 juillet, Cour minérale de l’Université).

Plusieurs spectacles évoquent la nature, l’écologie et le rapport au cosmos comme A l’orée du bois de Pierre-Yves Chapalain (8 au 26 juillet, dans treize communes du Grand Avignon) et Dans ce jardin qu’on aimait, d’après Pascal Quignard et Siméon Pease Cheney, mis en scène de Marie Vialle (9 au 16 juillet, Cloitre des Célestins). Beaucoup d’autres spectacles sont à l’affiche, drôles, parfois cruels, pour jeune public, en interdisciplinarité, propositions en danse, musique, théâtre et performance. La programmation est riche et pour toutes les sensibilités, tous les goûts.

Deux grandes expositions s’inscrivent dans cette soixante-seizième édition : First but not last time in America de Kubra Khademi, réfugiée afghane qui a dessiné l’affiche, à la Fondation Lambert ; les photographies de Christophe Raynaud de Lage, L’œil présent/ photographier le Festival d’Avignon au risque de l’instant suspendu, à la Maison Jean Vilar. De nombreux événements, rencontres et débats apportent au Festival une dimension sociale, poétique et intellectuelle dont le cinéma à l’Utopia, les activités de la Maison Jean Vilar, France Culture et la Grande Table, les conversations du Syndicat de la critique, les Ateliers de la pensée, des dialogues acteurs/spectateurs aux CEMEA, Artistes en exil et Amnesty International…

« C’est cela le théâtre populaire, la connaissance de ce désir du peuple d’être plus grand que les étiquettes qui lui sont collées sur le front. Il n’y a pas de Démocratie il n’y a pas de Liberté, il n’y a pas d’Égalité sans l’éducation et la culture… » écrit Olivier Py dans son éditorial, lui qui, après Vilar, créateur du Festival en 1947, fut le premier artiste à le diriger. Il le quittera à la fin juillet 2022 et d’ores et déjà lui souhaite « d’être toujours le lieu de la jeunesse, de la parole et de ce qui vient. »

Brigitte Rémer, le 3 avril 2022

Festival d’Avignon, Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, 84000 Avignon – tél. : 33 (0) 4 90 27 66 50 – site : festival-avignon.com – Ouverture de la billetterie par internet le 21 mai 2022 à 14h, 10 000 places mises à la vente, le 7 juin par téléphone, le 11 juin aux guichets.

73e édition du Festival d’Avignon

Visuel © Miryam Haddad

Pendant vingt jours, du jeudi 4 au mardi 23 juillet 2019, le Festival d’Avignon battra son plein avec 2 expositions, 43 spectacles et 280 levers de rideau. Une jauge de 112 000 entrées et autant de billets mis à la vente.

Annoncé par son directeur, Olivier Py – lors de la conférence de presse qui s’est tenue le 28 mars à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, après celle d’Avignon, la veille – le programme traverse les océans sur le thème de l’Odyssée, des Odyssées, du voyage précise-t-il. C’est d’altérité qu’on va parler, de l’Autre, des traversées en Méditerranée, de l’Étranger et de l’exil. La question de l’imaginaire européen et de l’héritage sera à l’ordre du jour, ainsi que la manière dont la grande Histoire croise la petite. Et pas d’Odyssée sans Homère, un feuilleton théâtral lu sous la direction de Blandine Savetier, tous les jours à midi.

Le visuel du Festival en ses profondes couleurs chromatiques en même temps que lumineuses, est signé d’une jeune artiste d’origine syrienne, Miryam Haddad qui a quitté Damas en guerre en 2012, alors qu’elle était étudiante en art. Elle a poursuivi ses études à l’École des Beaux-Arts de Paris, elle en est diplômée. Elle expose dans le cadre de la Fondation Lambert pendant tout le Festival, sur le thème Le Sommeil n’est pas un lieu sûr.  

Les trois disciplines, théâtre, danse et musique se croiseront dans la Cour d’Honneur : Pascal Rambert ouvrira le banc le 4 juillet, avec Architecture, sur un texte qui parle de l’Europe au début du XXème ; la troupe du chorégraphe Akram Khan y dansera du 17 au 21 juillet, Outwitting the devil/Tromper le démon ; Arnaud Rebotini et le Don Van Club y présenteront le 23 juillet une soirée musicale, d’après un texte de Jean-Luc Lagarce, 120 battements par minute.

Parmi les grands événements de cette édition, Outside, sur l’histoire de l’autodidacte chinois Ren Hang, qui s’est suicidé en 2017, une création de Kirill Serebrennikov, artiste qui reste assigné à résidence, en Russie ; et, venant de Pékin, La Maison de Thé de Lao She, poète qui s’est suicidé durant la Révolution culturelle, en 1966, dans une mise en scène de Jinghui Meng.

En partenariat avec l’Odéon, Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink mise en scène par Julie Duclos et O agora que demora/Le présent qui déborde, de Christiane Jatahy d’après Homère, seront à l’affiche. Côté théâtre Clément Bondu mettra en scène Dévotion, dernière offrande aux dieux morts avec l’École supérieure d’art dramatique de Paris ; Ontroerend Goed, théâtre et performance de Gand, £Y€S/EYES ; Alexandra Badea Points de non-retour/Quai de Seine ; Maëlle Poésy Sous d’autres cieux de Kevin Keiss, d’après Virgile ; Roland Auzet, Nous, l’Europe, Banquet des peuples, avec une quinzaine d’enfants, du Chœur d’Avignon ; François Gremaud révise Phèdre ; Jean-Pierre Vincent L’Orestie, d’Eschyle ; Henri Jules-Julien présente Mahmoud et Nini, un spectacle franco-égyptien ; Macha Makeïeff Lewis versus Alice d’après Lewis Caroll, ainsi qu’une exposition  à la Maison Jean Vilar ; Daniel Jeanneteau monte Le reste, vous le connaissez par le cinéma, de Martin Crimp ; Tommy Milliot La Brèche de Naomi Wallace, pièce d’une grande violence, qui a reçu le prix Impatience ; Rimini Protokol présente Granma, les trombones de La Havane sur le ressenti des gens ordinaires lors de la Révolution Cubaine ; Tamara Al Saadi, auteure franco-irakienne parle de l’étranger à la recherche de légitimité avec Place, spectacle pour lequel elle avait le prix Impatience 2018.

Le théâtre jeune public n’est pas laissé pour compte, Olivier Py y veille. Il met lui-même en scène un spectacle musical, L’Amour vainqueur. Michel Raskine présente Blanche-Neige histoire d’un Prince, de Marie Dilasser ; Yacouba Konaté Le Jeune Yacou, un conte musical réalisé en partenariat avec l’Atelier des Artistes en Exil ; Céline Schaeffer qui a notamment travaillé avec Valère Novarina, La République des abeilles, d’après Maurice Maeterlinck.

Avignon décentralisé se poursuit avec Amitié d’Eduardo de Filippo et Pier Paolo Pasolini mise en scène d’Irène Bonnaud, en itinérance. La danse est représentée par Kukai Dantza avec Oskara, échos du Pays Basque ; par Céliaz Gondol et Nina Santes avec A Leaf travail sur la synesthésie ; par Salia Sanou dans un partenariat Burkina Faso/Montpellier, avec Multiple-s- et la participation de Germaine Akogny, Nancy Huston et Bab-x ; par Wayne McGregor et son Autobiography venant de Londres ; par Faustin Linyek,  danseur et chorégraphe congolais né au Zaïre avec son Histoire(s) du Théâtre II, autre volet de son Indiscipline.

De la musique brésilienne complète ce copieux menu avignonnais avec Milagre dos Peixes de Tigana Santana et La Nuit des Odyssées, spectacle visuel et poétique présenté par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon. Comme chaque année, un tourbillon de propositions complète la programmation comme les Ateliers de la Pensée, les Territoires cinématographiques en partenariat avec Utopia, les écrits, conversations, conférences, émissions etc…

L’art et la culture en 2019 seront en densité, intensité et émotions et sauront mêler gravité et festivité. Tous les publics peuvent y puiser et l’édition est prometteuse. L’étude des publics réalisée pendant chaque festival confirme l’ouverture à tous et l’attention aux spectateurs. 20% de festivaliers se situent sous le seuil du salaire médian et 19% ont moins de trente ans, dit l’étude 2018 et la variation du prix du billet s’adapte aux différentes catégories sociales et classes d’âge, comme 4 spectacles pour 40 euros pour les moins de 26 ans, petit clin d’œil au Cac 40 version Olivier Py qui, comme depuis toujours, s’engage : « Notre impatience d’une société plus juste, d’un rapport au monde plus sain, d’une parole mieux partagée, est le plus haut désir politique. Et pour cela, il faut désarmer les solitudes » déclare le directeur du Festival.

Brigitte Rémer, le 2 avril 2019

Festival d’Avignon, du jeudi 4 au mardi 23 juillet 2019 – Ouverture de la billetterie le 8 juin et par internet le 11 juin 2019 – Tout le programme sur : www.festival-avignon.com

Les Os Noirs

© Jean-Luc Beaujault

Sur une idée originale, dramaturgie, mise en scène et scénographie de Phia Ménard, compagnie Non Nova – créé et interprété par Chloée Sanchez – dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville – au Théâtre Le Monfort.

C’est un solo pour femme né de la rencontre de Phia Ménard, jongleuse, performeuse et metteuse en scène, avec Chloée Sanchez. C’est un poème, un chant nocturne qui met en œuvre la métempsycose, cette recherche de l’âme cosmique avec migration des âmes vers un nouveau corps après la mort. Phia Ménard, née Philippe Ménard, la travaille en noir profond, comme Soulages creuse son noir-lumière ou outrenoir. « J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité » dit la metteuse en scène.

Le dispositif qu’elle propose relève du cycle des Pièces du Vent, avec ce matériau de plastique noir qu’elle sculpte et apprivoise pour devenir vêtement, scénographie et abysses. Elle crée, comme le dit Borges, un Jardin aux sentiers qui bifurquent. D‘abord un grand vent auquel rien ne résiste, puis une mer démontée dans laquelle se laisse porter une femme, déesse des eaux qui épouse les vagues avant de s’y lover (Chloée Sanchez). Suit une inquiétante forêt dans laquelle elle se perd et construit son histoire extraordinaire à la manière d’Edgar Poe. La déesse-fleuve sort des eaux, drapée d’un majestueux manteau en plastique noir à longue traine, avant de le plier, introduisant le thème de l’emballage, cher à Kantor, artisan du Théâtre de la Mort. Est-elle femme, ou marionnette ? La pièce se déploie devant un grand castelet. Elle y danse, vêtue d’une robe légère et noire, seins, sexe, visage noir, incendie. Une fin du monde, des cris rauques, des tremblements de lave, des fumerolles, des cendres, du soufre. Tentation du néant. Elle saute par la fenêtre. Se sauver ? Mourir ? L’illusion et la théâtralité sont puissantes.

La réapparition fantomatique et sépulcrale de cette Reine de la nuit à la manière d’Amadeus – Mort et désespoir flamboient autour de moi ! dit la partition mozartienne – est d’une grande force mystique. On dirait un resurgissement après apocalypse dans le chaos d’un désert noir aux blocs d’anthracite. Un personnage du feu, vêtu d’une combinaison ignifugée, sorte de sculpture d’amiante et de piéta, porte un cadavre calciné. Tout est douleur, on est aux extrêmes. La création lumières comme la scénographie commentent ces fins du monde et sont en osmose avec le geste de mise en scène. Sans texte apparent, le spectacle se nourrit de références qui se fondent dans le geste chorégraphique et artistique. A peine quelques mots enregistrés – un extrait du Métier de vivre de Pavese « La mort viendra et elle aura tes yeux » – et un conte péruvien sur les oiseaux et le clair de lune. L’actrice travaille sur le cri, le souffle, le râle. Une bande son très élaborée accompagne de ses variations cette méditation funèbre, entre musique électro-acoustique et musique répétitive, souffle du vent constant, battements d’ailes et mouvements de l’eau. Elle porte l’actrice, en prise avec les éléments et en lutte avec sa condition humaine – accompagnée en coulisses de trois régisseurs présents au salut, casques et lampes frontales de travail.

Par ses performances et ses chorégraphies, par son univers plastique et son imaginaire, Phia Ménard construit un parcours unique et singulier. Elle apprend le langage du corps et de l’objet, du mouvement et de l’équilibre par la jonglerie, auprès de Jérôme Thomas et travaille dans le registre Présence, mobilité et danse avec Hervé Diasnas et Valérie Lamielle. Elle fonde sa Compagnie, Non Nova, en 1998, qu’elle définit par son manifeste : « Non nova, sed nove, Nous n’inventons rien, nous le voyons différemment. » Elle cherche ses langages, est compagnie associée auprès de plusieurs scènes nationales dont celle de Château-Gontier puis de Chambéry et de la Savoie et présente ses spectacles performances au Festival Montpellier Danse et à Avignon dans Sujet à vif, ainsi qu’à la Documenta de Kassel. Elle travaille sur les matières comme la glace, l’eau, la vapeur et le vent et dans Les Os Noirs avec le plastique, le tissu, le papier et le métal.

Phia Ménard pose un acte politique en même temps que philosophique et esthétique dans ses spectacles et explore les interdits, « ces zones de flou, que l’on ne veut pas dire ni nommer, les questions de la norme, de la sexualité, du plaisir, du genre. » Certains de ses spectacles ont fait date et tournent toujours comme la pièce P.P.P. Position parallèle au plancher ou encore L’après-midi d’un foehn, pièce pour un interprète et un marionnettiste, qui joue de vents contraires et de poésie avec des sacs plastique.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux écrit Musset dans sa Nuit de Mai. Avec Les Os Noirs Phia Ménard ne dément pas l’adage et trace son cercle de l’infini entre Solaris de Tarkovski et Nuit Obscure de Saint Jean de la Croix. Ses trois passages à l’acte énoncés en voix off, passage à l’acte suivant s’entend, sont autant de jeux de mots et de métamorphoses dans cette pièce d’une grande beauté, d’une sensibilité et d’une intelligence rares.

Brigitte Rémer, le 12 avril 2018

Du 29 mars au 14 avril 2018, à 20h30 – Le Monfort Théâtre, 106 rue Brancion, 75015 – tél. 01 56 08 33 88 – site : www.lemonfort.fr – La Compagnie Non Nova sera présente au Festival Montpellier Danse avec Contes immoraux/Partie 1-Maison Mère en juillet prochain, puis au Festival d’Avignon avec Saison sèche.

Collaboration à la mise en scène et dramaturgie Jean-Luc Beaujault – composition sonore et régie son Ivan Roussel – créations lumières et régie lumière Olivier Tessier – création costumes Fabrice Ilia Leroy assisté de Yolène Guais – création machinerie et régie générale plateau Pierre Blanchet et Mateo Provost – construction décor et accessoires Philippe Ragot, avec Manuel Ménès et Nicolas Moreau.