Archives par étiquette : Festival d’Automne – Paris

Faustus in Africa !

Mise en scène de William Kentridge, avec la Handspring Puppet Company – au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt dans le cadre du Festival d’Automne – spectacle en anglais, surtitré en français.

© Fiona MacPherson

C’est un spectacle dédié au compositeur et musicien James Phillips disparu en 1995, année de création de Faustus in Africa ! dont il signait la musique avec Warrick Sony. Il était « la voix et la conscience d’une génération. Ses chansons politiques rebelles et satiriques dénonçaient le gouvernement sud-africain pendant l’apartheid. » Par ces mots qui retiennent l’attention, on entre de plain-pied dans l’univers de William Kentridge.

Immense artiste sud-africain internationalement reconnu, Kentridge signe au fil des années une œuvre foisonnante composée de dessins, gravures, films, musiques dans de nombreuses performances, expositions et mises en scène. Par l’art qu’il pratique sous ces différentes formes, il a toujours interrogé les héritages du colonialisme et dénoncé l’apartheid. Son œuvre est présentée dans les plus grands musées du monde dont au Louvre, au MoMA de New-York, à la Documenta de Cassel, dans les grands théâtres et opéras du monde. Le Festival d’Automne l’a accueilli à plusieurs reprises et le Théâtre de la Ville a présenté en 2023 son spectacle Sibyl. La Handspring Puppet Company accompagne son travail depuis de nombreuses années.

© Fiona MacPherson

Quand Kentridge parle de ses motivations quant au choix du sujet sur le mythe de Faust en 1995, il nous fait replonger dans l’histoire de son pays, l’Afrique du Sud, un an après les premières élections démocratiques et la libération de Nelson Mandela, élu à la Présidence. Mais il explique en même temps qu’un pacte avait été scellé entre l’ancien gouvernement nationaliste d’apartheid et le Congrès national Africain, le parti de Mandela, pour acheter la paix sociale et éviter la guerre civile. Cela rendait impossible le décompte des exactions commises par les tenants de l’apartheid. Fort de ce pacte gouvernemental, pour lui, scellé avec le diable, William Kentridge en fait la traduction par ses fusains et sa recherche autour du mythe de Faust.

Trente ans plus tard, même texte, mêmes marionnettes, conçues et dirigées par Adrian Kohler, Basil Jones et leur troupe, la Handspring Puppet Company. Le nouveau scénario entremêle le récit de Goethe aux extraits pleins d’ironie du poète sud-africain Lesego Rampolokeng. Rien n’a pris une ride, seul le contexte international a changé, ainsi que le regard sur le colonialisme, à travers les débats sur la restitution des objets d’art africains d’une part – savoureuse scène sur écran où chaque objet d’art africain est atteint d’une balle tirée depuis le plateau par Faust – la manière dont certains gouvernements détournent les fonds d’État d’autre part – par les lingots d’or offerts en forme d’église pour le pasteur, en forme de livres de lois pour le colonel, sublimes marionnettes sculptées dans le bois.

© Fiona MacPherson

Faust est aussi une figurine de bois qui fait face à Méphistophélès, acteur, (Wessel Pretorius) tandem entre maître et serviteur dans des partitions qui s’inversent et dans lesquelles on ne sait plus qui tire les ficelles. Faust est porté par deux acteurs-manipulateurs qui lui donne vie dans une manipulation de type bunraku, à visage découvert, et dont l’un interprète le texte. On suit la métamorphose de Faust, de l’état dépressif du début à la signature du pacte qui le transforme en jeune amoureux entreprenant, en guerrier de safari et en observateur du monde politique, avant de devenir un vieil homme au seuil de sa vie. Les figurines sont en soi des œuvres d’art, comme ce sublime orchestre passant en leitmotiv, jouant saxophone, trompettes et percussions, magnifiquement portées en duo, par de brillants acteurs-manipulateurs (Eben Genis – Atandwa Kani – Mongi Mthombeni – Asanda Rilityana – Buhle Stefane – Jennifer Steyn). La musique de James Phillips et Warrick Sony, amplifie les dessins de William Kentridge qui ont valeur de didascalies, commentaires et accentuation et qui s’animent sur écran tout au long du spectacle.

La scénographie nous place dans une sorte de bibliothèque à l’ancienne aux meubles cirés, qui à certains moments fait office de laboratoire ou de tribune politique, espaces dans lesquels apparaissent et disparaissent figurines et personnages. Une immense horloge, de marque Lucifer barre la scène avant de faire place à l’écran. Il est sept heures cinq quand les employés arrivent pour ce Prologue au Paradis, avant que le temps ne s’emballe, au fil des événements.

Seul au centre, Faust fait un discours sur l’origine du monde et, dans sa démonstration, engage un dialogue avec l’au-delà. On est Hôtel Polonia, chambre 407. Deux acteurs-manipulateurs tournent avec lui les pages d’un ouvrage : « Dans les livres tout semble beau… Je ne crains rien du ciel ni de l’enfer… » Mais Méphistophélès, prince des ténèbres, veille et prépare le Pacte qu’il lui fait signer. Faust paraphe et n’aura d’autre issue que de devenir la voix de son maître. Très vite il réalise pourtant qu’il a été floué.

Dans un laboratoire de type colonial où s’affaire une jeune femme, Gretchen/Marguerite, Faust, redevenu jeune, tombe sous le charme et lui offre un bijou. Puis le voici fusil au corps, en safari, à Dar es Salam, ses cibles sont des dessins. Le rapport aux colonisateurs qui tuent hommes et bêtes sans discernement et vivent entre fusil et machine à écrire est traité avec un certain humour. Au bureau, côté cour, Méphisto tire les ficelles et épuise Faust. Dans cette mise en scène inventive on fait chanter les verres d’eau dans un filet de lumière, créant une mélodie qui accompagne les doutes de Faust. Les aiguilles du cadran commencent à s’affoler, l’écran se couvre des chiffres de la bourse, Méphisto ne pense que gain et libéralisme et congédie tout le monde. La fanfare-marionnettes donne le tempo.

© Fiona MacPherson

Au Palais, dans la salle du trône ressemblant à un tribunal, siègent les technocrates : un chef militaire aux allures de Khadafi, un pasteur dans un double mouvement, prêt à jurer en même temps qu’adjurer sur la bible qu’il tient serrée contre lui. Ils réclament de l’or, Méphisto leur offre des lingots, veaux d’or du moment.  La vente aux enchères de la collection d’art africain appartenant à Faust est un moment fort et vibrant de racisme. Une émeute mène à la mort du Général après une bagarre au couteau dans laquelle Faust, armé par Méphisto, est impliqué. Helena, sa veuve, préside un banquet dans la résidence impériale. Entre chacal et vautour, quel choix, demande-t-elle ? Le Pasteur y va de son couplet, sur l’âme. Le spectacle monte en puissance.

© Fiona MacPherson

Dans la Nuit des Walpurgies Faust court derrière Helena qui lui échappe et affiche sa haine pour Méphisto. Tout ce qu’il entreprend dysfonctionne. Il dénonce le racisme, égrenant une longue liste de noms effacés des mémoires et des registres de mort. Numéro du corps : sans – lieu : non – cause de la mort : inconnue. Il rappelle ces étranges fruits, le corps des Noirs pendus aux arbres après lynchage, sort qu’on réservait aux Afro-américains et que Billie Holiday chantait, en 1939. Un chant spirituals commente les dessins. La musique prend son temps et accompagne la mémoire. Entouré de deux infirmières, Faust a singulièrement vieilli. La pendule retrouve son statut, au centre de la scène. On se perd pourtant dans les paradoxes des discours politiques et le libéralisme redouble. Faust et Méphisto jouent aux cartes quand soudain, ce dernier lance son couperet : « Ton séjour est terminé, Faust, l’accord est rompu ! » Le bruit d’un avion qui plane au-dessus de leurs têtes marque la fin du parcours, la fin de la partie et du spectacle.

Dans Faustus in Africa!, au-delà de Goethe et de la force des dessins, le passé croise le temps présent. La puissance du travail artistique de William Kentridge traduit avec subtilité les inégalités et les injustices morales, raciales, économiques, sociales et environnementales. Portées par les acteurs qui leur prêtent vie avec beaucoup d’habileté et d’empathie, les figurines de la Handspring Puppet Company – sculptures de toute beauté et expressivité – se fondent magnifiquement dans l’univers visuel de William Kentridge aux propositions multiples. Faustus in Africa ! est un manifeste artistique rare, intelligent et sensible, subtil et puissant.

Brigitte Rémer, le 12 septembre 2025

Mise en scène William Kentridge, avec : Eben Genis – Atandwa Kani – Mongi Mthombeni – Wessel Pretorius – Asanda Rilityana – Buhle Stefane – Jennifer Steyn. Collaboration artistique à la mise en scène Lara Foot – conception et direction des marionnettes Adrian Kohler, Basil Jones (Handspring Puppet Company) – direction associée des marionnettes et des répétition Enrico Dau Yang Wey – scénographie Adrian Kohler, William Kentridge – animation William Kentridge – construction marionnettes Adrian Kohler, Tau Qwelane – costumes marionnettes Hazel Maree, Hiltrud von Seidlitz, Phyllis Midlane – effets spéciaux Simon Dunckley – conception décor Adrian Kohler – construction décors Dean Pitman pour Ukululama Projects – peinture et habillage des décors Nadine Minnaar pour Scene Visual Productions – traduction Robert David Macdonald – texte additionnel Lesego Rampolokeng – musique James Phillips, Warrick Sony – éclairagiste et régisseur de production  Wesley France – régisseuse plateau et opératrice vidéo Thunyelwa Rachwene – régisseur son Tebogo Laaka, Paul Patru – technicienne plateau Lucile Quinton – contrôleuse vidéo Kim Gunning – surtitres Babel Subtitling – production et tournée :  Quaternaire/ Sarah Ford, Roxani Kamperou, Emmanuelle Taccard

© Fiona MacPherson

Du 11 au 19 septembre à 20 h, le samedi à 15 h et 20 h au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt, Grande salle. 2 place du Châtelet. 75001. Paris. www.theatredelaville-paris.comEn tournée, prochaines représentations, du 29 octobre au 1er novembre 2025, Comédie de Genève, (Suisse), site : www.comedie.ch

Voir aussi nos articles sur les spectacles de William Kentridge : Wozzeck, à l’Opéra Paris-Bastille (cf. ubiquité-culture(s) du 26 mars 2022) – Sibyl, au Théâtre de la Ville (cf. ubiquité-culture(s) du 9 mars 2023), Faustus in Africa ! au Printemps des Comédiens/Opéra de Montpellier (cf. ubiquité-culture(s) du 30 juin 2025.

Since I’ve been me    

Textes Fernando Pessoa – mise en scène, scénographie et lumière Robert Wilson – co-mise en scène Charles Chemin – dramaturgie Darryl Pinckney – dans le cadre du Festival d’Automne, au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt – en français, italien, portugais, anglais surtitrés.

© Lucie Jansch

Assis en bord de scène, Fernando Pessoa (1888-1935) scrute le public en train de s’installer. Maquillage blanc, moustaches et épais sourcils, portant chapeau et lunettes. C’est Maria de Medeiros, superbe actrice franco-portugaise qui a la charge de représenter le poète, dans l’immobilité d’un mannequin. À certains moments, elle cligne des yeux, ébauche un petit geste, abstrait et saccadé et balaye du regard, est-ce la mer, à perte de vue face à nous mais derrière elle, sur une magnifique toile peinte d’un bleu si bleu, là où le Tage rejoint l’Océan Atlantique, à Lisbonne ?

© Lucie Jansch

Des soleils rouges sortent de l’eau, un à un, au son des aigus d’un violon, un soleil s’effile se métamorphosant en un cône rouge fin et étiré devenant stylo, l’emblème du poète. Pessoa est à lui seul kaléidoscopique, il a l’art du dédoublement et se fait représenter par différents personnages nés de son imagination, les hétéronymes – il en créera plus de soixante-dix et leur déléguera sa parole poétique. Ainsi de cour à jardin apparaissent une à une des figures sous la baguette du magicien Robert Wilson, en une entrée très remarquée sur bruits de vaisselle cassée et de train, de guitare et de roulements de tambour. Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaína Suaudeau sont les acteurs/actrices, danseurs/danseuses et la représentation des créatures de Pessoa, avec entre autres Álvaro de Campos, son véritable alter ego, poète-ingénieur maritime, moderniste et futuriste, auteur de L’Ode triomphale ; Ricardo Reis, poète de formation plus classique travaillant sur les thèmes de l’amour idéal et de l’éphémère ; le bucolique Alberto Caeiro, auteur du Gardeur de troupeau et du Pasteur amoureux ; Bernardo Soares, jeune employé de bureau connu pour son Livre de l’intranquillité. Il y a du monde autour de Pessoa, il est tout ce monde-là.

Avec le talent qui est le sien et l’imaginaire qu’on lui connaît, le metteur en scène américain Robert Wilson prête vie à ces créatures de fiction au service de la poésie, chacune comme étant une facette et le miroir du poète, personnages qui s’expriment ici dans la flexibilité de différentes langues et le brouillage des identités – anglais, français, italien, portugais. L’un des premiers poèmes de Pessoa – qui perd son père à l’âge de cinq ans, puis son frère six mois plus tard, et qui vit en Afrique du Sud de huit à quinze ans – est écrit en anglais, What is man himselfQu’est-ce que l’homme ?

© Lucie Jansch

Dans une lettre adressée à un ami et grand critique littéraire dix mois avant sa mort, Pessoa donne les clés de son processus de création : « Un jour où j’avais finalement renoncé – c’était le 8 mars 1914 – je m’approchais d’une haute commode et prenant une feuille de papier, je me mis à écrire, debout, comme je le fais chaque fois que je le peux. J’ai écrit plus de trente poèmes d’affilée, dans une sorte d’extase dont je ne saurais définir la nature… » Et du premier né de sa série hétéronyme Álvaro de Campos, apparaissent les autres, comme par scissiparité.  « … J’ai alors créé une coterie inexistante. J’ai donné à tout cela l’apparence de la réalité. J’ai gradué les influences, connu les amitiés, entendu en moi les discussions et les divergences d’opinion, et dans tout cela, il me semble que c’est moi le créateur de tout, qui fus le moins présent. »

Une première partie du spectacle puise dans Le Gardeur de troupeaux principalement restitué en italien, dans une remarquable traduction d’Antonio Tabucchi, une autre partie se concentre davantage sur Faust sur lequel Pessoa s’est penché toute sa vie et à partir duquel il a écrit un monologue, œuvre publiée après sa mort et selon ses indications. La dramaturgie de Darryl Pinckney parle de Pessoa, à travers tous ses autres, c’est un portait de la complexité du poète en même temps que ses textes donnés à entendre en une lecture tant biographique que poétique. On y trouve aussi des aspects de sa vie personnelle, comme la Lettre à Ofélia, son éphémère fiancée – dans la vie, Ophélia Queiroz, le seul amour qui lui soit connu – lettre lue en scène par une Ofélia shakespearienne en robe immaculée, moment magique s’il en est.

© Lucie Jansch

À l’imagination sans limite du poète chargé de ses moi et de ses voix – « nombreux sont ceux qui vivent en nous » confirme-t-il – répondent les visions lumineuses de Robert Wilson avec liserés de lumière, néons, poursuite qui cerne les personnages, contrejours qui soulignent le mystère et la magie. On connaît en France cet exceptionnel metteur en scène depuis son Regard du sourd présenté pour la première fois en 1971 au Festival de Nancy, puis à l’Espace Cardin de Paris et qui a marqué les mémoires, suivi d’un second spectacle, Einstein on the beach réalisé en collaboration avec Philip Glass et Lucinda Childs et qui a fait date en juillet 1976, au Festival d’Avignon. Plasticien et architecte de formation, né dans une petite ville du Texas, Robert Wilson voulait être peintre et se reconnaît avant tout dans le geste, la danse et la lumière qu’il conduit avec virtuosité. Dans Since I’ve been me, son langage scénique se mêle à la poésie de Pessoa, leurs univers se fondent l’un dans l’autre avec justesse et extravagance dans ce rapport troublé entre la réalité et la fiction. « Je sens mon corps étendu dans la réalité » dit le poète.

L’enfant en costume de marin – Pessoa lui-même – rêve devant un petit bateau suspendu qui, dans le jeu des proportions dévoile une grande élégance et une rêverie, en même temps qu’il parle d’un peuple de marins ; ou encore la nourrice en superbe robe de velours bleu indigo (costumes Jacques Reynaud), font partie des personnages et des visions mises en exergue dans la mise en scène, parmi de nombreuses autres : « Nourrice, chante-moi. Je ne veux rien entendre du monde au-dehors… Chante-moi, nourrice, et que le sommeil comme une mélodie m’emporte… » Chaque élément voit sa valeur décuplée dans ce tête-à-tête esthétique et sensible entre deux poètes : les animaux qui passent, porc-épic, autruche ou dauphin, les arbres alignés ; les chaises étroites au dossier haut descendant du ciel, qu’affectionne Robert Wilson ; les tables alignées les unes à côté des autres de cour à jardin où chaque acteur crée son identité, sa gestuelle. Tout dans le spectacle est puissant, en même temps que millimétré. Le crépitement des touches de la machine à écrire la Cadillac de Pessoa, l’orage, la couleur qui le poursuit, ce rouge tombant du ciel sur le mur arrière et sur les tables, les nappes qui se soulèvent devenant oriflammes. « J’ai enlevé le masque et me suis vu dans le miroir… Je ne suis rien, je suis une fiction… »

© Lucie Jansch

La longue séquence qui ferme le spectacle est sombre. Les personnages font face aux spectateurs, les balayant de leurs lampes-torches et jettent des phrases dans une ambiance sépulcrale : « Je ne suis qu’au-dehors de moi… N’être plus au dehors de moi… Qu’est-ce donc que d’exister ?…  Je veux la mort… La lumière est triste, je la connais. » Vision déformée, ou souvenirs ?  Le retour de Pessoa-Maria de Medeiros en bord de scène, ferme la boucle de cette traversée onirique par un dernier texte qu’elle lit : « C’est de l’autre côté du temps que j’ai voyagé, sur un bateau quelconque… » Vêtus de blanc sur écran blanc avec pour seul point visible et comme balise un foulard noir, paraissent les personnages avant de disparaitre tandis que les vagues se brisent sur la grève.

Since I’ve been me, provoque une réelle émotion esthétique dans ces regards croisés entre les textes de Fernando Pessoa et la puissance visuelle et sonore de Robert Wilson, (la création sonore est signée Nick Sagar), bousculant l’espace et le temps et dessinant les itinéraires et la gestuelle des acteurs, dans leurs rôles complexes d’hétéronymes brouillant la vision. Le travail est remarquable dans cet équilibre instable entre les différentes strates de la réalité portugaise captée par l’écrivain, et le songe de celui qui le traduit sur scène dans une lecture flamboyante, offrant au public une perception fine des espérances du poète. « Si je pouvais croquer la terre entière et lui trouver un goût, j’en serai plus heureux un instant… » reconnaît Pessoa  face à son métier de vivre.

Brigitte Rémer, le 15 novembre 2024

Avec : Maria de Medeiros, Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaína Suaudeau. Costumes Jacques Reynaud – co-mise en scène Charles Chemin, collaboratrice associée à la scénographie Annick Lavallée-Benny – collaborateur associé à la lumière Marcello Lumaca – création sonore et conseiller musical Nick Sagar – maquillage Véronique Pfluger – direction technique Enrico Maso – coordination artistique et technique Thaiz Bozano – collaboratrice aux costumes Flavia Ruggeri – collaboration littéraire Bernardo Haumont.

Du mardi 5 au samedi 16 novembre 2024, à 20h, samedi et dimanche à 15h, au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt, 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro : Châtelet. La première mondiale a eu lieu le 2 mai 2024 au Teatro della Pergola à Florence, producteur, avec le Théâtre de la Ville, du spectacle. En tournée : du 6 au 9 février 2025, au Teatro Sociale de Trento (Italie) – du 13 au 16 février 2025, au Teatro Politeama Rossetti de Trieste (Italie)

Voir aussi nos articles sur les spectacles de Robert Wilson, dans www.ubiquité-cultures.fr – le 2 octobre 2016, Faust I et II, présenté par le Théâtre de la Ville au Théâtre du Châtelet le 18 juin 2019, Mary said what she said, au Théâtre de la Ville Espace Cardin – le 23 septembre 2021, I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating, au Théâtre de la Ville Espace Cardin – le 17 juin 2023, Ubu, au Printemps des Comédiens, Domaine d’O de Montpellier.

Au “Point Fort” d’Aubervilliers

Alsarah & the Nubatones © Waleed Shah

Le Pavillon Dream City présentait un concert de Alsarah & the Nubatones et une chorégraphie de Radouan Mriziga, Libya – en partenariat avec le Théâtre de la Commune/Centre dramatique national d’Aubervilliers et la Carte blanche du Festival d’Automne, au Point Fort d’Aubervilliers.

Dans ce bel espace dit Le Point Fort, sur l’ancien territoire du Fort d’Aubervilliers et longeant le Théâtre Zingaro, au fond d’un grand terrain, on débouche sur différents aménagements dont un espace chapiteau en dur et toit de toile aux proportions intéressantes, comportant pour le concert une scène surélevée, un grand dance floor, au fond, quelques rangées de gradins. L’endroit est chaleureux.

Alsarah & the Nubatones – C’est sous ce chapiteau que se présente le groupe musical Alsarah & the Nubatones fondé en 2010 par la chanteuse, compositrice et ethnomusicologue américano-soudanaise, Sarah Abunami-Elgadi. Avec ses musiciens : sa sœur, Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux),Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion), elle cherche dans la rétro-pop d’Afrique de l’Est et, vivant à New-York, n’oublie pas son Soudan natal.

Libya © Pol Guillard

Son inspiration et ses rythmes puisent dans les chants de retour, chants traditionnels de l’espérance nubienne, pour l’Égypte, autant que dans la soul et le groove afro-américain. Le voyage et la migration nourrissent sa musique, et sa voix, intense, passe de collines en collines, déclinant les gammes pentatoniques de la musique afro-arabe soudanaise. Alsarah & the Nubatones ont déjà enregistré trois albums. Ils électrisent, dans tous les sens du terme. La majorité du public est sur le dance floor et ça swingue.

Libya, la troisième pièce du chorégraphe maroco-bruxellois Radouan Mriziga, parle de l’héritage Amazigh du Maghreb, ce peuple du désert dont le savoir et l’histoire sont notamment transmis à travers les conteurs, les chanteurs et danseurs. Au sol, sur tapis blanc, s’entrecroisent des lignes de couleur jaune, verte, rouge, formant des triangles et comme des itinéraires. A l’arrière-plan, un immense écran sur lequel sont projetés des paysages. La musique – principalement oud et percussions – et le texte sont enregistrés, le texte est en langue anglaise, je l’aurais préféré en v.o, en arabe. Les danseurs viennent de formations et d’horizons différents. Des solos de grande virtuosité, des duos et des danses collectives se succèdent sur des entrées et sorties fondues et enchaînées. Certains s’immobilisent et observent les autres. On se touche peu. A certains moments les rythmes amazighs nous emmènent dans la fête populaire, les danseurs se passent le relais, ou avancent en ligne, ou en ronde.

Méditatif, Libya appelle la mémoire collective. C’est une invitation à parcourir la palette des états de l’âme humaine – amour, joie ou tristesse, désir, passion. Des incantations accompagnent le mouvement de l’eau, la mer sur écran. Plusieurs discours se superposent. Un chant solo guide une danse solo, comme une prière. Après la mer, défilent des images de désert, le spectacle se clôt sur un chant en anglais. Dommage !

La carte blanche du Festival d’Automne, pose un geste artistique et politique à travers la création, dialogue entre les différentes pratiques et disciplines, une précieuse initiative qui permet la découverte.

Brigitte Rémer, le 24 septembre 2024

Alsarah & the Nubatones concert du 21 septembre 2024 – Avec : Sarah Abunami-Elgadi, chanteuse et les musiciens : Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux), Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion) – Ingénieur du son Mohamed Abd El Halem – Manager Mounir Kabbaj

Libya, vu le 22 septembre 2024. Concept et chorégraphie Radouan Mriziga – interprètes : Sondos Belhassen, Mahdi Chammem, Hichem Chebli, Bilal El Had, Maïté Minh Tâm Jeannolin, Senda Jebali, Feteh Khiari, Myriam Rabah-Konaté. Scénographie Radouan Mriziga – costumes Anissa Aidia & Lila John – lumières Radouan Mriziga – contribution poème And set them alight de Asmaa Jama – assistanat Aïcha Ben Miled, Nada Khomsi, Khalil Jegham.

Le Point Fort d’Aubervilliers, 174 avenue Jean-Jaurès. 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 36 34 02 – site : www.lepointfort.com et Festival d’Automne :  tél. : 01 53 45 17 17 – site : www.festival-automne.com