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Ces gens-là !

© Blandine Soulage

Conception et chorégraphie Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, Compagnie Chatha – musique d’Haythem Achour alias Ogra au Tarmac/La scène internationale francophone, en partenariat avec Faits d’hiver/Festival de danse- Paris.

Cinq danseurs sur le plateau dégagent une belle énergie, guidés par la composition musicale de Maître Haythem Achour alias Ogra qui, au final, apparaît en majesté, devant ses pupitres. De cour à jardin et retour ils déclinent un alphabet en un flot ininterrompu de passages et de figures, le geste chorégraphique se fait d’un seul souffle.

Ces gens-là ! est le titre d’une chanson bien connue de Jacques Brel, sensible humainement et scrutée, sur lesquels les chorégraphes, Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou ont trouvé matière à réflexion. Pourtant, si on l’a lu avant le spectacle, la présentation de leur travail, y chercher une quelconque trace ou référence, est vain. « D’abord, y a l’aîné, Lui qui est comme un melon, Lui qui a un gros nez, Lui qui sait plus son nom Monsieur tellement qu´y boit, Tellement qu´il a bu, Qui fait rien de ses dix doigts, Mais lui qui n´en peut plus, Et puis, y a l´autre, Des carottes dans les cheveux, Qu´a jamais vu un peigne, Qu´est méchant comme une teigne, Même qu´il donnerait sa chemise, A des pauvres gens heureux… » Oublions cet hommage aux invisibles qui, pour les chorégraphes relève du secret de fabrication, et embarquons-nous dans le bruit et la fureur de la figure emblématique de la scène techno tunisienne qui mène la danse et qui avait déjà signé la composition musicale du spectacle précédent de la compagnie, Narcose.

Les pas et gestuelles sont hybrides, déclinent leur différence, parlent de la violence et s’inscrivent dans l’environnement extrême et le contexte social d’aujourd’hui. Les corps s’abîment dans le fracas musical, le quintet se déplace ensemble, sans unisson et lance des signes et signaux qui, à certains moments, saturent le spectateur. La frontière entre le réel et la fiction, la guerre, l’humain, les réseaux sociaux et la confusion qu’ils engendrent sont des thèmes chers aux chorégraphes qui aiment travailler autour de la perception du spectateur.

Nés à Tunis où ils se forment au Conservatoire de Musique et Danse, puis au Centre National de Danse Contemporaine d’Angers, Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou créent leur compagnie, Chatha, en 2005 et constituent une équipe avec laquelle ils développent leurs projets chorégraphiques. L’une de leurs premières pièces, Kawa solo à deux, en 2009 s’imprégnait du texte de Mahmoud Darwich, Une mémoire pour l’oubli. Implantés à Lyon, ils tablent sur l’engagement physique des danseurs et créent avec eux une grammaire corporelle en évolution permanente. Ils composent une partition lumières qui, comme leur univers des sons tient le spectateur en haleine et l’oblige à être aux aguets.

Danseurs et spectateurs ont peu d’espaces de respiration. Les premiers, aux parcours et profils divers, offrent une diversité d’interprétations dans le tissu chorégraphique, les seconds tentent de lutter contre le brouillage des signes et le volume saturé d’un environnement sonore techno cru et sauvage.

Brigitte Rémer, le 10 février 2019

Danseurs : Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet, Gregory Alliot, Fabio Dolce, Phanuel Erdmann – performeur Heythem Achour Alias OGRA – univers sonore Heythem Achour Alias OGRA, Hafiz Dhaou – lumière Xavier Lazarini assisté de Jérôme Deschamps – conception des costumes Aïcha M’Barek

Du 4 au 6 février 2019 – Le Tarmac/La scène internationale francophone, 159 avenue Gambetta, 75020 – métro : Pelleport – tél. : 01 43 64 80 80 – site letarmac.fr