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Affaires familiales

Conception, écriture et mise en scène Émilie Rousset, dans le cadre du Festival d’Automne 2025, au Théâtre de la Bastille

© Martin Argyroglo

Théâtre documentaire sur le droit de la famille, ou théâtre-journal, les acteurs font fonction d’enquêteurs interrogeant des justiciables et des avocats. Ils rapportent des témoignages sur les blessures de la société dans le domaine des Affaires familiales. Les sujets sont ardents, sensibles, intimes, vastes et vibrants. Des fragments d’images se superposent à la réalité, en écho à l’acteur, et s’inscrivent sur un petit et un grand écran situés côté cour et côté jardin, selon la position des gradins des spectateurs placés face à face (conception du dispositif scénographique Nadia Lauro). La caméra se pose sur les mains, les yeux, la bouche qui rappelle la loi, un mouvement esquissé, des bribes de souffrance, d’analyse et de réflexion, (dispositif son et vidéo, Romain Vuillet).

Neuf chapitres composent le spectacle qui met en jeu le juge aux affaires familiale pour arbitrer les dysfonctionnements en termes de droit de la famille. Les chapitres se succèdent et s’affichent : L’amour et la loi – Les limbes – La petite Madonne – Les petits cailloux – L’empilement des décisions – L’association – La Generalitat de Catalunya – Napoléon à la cour européenne. Le chapitre C’est génial ferme le spectacle, c’est en effet génial que les femmes puissent disposer de leur corps, mais le combat n’est pas fini, confirme le texte.

© Nadia Lauro

Pour espérer gagner un procès il faut une conjugaison de facteurs : « un bon justiciable, une bonne cause, un bon avocat et un bon juge » autant dire des oiseaux rares sur ces sujets de vulnérabilité. La restitution de l’enquête, qui s’est déroulée dans plusieurs pays d’Europe se fait en langue originale, italien et portugais, avec une traduction consécutive qui en donne la synthèse. La loi est différente et différemment interprétée d’un pays à l’autre, ajoute Émilie Rousset.

Le spectre des sujets abordés autour du droit familial est large et le spectacle en traverse une bonne partie : l’inégalité de la loi face à la gestation pour autrui et à la procréation médicalement assistée, ainsi qu’à l’adoption dans les couples homosexuels ; l’homophobie ; la violence dans les couples – mariés ou non et la solitude des femmes quand ils explosent ; le divorce pour faute quand la femme se retire des relations sexuelles et le code napoléonien qui l’enjoint à garder communauté de vie ; les conflits en termes de garde des enfants nés de parents de nationalités différentes, quand ils se séparent. Des exemples précis sont donnés en termes de séparation et de conflits de loyauté pour les enfants dont le récit est souvent différent de celui des parents, et qui aiment leurs deux parents ; l’indicible de l’inceste, les visites médiatisées et le lien qu’on oblige parfois à garder.

© Nadia Lauro

Créé lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, en juillet 2025, le spectacle Affaires familiales rapporte la langue du droit, écrite et orale et ouvre sur une série de réflexions sur la justice, les avocat(e)s qui accompagnent les familles, la militance et/ou le métier, la victime et/ou le bourreau, le lien mère/enfant.

Émilie Rousset travaille l’écriture de montage et décale dans sa mise en scène le document collecté et les paroles portées par les acteurs. Elle avait déjà eu maille à partir avec la justice, sur scène s’entend, en présentant notamment Reconstitution : Le Procès de Bobigny sur le choix d’une jeune femme de seize ans, d’avorter après avoir été violée, jeune femme défendue par Gisèle Halimi. Elle explore l’archive et l’enquête documentaire et se glisse dans les grands débats de société en s’ancrant dans le réel. Elle est, depuis un an, directrice du Centre Dramatique National d’Orléans où elle poursuit ses recherches théâtrales et croise l’émotion l’histoire et la réflexion.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2025

© Nadia Lauro

Avec : Saadia Bentaïeb, Antonia Buresi, Teresa Coutinho, Ruggero Franceschini, Emmanuelle Lafon, Núria Lloansi, Manuel Vallade et pour la dernière représentation au Théâtre de la Bastille Aymen Bouchou remplacera Saadia Bentaieb – conception du dispositif scénographique Nadia Lauro – musique Carla Pallone – collaboration à l’écriture Sarah Maeght – création lumière Manon Lauriol – cheffes opératrices Alexandra de Saint Blanquat et Joséphine Drouin Viallard – cadreur additionnel Italie Tommy – cadreuse additionnelle Espagne Maud Sophie – montage Carole Borne, avec le renfort de Gabrielle Stemmer – assistante à la mise en scène Elina Martinez – dispositif son et vidéo Romain Vuillet – costumes Andrea Matweber – régie plateau et régie générale Jérémie Sananes –

Le texte de la pièce est écrit à partir d’entretiens réalisés avec des avocates, justiciables, responsables associatifs et parlementaires, notamment Fabíola Cardoso, Davide Chiappa, Anne Lassalle, Caroline Mécary, Lilia Mhissen, Isabel Moreira, Pauline Rongier, Hansu Yalaz, Marco Zabai, Neus Aragonès, Alice Bouissou, Véronique Chauveau, Michele Giarratano, Agnès Guimet, Montse Martí, Diodio Metro, Joana Mortaga, Luca Paladini, Morghân Peltier, Jennifer Tervil, Agathe Wehbé, les équipes du Parloir Père-Enfants ARS95, des associations Adepape95-Repairs!95, Protéger l’enfant, de la Oficina de comunicació de la Policia de la Generalitat – Mossos d’Esquadra.

Du 19 septembre au 3 octobre 2025, à 19h30, les samedis à 17h, relâche le mercredi 24 septembre et les dimanches, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris – métro Bastille – tél : 01 43 57 42 14 – www.theatre-bastille.com – En tournée : 7 et 8 octobre 2025, Lieu Unique, Scène nationale de Nantes – 3 au 12 décembre 2025, Centre Dramatique National Orléans – 11 et 12 février 2026, Communs, Nouvelle scène nationale de Points Cergy-Pontoise (Val d’Oise), 12 et 13 mars 2026, Le Volcan, Scène nationale, Le Havre – 18 au 20 mars 2026, Scène nationale de l’Essonne, Agora-Desnos / Evry-Courcouronnes (France)

Playlist Politique

© Philippe Lebruman

Conception, écriture et mise en scène Émilie Rousset, Compagnie John Corporation, au Théâtre de la Bastille – en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris.

Analyser le rapport entre la promotion d’un événement politique dans sa théâtralité, et sa traduction musicale, telle est la commande à laquelle la conceptrice Émilie Rousset tente d’apporter sa réponse, avec pour exemple l’Ode à la Joie de Ludwig van Beethoven. L’actrice, Anne Steffens, nous fait naviguer sur la toile devant les arborescences de son Mac et installe un climat de chuchotements car à la maison où elle fait ses recherches, son enfant dort et rêve, peut-être construit-il des mondes imaginaires, l’acteur Manuel Vallade s’improvise en mère.

Dès le départ, Émilie Rousset prend de la distance avec le sujet et annonce la couleur, ludique, ironique, fantaisiste plutôt que d’analyse musico-politique. Elle choisit trois moments politiques emblématiques, dans le rayon grandiose : le premier, l’intronisation d’Emmanuel Macron dans la cour du Louvre, accompagné de la finale du quatrième et dernier mouvement de la IXème symphonie de Beethoven, l’Ode à la Joie, sa longue marche en solitaire évoquant celle de son prédécesseur François Mitterrand, au Panthéon. Avec Manuel Vallade dans le rôle-titre de Président de la République, les images qui accompagnent le spectacle reconstituent la marche solennelle de Macron I dans la cour du Louvre pour en « révéler » le côté grandiloquent. Merci Roselyne répète-t-il à l’attention de sa ministre de la Culture

Le second moment, le prestigieux cérémoniel de la Chancelière allemande, Angela Merkel, en décembre 2021 quand elle quitte ses fonctions, accompagnée de la chanson de l’icône punk Nina Hagen, Du hast den Farbfilm vergessen/Tu as oublié la pellicule couleur, véritable tube en Allemagne de l’Est d’où est originaire la chancelière, sorti en 1974 en pleine guerre froide : problème, son parolier, Kurt Demmler accusé de pédocriminalité s’était suicidé en prison, la Chancelière ne le savait-elle pas ?

Le troisième moment est l’investiture de François Mitterrand au Panthéon, dans une mise en scène de Christian Dupavillon conseiller de Jack Lang pour l’architecture et le patrimoine, retransmission conçue pour la télévision où l’allegro assai vivace du quatrième mouvement de l’Ode à la joie interprété sous la baguette de Daniel Barenboïm a manqué tourner court. Porteur d’une rose rouge tout au long du parcours, après l’arrêt devant les tombeaux de Jean Moulin, Jean Jaurès et Victor Schœlcher – en partie couvert par une immense clameur et les pétarades des motos présidentielles, le chef d’orchestre laisse tomber sa baguette et s’interrompt brusquement. Il acceptera finalement de reprendre et redémarrera tout le mouvement, depuis le début, décalant ainsi le minutage présidentiel. La cérémonie avait failli virer au fiasco..

Un quatrième et dernier round nous mène dans un grand débat, où les acteurs se réapproprient les joutes verbales des entre-deux tours. Puis le canevas-texte revient sur le choix de L’Ode à la joie, composée sur un poème de Friedrich von Schiller, devenue symbole officiel de l’Union Européenne et représentant l’Europe. Tous savaient que son adaptateur-arrangeur en était Herbert von Karajan dont le comportement pendant la guerre fut marqué de petits arrangements avec le parti nazi. Comment a-t-on pu promouvoir une telle personnalité ambassadrice de l’hymne européen, lui permettant d’en percevoir les royalties ? La question se pose encore aujourd’hui autour de ce que seraient les contraintes d’État et de la question de la gestion du patrimoine culturel européen.

Toute rhétorique mise à part ce sont les petites histoires en coulisses qui prennent le dessus pour dévoiler les symboles des républiques via les images projetées, reprises par les commentaires des acteurs, Anne Steffens et Manuel Vallade, tous deux simples, justes et pertinents et s’adaptant à la multiplicité de leurs personnages : les oreillettes qui ponctuent le tempo de la marche, les roses remises à Mitterrand au fur et à mesure de la cérémonie, prêtant à un jeu de cache-cache derrière les piliers et à une dispute pour honorer la facture des fleurs… Le commentaire de Romain Rolland : « Tout ce que l’État touche, il le tue. » Le spectacle se ferme sur une visio-conférence et l’arrivée d’une douzaine de choristes et de leur cheffe de cœur exécutant la partition de Beethoven.

© Philippe Lebruman

Dans Playlist Politique Émilie Rousset a exploré de nombreux documents et sources et a tiré un scénario assez subtil de ces moments-charnières dans la vie de nos démocraties mettant en images le pouvoir avec le décalage existant entre le réel et la fiction. Après s’être formée à l’école du Théâtre National de Strasbourg l’auteure/metteure en scène a réalisé performances et installations, films et pièces et créé son propre vocabulaire. On la connaît notamment pour son spectacle Reconstitution : le procès de Bobigny, créé en 2019 avec Maya Boquet où les spectateurs déambulaient de point en point pour entendre l’un des douze témoins qu’elles étaient allées interroger. Elle a présenté en 2021 au T2G de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne Les Océanographes puis en 2022 Rituel 5 : La Mort dans le cadre des Talents Adami et Playlist Politique où l’ironie et la parodie sont au rendez-vous.

Brigitte Rémer, le 12 décembre 2022

Avec : Anne Steffens et Manuel Vallade – avec la participation des choristes amateurs de la Queerale, sous la direction de Julie Furton : Lucie Broussin, Xavier Cartiaux, Jasmin Cichoki, Alex Cloos, Roxane Darlot-Harel, Marianne Garaicoechea, Maurane Guillemoto, Sophie Hebrard, Nicolas Hug, Jeanne Jeannot, Vic Krass, Oualid Latreche, Sarah Maeght, Ayefemi Mehou-Loko, Hugo Poindron, Sable Prost, Jonathan Rocheteau, Sylvère Santin, Charlie Trévu, Johan Tyszler, Anaïs Van Den Bussche, Vincent Vanel, Manon Vaux – création vidéo Gabrielle Stemmer – dramaturgie Simon Hatab – collaboration à l’écriture Sarah Maeght – régie lumière Clarisse Bernez-Cambot Labarta, en alternance avec Lucien Prunenec – régie vidéo et son Romain Vuillet – régie générale Jérémie Sananes – stagiaire à la mise en scène Elina Martinez.

Du 25 novembre au 7 décembre – Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. 75011. Paris – tél. : 01 43 57 42 14 – site : www.theatre-bastille.com En tournée : Points communs/Théâtre 95, Du ma 7 au jeu. 9 février 2023.