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Le Testament de Marie

© Ruth Walz

Création en coproduction Comédie-Française, Odéon-Théâtre de l’Europe. Texte de Colm Tóibín – mise en scène Deborah Warner – avec Dominique Blanc, de la Comédie-Française

C’est une image de paradis terrestre où se consument de nombreuses bougies, qui saisit le spectateur entrant dans le théâtre. Invité à monter sur le plateau avant le début du spectacle, il peut constater le miracle de l’apparition. Car l’apparition est, en la personne de l’actrice Dominique Blanc incarnant une image de la Vierge Marie digne des plus pures représentations saint-sulpiciennes et jouant avec les codes. Dans une magnifique robe rouge sang, elle divague dans cette scénographie, belle et baroque. Puis elle se place dans une structure de verre, met un voile bleu et prend la pause. Les spectateurs vont et viennent autour d’elle, comme s’ils se promenaient dans une exposition. Un olivier déraciné et suspendu dans les cintres le long d’un arbre mort, élancé et privé de ses branches qui ressemble à un mât, est signe d’inquiétude. Dans ce prologue magnétique se trouvent aussi un oiseleur et son rapace, quelques objets du quotidien, un robinet d’eau.

Le cliché de Marie s’arrête là, ce qui suit est le contraire d’une théâtralisation sophistiquée : le récit de la Passion nous est fait, porté par une femme humble et ordinaire en jean et tee-shirt, qui accomplit dans la maison les travaux de tous les jours et souffre dans sa chair, comme toute mère parlant de ses enfants. Dominique Blanc, éblouissante et modeste, livre ses confidences avec justesse et précision, comme des évidences. Elle s’appelle Marie. Elle est fragile et forte. Elle a vu son fils mourir, supplicié sur la croix, puis ressusciter. Les mots de l’auteur Irlandais Colm Tóibín sont simples, ils parlent d’humanité et de vérité. Auteur de neuf romans et de deux recueils de nouvelles, son œuvre est traduite dans une trentaine de langues, dont en français. Ce texte, Le Testament de Marie, fut nommé en 2013 aux Tony Awards dans la catégorie Meilleure pièce.

La metteuse en scène Deborah Warner adapte son style aux textes qu’elle monte et passe du spectacle shakespearien à l’opéra ou au solo, avec la même intelligence et la même précision. Elle a créé à l’Odéon King Lear de Shakespeare en 1990 et Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen en 1997 où Dominique Blanc interprétait magnifiquement le rôle de Nora. Elle présenta en 2013 à Broadway, puis au Barbican de Londres Le Testament de Marie, avec l’actrice Fiona Shaw. Dans sa simplicité, le spectacle reste théâtral, à la lisière de la technicité du conteur et de l’apostrophe au public. Le spectateur reconstitue le puzzle du récit et s’enfonce dans l’histoire ré-écoutée, petit à petit. Marie refait le parcours à l’envers et veut comprendre ce qui a mené son fils à cette mise en croix, avant de ressusciter. Il s’entourait d’une drôle de bande, dit elle. Elle parle des miracles, de la résurrection de Lazare, du malade à qui l’on dit « lève-toi et marche », des noces de Cana. C’est une femme, une mère qui parle, avec l’extrême douleur des clous qu’on enfonce et qui déchirent son cœur, avec la souffrance d’un fils, humain trop humain, qui n’a rien de désincarné. Un moment théâtral dépouillé, de grande intensité.

Brigitte Rémer, le 12 mai 2017

Traduction française Anna Gibson – scénographie originale Tom Pyecollaboration à la scénographie Justin Nardella – lumière Jean Kalman costumes Chloé Obolensky  – musique, son Mel Mercier – assistante mise en scène Alison Hornus

Du 5 mai au 3 juin 2017 – Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon. 75006, métro : Odéon. Tél. : 01 44 85 40 40 – Site : www.theatre-odeon.eu