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La Mouette

© Simon Gosselin

D’après Anton Tchekhov – traduction Olivier Cadiot – mise en scène Cyril Teste – collectif MxM – à la MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis/Bobigny.

Sur un grand écran partagé et au cœur du sujet, l’image d’un lac qui trouble et qui inquiète, tout près de la maison de Sorine. Le maître des lieux, ancien haut fonctionnaire dont la santé se dégrade, est accompagné du docteur Dorn pour veiller sur lui. C’est là que se déroule l’action et que la famille se regroupe. La tonalité est donnée par ces images sombres et romantiques comme le Lac de Lamartine dont les derniers mots pourraient convenir à Tchekhov : « Ils ont aimé. » Car derrière les rideaux d’images s’expriment les passions, et se jouent drames et psychodrames. Konstantin Tréplev, dit Kostia, jeune écrivain, est amoureux de Nina qui se destine à être actrice et qui s’amourache du célèbre écrivain Trigorine. Arkadina son amante, actrice très en vogue, est la mère de Kostia. D’un autre côté, l’instituteur, Medvédenko, amoureux de Macha fille de l’intendant de la propriété éprise du jeune Kostia, se fait éconduire.

Les méditations poétiques de Cyril Teste passent par la traduction d’Olivier Cadiot et la performance filmique, dans une libre adaptation de La Mouette, pièce la plus autobiographique de Tchekhov, écrite en 1896. Olivier Cadiot décale la syntaxe, classique et précieuse, en un langage du présent et du quotidien. La langue est fluide. Quelques extraits de la correspondance et des nouvelles d’Anton Tchekhov complètent le texte. Désenchantement et mélancolie sont au rendez-vous, même si la pièce est classée comme Comédie par son auteur. On entre dans l’intériorité émotionnelle et les tourments de personnages qui se cherchent et sont en quête d’amour. Mais la pièce parle aussi d’art, par l’écriture et le théâtre autour de deux écrivains, Trigorine plutôt blasé et Kostia, en devenir, et de deux actrices, Arkadina sûre de son talent et Nina, aspirante comédienne.

La pièce débute avec la présentation au cercle familial de la première pièce écrite par le jeune Kostia. C’est pour Nina, jeune femme dont il est follement épris, qu’il l’a écrite, et pour sa mère, Arkadina, actrice reconnue, qu’il la présente avec fierté. « On ne peut pas se passer de théâtre… » dit-elle. Mais le rendez-vous tourne court devant les remarques désobligeantes et plaisanteries déplacées qu’elle lance, jetant son fils dans une colère noire et dans la détresse. Nina revient, danse, lui, passe, un fusil à la main et lui fait un étrange cadeau « J’ai tué une mouette ! » dit-il en la lui offrant. À la recherche d’inspiration, Trigorine pense en faire le sujet d’une nouvelle histoire à écrire. Nina l’admire et le questionne sur son métier. « Si j’étais une actrice… » soupire-elle… Son attirance pour lui se précise. Dans ce climat tendu, Arkadina décide d’écourter leur séjour dans la propriété de son frère et de partir à Moscou sur le champ : « Partons ensemble, et maintenant… » dit-elle à Trigorine, avant de se rétracter. Les personnages consolident leurs relations secrètes. Nina envoie des messages codés à l’écrivain et lui fait savoir qu’elle part, elle aussi, à Moscou, apprendre le théâtre. On retrouve Kostia, malheureux d’être mal aimé par sa mère qui ne semble pas croire en son talent aveuglée qu’elle est par le sien, et malheureux de son amour fou pour Nina, sans réciprocité. Il porte un bandage à la tête, suite à une probable tentative de suicide. Une scène d’une grande violence entre Arkadina et son fils achève de détériorer leurs relations.

Deux ans plus tard, à l’acte IV, on apprend que Macha a finalement épousé Medvédenko et qu’un enfant est né de leur union, mais que Macha, restée la même, ne l’aime pas. Les personnages échangent sur ce qui s’est passé au cours des deux années écoulées : Nina et Trigorine ont vécu un temps ensemble, à Moscou. Ils ont eu un enfant, mort en bas âge, puis Trigorine l’a lâchée, il est retourné auprès d’Arkadina. « Tu m’appartiens » lui avait-elle dit. Nina comme actrice n’a jamais connu de véritable succès. Kostia a publié plusieurs nouvelles et commence à être connu mais déprime toujours. Sorine ne se déplace qu’en fauteuil roulant, sa santé décline et il est en fin de vie, Arkadina est venue l’assister dans ses derniers jours. Nina apparaît et parle à Kostia de sa vie au cours des deux dernières années. Il l’implore de rester mais elle n’entend pas, prête à poursuivre sa vie qu’elle juge désormais maudite, et repart. Au fond du gouffre, Kostia déchire son manuscrit et quitte la pièce. Alors qu’une partie de loto est en cours dans la maison, un coup de feu retentit. Le suicide est accompli.

Dans la lecture de mise en scène que présente Cyril Teste et le collectif MxM, quatre cameramen sont en action sur le plateau et transforment l’acte théâtral en vision cinématographique, fiction, images démultipliées, gros plans. Le passage de l’un à l’autre se fait avec subtilité, les langages deviennent complémentaires et le plateau/atelier de travail mêle le réel, le théâtre et le cinéma. Écrans et panneaux blancs, faisant fonction d’écran, se démultiplient comme autant de tiroirs secrets manipulés par les acteurs. Derrière ces écrans se déroule l’action, rapportée par l’œil des caméras. Ici, les très gros plans sont significatifs.

L’écriture théâtrale qui s’invente sous nos yeux, appuyée sur un dispositif ciné-matographique est soumise à une charte précise qu’énonce le collectif en une sorte de manifeste : « La performance filmique est une forme théâtrale, performative et cinématographique. Elle doit être tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public. Elle peut se tourner en décors naturels ou sur un plateau de théâtre, de tournage. Elle doit être issue d’un texte théâtral, ou d’une adaptation libre d’un texte théâtral. La musique et le son doivent être mixés en temps réel. La performance filmique Les images préenregistrées ne doivent pas dépasser 5 minutes et sont uniquement utilisées pour des raisons pratiques à la performance filmique. Le temps du film correspond au temps du tournage. »

Depuis 20 ans, le Collectif MxM, impulsé par Cyril Teste – qui, avant de se consacrer au théâtre s’est intéressé aux arts plastiques – le compositeur Nihil Bordures et le créateur lumière Julien Boizard, développe ces recherches. Depuis 2011, ils travaillent sur ce concept de performance filmique : tournage, montage, étalonnage et mixage en temps réel sous le regard du public. Ils en ont présenté trois : Patio, d’après On n’est pas là pour disparaître de Olivia Rosenthal en 2011 ; Nobody, partition pour performance filmique d’après l’œuvre de l’auteur allemand Falk Richter en 2012 ; Festen, plongée virtuose dans le film de Thomas Vinterberg, en 2017.

Ici le transdisciplinaire sert magnifiquement le spectacle. Acteurs et équipes techniques sont à féliciter.

Brigitte Rémer le 30 juin 2021

Avec : Vincent Berger (Trigorine), Olivia Corsini (Arkadina), Katia Ferreira (Macha), Mathias Labelle (Kostia), Liza Lapert (Nina), Xavier Maly (Sorine), Pierre Timaitre (Medwenko), Gérald Weingand (Dorn).

Collaboration artistique Christophe Gaultier et Marion Pellissier – assistanat à la mise en scène Céline Gaudier – dramaturgie Leila Adham – scénographie Valérie Grall – création lumière Julien Boizard – création vidéo Mehdi Toutain-Lopez – images originales Nicolas Doremus et Christophe Gaultier – création vidéos en images de synthèse Hugo Arcier – musique originale Nihil Bordures – ingénieur du son Thibault Lamy – costumes Katia Ferreira assistée de Coline Dervieux – direction technique Julien Boizard – régie générale Simon André – régie plateau Guillaume Allory, Simon André, Frédéric Plou ou Flora Villalard – régie lumière Julien Boizard ou Nicolas Joubert – régie son Nihil Bordures, Thibault Lamy ou Mathieu Plantevin – régie vidéo Baptiste Klein, Claire Roygnan, ou Mehdi Toutain-Lopez – cadreurs opérateurs Nicolas Doremus, Christophe Gaultier, Marine Cerles ou Paul Poncet – décors Artum Atelier – Les images sont assemblées et diffusées avec le media server Smode. Cetaines images sont extraites de De rerum Natura. Création prévue en novembre 2020, reportée en juin 2021 – Avec la Fondation d’entreprise Hermès, dans le cadre de son programme New Settings.

Du 25 au 30 juin à la MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis/Bobigny, 9 boulevard Lénine. 93000 Bobigny. Métro ligne 5, station Bobigny Pablo-Picasso – tél. : 01 41 60 72 72 – site : www.mc93.com – Une longue tournée en France est prévue en 2021/2022.