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La Mort de Tintagiles

© Frédéric Cussey

Pièce de Maurice Maeterlinck – mise en scène Géraldine Martineau – composition musicale Simon Dalmais – Théâtre de la Tempête/Cartoucherie de Vincennes.

Ecrite en 1894, La Mort de Tintagiles est le troisième des Petits drames pour marionnettes de Maurice Maeterlink, dramaturge belge francophone, après Intérieur et Alladine et Palomides. La pièce est peu montée, Claude Régy l’a présentée en 1996 ; plus récemment Denis Podalydès en a donné sa vision, aux Bouffes du Nord, en 2015. Géraldine Martineau met aujourd’hui en scène la pièce, avec sobriété et sensibilité. Point de marionnettes ici mais un univers outre-noir qui s’inscrit entre le rêve, le fantastique et l’onirique. Le destin et la mort en sont la clé de voûte. La mort figure dès le titre de la pièce, elle est inéluctable, et Tintagiles avance vers son destin.

Quand sa sœur Yglaine, le voit soudainement rentrer, dans ce château glacé et hanté qu’elle habite avec sa sœur Bellangère, toutes deux recluses, elle craint le pire et redouble d’attention. La Reine qui les garde en otage, plus marâtre et sorcière que Reine, a secrètement orchestré ce retour, et la mort semble proche. La pièce est ce moment délicieux des retrouvailles et de la vigilance qui s’organise par l’énergie d’Yglaine et de sa sœur pour protéger Tintagiles ; de la montée de la tension et de l’angoisse, et de cette marche vers l’acte ultime, avec, en coulisses, les préparatifs d’une mort annoncée. On entend, de loin en loin, les chuchotements de femmes qui complotent et préparent le grand cérémonial. Et Yglaine le sait : « Ta première nuit sera mauvaise, Tintagiles. La mer hurle déjà autour de nous ; et les arbres se plaignent. Il est tard. La lune est sur le point de se coucher derrière les peupliers qui étouffent le palais… » dit-elle, cherchant à contredire le destin.

Le rôle de Tintagiles, plein de douceur et d’innocence, est tenu avec justesse par Sylvain Dieuaide, ce n’est pas simple pour l’acteur. Sans le jouer, il livre ici dans une délicate palette, ses sentiments tendres à l’égard d’Yglaine qui le protège, ses peurs et son incompréhension de la situation. Ophélia Kolb est Yglaine, celle qui se bat vaillamment pour déjouer le destin, le rôle est linéaire mais l’actrice s’en sort bien. « Mets tes petits bras là, tout autour de mon cou ; on ne pourra peut-être pas les dénouer » dit-elle à Tintagiles, elle est comme une lumière. Sa sœur, Bellangère, Agathe L’Huillier, l’épaule, comme elle peut. Leurs regards sur la vie et la mort, et sur la profondeur des sentiments, font penser aux héroïnes claudéliennes. Le vieux serviteur, resté fidèle et qui les accompagne, Aglovale, est interprété par Evelyne Istria, une belle idée.

L’obscurité envahit petit à petit le plateau jusqu’à l’appel final et aux dernières tentatives d’Yglaine de sauver son frère. Le dispositif scénique, simple et efficace, la montre au premier étage de la tour parlant à Tintagiles et tentant de le rassurer. Une porte les sépare et le silence s’installe. Il est déjà de l’autre côté du miroir, là où la Mort, maîtresse des lieux, vient le cueillir, ordre suprême d’une figure totem maléfique, qui jamais ne se montre.

Ce conte initiatique de Maeterlinck est noir. Il exige la pénombre et Géraldine Martineau joue bien de cette obscurité calculée et des brouillards autour du palais isolé, lieu de tous les dangers. Une grande poésie et de la nostalgie s’en dégagent. Derrière la bande son, les chants du répertoire flamand interprétés a capella par les acteurs ou accompagnés à l’harmonium par Sylvain Dieuaide/Tintagiles confirment le mystère et les battements de l’âme. Un beau travail d’ensemble pour traduire cette petite musique de nuit.

Brigitte Rémer, le 25 septembre 2017

Avec : Sylvain Dieuaide, Tintagiles – Evelyne Istria, Aglovale – Ophélia Kolb, Ygraine – Agathe L’Huillier, Bellangère – et les voix de Anne Benoit, Christiane Cohendy, Claude Degliame – composition musicale, Simon Dalmais – scénographie, Salma Bordes – lumières, Laurence Magnée – son, François Vatin – assistante à la mise en scène, Emma Santini – Compagnie Atypiques Utopies.

Théâtre de la Tempête/ Cartoucherie de Vincennes. Route du Champ-de-Manœuvre. 75012 Paris – www.la-tempete.fr Tél. 01 43 28 36 36. Accès métro ligne 1 jusqu’au terminus Château de Vincennes (sortie 6) puis bus 112 ou navette Cartoucherie.