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Dissection d’une chute de neige

© Simon Gosselin

Pièce de Sara Stridsberg – traduction du suédois Marianne Ségol-Samoy – mise en scène Christophe Rauck – au Théâtre Nanterre-Amandiers.

« Le temps est éternel, un non-temps. Peut-être le présent, peut-être est-ce un conte ou peut-être un siècle passé, froid et violent. » Ainsi s’ouvre Dissection d’une chute de neige qui nous place face à la Fille Roi et dans le vif de son combat : échapper au mariage – qui signifie enfantement – mariage imposé par Le Pouvoir, personnage cynique. Nous sommes dans un paysage de neige, représenté par un tapis de plumes qui volent au vent, dans un espace contraint, une cage de verre où se passe l’essentiel de l’action sous une lumière crue (magnifique scénographie d’Alain Lagarde et lumières d’Olivier Oudiou). Il règne un vent de folie et la Fille Roi (Marie-Sophie Ferdane) a un tout autre programme. Femme-enfant, elle est en même temps écrivaine, passionnée d’art et de lettres, fantasque et déterminée à brûler sa vie comme elle l’entend.

Nous la suivons, au long du spectacle, anticonformiste et refusant les normes imposées, dans cet autre programme, celui de la résistance à l’autorité et de la conquête de sa liberté, de cœur et de corps. La pièce s’inspire de l’histoire de la reine Christine de Suède (1626/1689), enfant unique du roi Gustave II Adolphe tué au champ de bataille en 1632, qui l’avait élevée comme un garçon pour lui permettre l’accès au trône. Elle y accède à l’âge de six ans et devient Roi de Suède, donc Fille Roi. Elle porte les armes et doit déjouer les plans de vie qu’on fait pour elle. « A l’âge de six ans ce petit être de sexe féminin, ressemblant fort à un prince, est devenu le souverain de ce pauvre royaume enseveli sous la neige » raconte le philosophe qui devise avec elle sur le pouvoir, les lignées et sur ses choix de vie (Habib Dembélé).

Le Roi mort son père, la hante, l’auteure le fait revenir sur scène à diverses reprises, (Thierry Bosc) ils rejouent l’enfance et il lui prodigue des conseils. À la question qu’elle lui pose : « Qu’est-ce que je suis, Père ? » Il répond : « Vous n’êtes pas une femme. Il n’y a rien chez vous qui ressemble à une femme. Vous êtes vous-même. Vous, personne ne peut vous faire fléchir. » Et elle reprend : « Transformez-moi, Père, transformez-moi en un beau jeune homme. Changez-moi en ce que j’aurais dû être. » De son côté la mère, Maria Eleonora, étrangère dans le Royaume n’avait qu’une hâte, le quitter, (Murielle Colvez) abandonnant sa fille. Née après trois garçons morts à la naissance, la Fille Roi n’était pas la bienvenue. « Je souhaitais une épouse dotée de l’obscurité scandinave et de la luminosité européenne. Je suis revenu avec une femme désagréable. Un chat sauvage, une tigresse » confesse le Roi mort. De retour au Royaume, la mère croise à peine sa fille qui l’invite à repartir : « Vous détestez être ici. Vous haïssez ce pays. Et moi je m’en sortirai. Partez avant qu’ils ne reviennent. »

Dans ce tourbillon de la vie où la Fille Roi n’est pas vraiment libre de ses mouvements, elle décline les avances de l’amoureux transi qui lui était destiné depuis l’enfance, Love (Emmanuel Noblet) et qui, au final, l’implore : « Revenez sur votre décision » et charge : « Vous êtes un monstre. » la Fille Roi s’amourache de Belle (Ludmilla Makowski), en une passion-folie réciproque, aussi destructrice que le reste du paysage. Elle veut entendre d’elle son histoire : « Parlez-moi du Roi et de sa fille » avant de lui avouer : « Vous toucher, c’était comme toucher une étoile » tout en se jouant cruellement d’elle, la mariant de force, pour l’éloigner : « D’abord vous brisez mon cœur et maintenant vous voulez le récupérer ? » répond Belle. A la fin, la Fille Roi a abandonné la couronne et fait le bilan de sa vie et de ses échecs, en un monologue où elle se qualifie de Roi de Rien. Le Royaume s’effondre, elle déserte et part pour pour l’Italie. Dans l’histoire, Christine de Suède abdiquera à vingt-huit ans avant de se convertir au catholicisme, comble de provocation, et de quitter définitivement son pays.

L’écriture de Sara Stridsberg est belle, sensible et imaginative, elle est poésie sur un sujet qui ne nous accable pas d’histoire mais, par la métaphore, parle d’humanité. L’auteure brosse un superbe portrait de l’énergique et audacieuse Fille Roi, coincée dans les rouages d’un pouvoir qu’elle n’a pas choisi et avec lequel elle joue. Le pouvoir au féminin n’est pas une mince affaire au XVIIème siècle et la question du genre non plus. La pièce, entre hier et aujourd’hui, pose avec subtilité la question de la féminité et du féminisme, de l’identité. Christophe Rauck la met en scène avec talent. Il a fait ses débuts au Théâtre du Soleil puis créé sa première compagnie en 1995. A partir de 2003 il dirige plusieurs grands établissements culturels et monte Beaumarchais, Brecht, De Vos, Gogol, Marivaux, Ostrovski, Schwartz, Shakespeare et d’autres. Il obtient le Prix Georges Lerminier du Syndicat de la critique en 2016, pour Figaro divorce d’Odön von Horvath, meilleur spectacle créé en province. Invité au Festival d’Avignon 2018 avec les jeunes acteurs de l’École du Nord, Christophe Rauck y présente une adaptation de Le Pays lointain, de Jean-Luc Lagarce. C’est la deuxième pièce de Sara Stridsberg qu’il monte. En janvier 2020 il avait mis en scène La Faculté des rêves – pièce qui parle aussi de combat féministe et d’engagement artistique – au Théâtre du Nord qu’il a dirigé jusqu’en décembre de la même année, avant d’être nommé directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers depuis janvier 2021, pièce qui sera reprise en mars/avril 2022, dans ce même théâtre.

Christophe Rauck est un remarquable directeur d’acteurs et tous sont à leur place dans cet étrange ballet autour de deux femmes, même si, le soir où j’ai vu le spectacle, Le Pouvoir, sorte de donneur d’ordre à la Cour, Olivier Werner, brochure à la main, remplaçait au pied levé Christophe Grégoire. Marie-Sophie Ferdane et Ludmilla Makowski sont éblouissantes et apportent un trouble certain, celui de leur relation, Fille Roi pour la première, Belle pour la seconde. La générosité de leur jeu réchauffe l’atmosphère glacée, comme la didascalie qui ouvre le spectacle le décrit : « Fleuves figés, oiseaux qui meurent de froid en plein vol et qui tombent du ciel… » Un spectacle intime et onirique, rigoureux et lumineux, sur un destin de femme.

Brigitte Rémer, le 20 décembre 2021

Avec : Thierry Bosc (le Roi Mort), Murielle Colvez (Maria Eleonora), Habib Dembélé (le Philosophe), Marie-Sophie Ferdane (la Fille Roi), Ludmilla Makowski (Belle), Christophe Grégoire remplacé par Olivier Werner (le Pouvoir), Emmanuel Noblet (Love). Dramaturgie Lucas Samain – scénographie Alain Lagarde – lumières Olivier Oudiou – son Xavier Jacquot – costumes Fanny Brouste, assistée de Peggy Sturm – vidéo Pierre Martin – coiffure et maquillage Férouz Zaafour – masques Judith Dubois. La pièce est publiée chez L’Arche éditeur, agence théâtrale.

Du 25 novembre au 18 décembre 2021, au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso. 92022 Nanterre Cedex – tél. : 01 46 14 70 00 – site : www.nanterre-amandiers.com En tournée : 18 au 19 novembre 2021, théâtre de Caen – 25 mars au 1er avril 2022, théâtre National Populaire, Villeurbanne.

Amphitryon

© Larissa Guerassimtchouk

Texte de Molière – Mise en scène Christophe Rauck – avec les comédiens de l’Atelier-Théâtre Piotr Fomenko (Moscou) – Spectacle en russe surtitré en français.

Issus du GITIS – Académie russe des arts du théâtre à Moscou – les huit acteurs d’Amphitryon ont été formés par le grand pédagogue et metteur en scène Piotr Fomenko à la fin des années 80. Dans la dynamique de leur période estudiantine, en 1993, ils se regroupent pour former l’Atelier-Théâtre avec et autour du maître, présentent plusieurs spectacles qu’il a mis en scène dont Loups et Brebis d’Alexandre Ostrovski au Festival d’Avignon en 1997, et Guerre et Paix au Festival d’Automne en 2002. Les Fomenkis comme on les appelle, forment l’épine dorsale de cette célèbre troupe de l’Atelier-Théâtre Fomenko, haut lieu du théâtre russe composé de cinquante-deux comédiens, six metteurs en scène et trente-quatre spectacles à l’affiche.

Christophe Rauck – actuellement directeur du Théâtre du Nord à Lille après avoir dirigé le TGP de Saint-Denis, de 2008 à 2013 – rencontre Piotr Fomenko en 2007, puis en 2010, lors de ses tournées en Russie avec Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, qu’il avait monté à la Comédie Française. Le metteur en scène-directeur russe l’invite à travailler avec ses acteurs de l’Atelier-Théâtre et à élaborer un spectacle, c’est la première fois qu’il introduit un metteur en scène étranger. A sa disparition, en 2012, son successeur, Evgueni Kamenkovitch, reprend l’idée d’un projet commun. Amphitryon est choisi et voit le jour, en langue russe. Le spectacle est créé le 31 janvier 2017 à Moscou, à l’Atelier-Théâtre sur la rive de la Moskova, puis joué à Lille au Théâtre du Nord avant d’être présenté au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Tout le travail est passé par le filtre de la traduction.

Amphitryon est une comédie en trois actes et en vers, s’inspirant fortement de l’Amphitryon de Plaute. C’est une pièce sur le pouvoir, le choix est judicieux car Fomenko dans son pays avait entretenu des rapports difficiles avec les institutions. Molière l’écrit en 1667 après le scandale de Tartuffe en sa seconde version, suivi de l’obligation de fermer son théâtre. Amphitryon est représenté en janvier 1668 et met en scène Jupiter, vraisemblable métaphore du Roi-soleil. Molière y tient le rôle de Sosie. La pièce débute par un Prologue au cours duquel Mercure demande à la Nuit de retarder l’arrivée de l’aurore. Jupiter en effet est épris d’une « terrienne », Alcmène, épouse d’Amphitryon parti faire la guerre, et s’apprête, en revêtant les traits de l’époux, à descendre sur terre séduire la belle. Mercure l’accompagne et se métamorphose en Sosie, valet d’Amphitryon. Le plan diabolique se met en place et Jupiter, sous les traits d’Amphitryon, se glisse dans le lit d’Alcmène. S’ensuivent quiproquos et fâcheries, scènes de ménage et ruptures, jusqu’au dévoilement par Jupiter-Amphitryon lui-même secondé de Mercure-Sosie, du subterfuge. Du ciel où il est remonté, Jupiter fait savoir à Amphitryon que de son union avec Alcmène va naître un fils, Hercule.

Pouvoir, humour, fantaisie et romantisme sont les mots clés de cette pièce d’ombre et de lumière, en même temps que trahison, jalousie et manipulation. La scénographie est belle et sert remarquablement le propos de dédoublement des personnages et de duplicité, elle est signée d’Aurélie Thomas. Un immense miroir suspendu dans les airs témoigne des intrigues et énigmes, reflète et démultiplie les personnages sous les lumières d’Olivier Oudiou. La scène aux dix chandeliers est particulièrement réussie. Le Prologue se passe dans les hauteurs près des cintres, sur une élégante passerelle où Jupiter rencontre la Nuit, tous deux de blanc vêtus. Les acteurs sont exceptionnels, se jouant des personnages tout en les jouant et épousant avec une apparente facilité les méandres des alexandrins et octosyllabes de Molière, traduits. Dans le jeu du dédoublement des personnages, Jupiter ne ressemble pas à Amphitryon et pourtant se fait passer pour, et Mercure ne ressemble en rien à Sosie auquel il se substitue. Dans le prolongement de ces jeux en miroir, Christophe Rauck souligne la gémellarité en distribuant côté femmes deux sœurs jumelles pour l’interprétation d’Alcmène et de Cléanthis, sa suivante et épouse de Sosie. Si le jeu des doubles est écrit par Molière en ce qui concerne les hommes, le dédoublement côté femmes est imaginé par le metteur en scène, et cela crée encore plus de trouble et d’illusion. Entre dérision, désirs, vertige et déraison, les personnages se perdent et perdent les spectateurs, de ciel à terre.

Le directeur du Théâtre du Nord non seulement met en scène Amphitryon dans la langue de Molière traduite mais il mêle dans ce projet d’échanges avec la Russie un volet pédagogique, offrant l’opportunité de fructueuses interactions entre les élèves de l’Ecole du Nord à Lille et ceux du GITIS à Moscou. Beauté, intelligence et professionnalisme servent la rencontre entre des acteurs de haut niveau et un talentueux metteur en scène. Le plaisir du jeu est communicatif et ouvre sur le plaisir de théâtre.

Brigitte Rémer, le 30 mai 2017

Avec : Ksenia Koutepova (Alcmène) – Polina Koutepova (La Nuit, et Cléanthis) – Karen Badalov (Sosie) – Andrei Kazakov (Amphitryon) – Oleg Lioubimov (Naucratès) – Vladimir Toptsov (Jupiter) – Ivan Verkhovykh (Mercure) – Roustem Youskaïev (Argatiphontidas). Dramaturgie et assistanat à la mise en scène Leslie Six – scénographie Aurélie Thomas – création lumière Olivier Oudiou – création sonore Xavier Jacquot – costumes Coralie Sanvoisin – Production Théâtre-Atelier de Piotr Fomenko Coproduction et production déléguée de la tournée française Théâtre du Nord / CDN – Lille-Tourcoing – Région Hauts de France Avec le soutien de L’Institut Français dans le cadre de son programme Théâtre Export et de l’Institut français de Russie.

Du 20 au 24 mai 2017, au Théâtre Gérard Philipe-CDN de Saint-Denis, 59 Bd Jules Guesde, 93207 Saint-Denis Cedex. Métro : Saint-Denis Basilique. Tél. : 01 48 13 70 00

Figaro divorce

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Texte Ödon Von Horváth – Texte français Henri Christophe et Louis Le Goeffic – Mise en scène Christophe Rauck – Vu au Monfort/Paris.

Figaro divorce date de 1936, deux ans avant la mort d’Horváth à Paris, écrasé par la chute d’une branche d’arbre arrachée par la tempête, en sortant du Théâtre Marigny. Il n’a que trente-sept ans et a déjà obtenu le Prix Kleist, la plus haute récompense allemande pour Légendes de la forêt viennoise. Fils d’un diplomate de l’empire austro-hongrois, né en Croatie et de nationalité hongroise, il fut ballotté entre Belgrade, Budapest, Bratislava, Vienne et Munich et écrivait en langue allemande. Il fut contraint à l’exil pour fuir la répression nationale-socialiste qui avait interdit ses œuvres et avait pour projet d’émigrer aux Etats-Unis.

A travers la vingtaine de pièces qu’il a écrites – parmi les plus connues en France Casimir et Caroline ; L’amour, la foi, l’espérance ; Don Juan revient de guerre ; Légendes de la forêt viennoise – et ses trois romans – Jeunesse sans Dieu ; Un fils de notre temps ; l’Eternel Petit-bourgeois – Horváth s’intéresse aux gens de la rue et à l’aspect populaire des lieux qu’il traverse et qu’il réinterprète : « Dans toutes mes pièces, je n’ai rien embelli, rien enlaidi. J’ai tenté d’affronter sans égards la bêtise et le mensonge ; cette brutalité représente peut-être l’aspect le plus noble de la tâche d’un homme de lettres qui se plaît à croire parfois qu’il écrit pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes » disait-il.

Dans Figaro divorce, Horváth part de la fin du Mariage de Figaro de Beaumarchais, comédie en cinq actes écrite en 1778 et jouée en 1784 après plusieurs années de censure, et mélange les temps. « Comme souvent chez Horváth, c’est une comédie douce-amère pleine d’ombre et de mélancolie » dit le metteur en scène. Le spectacle débute au moment de l’assassinat du roi – on ne sait lequel – avec la fuite du Comte Almaviva et de la Comtesse, accompagnée de Suzanne la camériste et de Figaro son époux, valet du Comte. Les personnages du Mariage de Figaro, sont au complet, on retrouvera plus tard Fanchette et Chérubin en action.

Sur un plateau vide et coulisses à vue, un jeu d’écran double pour images filmées en direct, affiche les acteurs en gros plans. Le spectacle s’écrit en séquences. Les personnages issus du Mariage avancent avec difficulté et divaguent, en pleine campagne et dans la nuit noire, sans repères, dans l’espoir de passer la frontière. On aperçoit à l’horizon un cerf, symbole de l’aristocratie. Plan suivant, le bureau des gardes-frontières qui se vantent d’avoir pris dans leurs filets de « gros poissons » et commencent leurs interrogatoires, à la manière d’un test d’immigration. Figaro se dévoile. Identité : enfant trouvé. Epuisée et malade suite à cette longue marche, sauvée in extrémis, la comtesse part en sanatorium. Les séquences se succèdent. On retrouve le couple Almaviva dans une station huppée de sports d’hiver, la comtesse fait du patin à glaces – des images s’inscrivent sur l’écran. Figaro et Suzanne portent gros pull et après-skis. Ils espèrent rentrer un jour chez eux, quand le politique sera calmé… « Un monde s’est effondré » dit-on. Très vite, Figaro se sent captif au service des Almaviva en exil et décide de reprendre son destin en mains. Il fait le projet de devenir coiffeur barbier, métier qu’il avait exercé auparavant. Suzanne n’est pas du même avis et pense qu’il déraisonne.

On retrouve le couple Suzanne Figaro dans le salon de coiffure où ils se sont installés. Dans le petit bourg de Grand-Bisbille, en Bavière, tout le monde se connaît et s’apprécie, mais on sait leur rappeler qu’ils restent des émigrés. Ragots et malveillances se cachent derrière les sourires et il devient compliqué de démêler ce qui est vrai de ce qui est faux. Suzanne s’ennuie et échange des lettres avec la Comtesse. Les relations du couple s’enveniment et Suzanne est mise sur la touche. Elle signe son infidélité. A la clé, la question de l’enfant qu’elle souhaiterait avoir mais que Figaro lui refuse et la stratégie de la doctoresse, comme un coup d’épée dans l’eau. La Saint-Sylvestre est une fête avortée malgré lumières et décorations qui scellent la séparation du couple.

Quelque temps plus tard, on retrouve Suzanne travaillant comme gouvernante au service de Chérubin, tout en restant secrètement amoureuse de Figaro. Almaviva réapparaît de son côté et confesse, après la mort de la Comtesse, avoir travaillé dans l’immobilier, et avoir séjourné en prison, pour malversations. Autre rebondissement, le retour de Figaro engagé comme intendant du domaine qui était propriété du Comte. Il est question d’une lettre qu’il aurait adressée à Suzanne, disant que le monde était bien gris, sans elle. Et la boucle se referme avec un retour au pays, dans les mêmes conditions qu’à l’aller – nuit noire et perte de repères – A l’arrivée, Suzanne joue le grand jeu de la distance avec son Figaro, et le Comte demande à son valet, désormais intendant du domaine, s’il peut rentrer chez lui, dans sa propriété, et dormir dans sa chambre. Suzanne enfin tombe dans les bras de Figaro, le nouveau maître des lieux.

La pièce d’Horváth est tendre et pétulante et remet en cause la relation maître-valet, les situations y sont à la fois graves et cocasses, avec la Révolution Française et la Première Guerre mondiale pour toile de fond, dans un contexte de pays déstructurés et de frontières approximatives. On ne se situe réellement ni dans le temps ni dans l’espace, les références viennent de divers univers. Christophe Rauck – directeur du Théâtre du Nord CDN Lille Tourcoing où fut créé le spectacle en mars 2016 – avait présenté en 2007 Le Mariage de Figaro à la Comédie Française. Il mène de mains de maître Figaro divorce, donne sa lecture des clivages et de la tension des rapports sociaux, dirige les acteurs avec précision et intelligence. Le spectacle est aussi musical et chanté, magnifiquement porté par toute la troupe. Il vient d’obtenir le Prix Georges-Lerminier de la critique.

Brigitte Rémer, 20 juin 2016

Avec : John Arnold, Figaro –  Caroline Chaniolleau, la Comtesse – Marc Chouppart, un garde frontière et le jardinier – Jean-Claude Durand, le Comte Almaviva – Cécile Garcia Fogel, Suzanne – Flore Lefebvre des Noëttes, un médecin – Guillaume Lévêque, un officier, le garde forestier – Jean- François Lombard, Chérubin – Nathalie Morazin Fanchette et la pianiste – Pierre-Henri Puente, Pédrille – Marc Susini, un garde frontière, un professeur. Dramaturgie Leslie Six – scénographie Aurélie Thomas – costumes Coralie Sanvoisin – son David Geffard – lumière Olivier Oudiou – conseiller musical Jérôme Correas – vidéo Kristelle Paré.

Du 26 mai au 11 juin au Monfort, 106 rue Brancion. 75015. Tél. : 01 56 08 33 88.  Site : www.lemonfort.fr – www.theatredunord.fr