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Peer Gynt

© Arnaud Bertereau

Texte Henrik Ibsen – Traduction François Regnault – Adaptation et mise en scène David Bobée/CDN Normandie-Rouen – Créé en janvier 2018 au Grand T de Nantes.

Ce poème dramatique norvégien en cinq actes d’Ibsen, publié en 1867 et représenté pour la première fois à Oslo en 1876, contient pas moins d’une cinquantaine de personnages. C’est dire la difficulté de le monter et la nécessité de l’élaguer. Au début de la pièce, Peer Gynt est un tout jeune homme, il nous mène, dans ses errances, jusqu’à la vieillesse et la solitude absolue. Fou de liberté, il parcourt le monde et le défie, taille sa vie fantasmée à coups de mensonges et de rêves, rate ce qu’il entreprend. Sa course folle tient de la fuite et du parcours initiatique et la chute n’est jamais loin de l’envol, dans sa quête d’identité il tient de l’albatros. Ceux qui le croisent n’en sortent pas indemnes : il perturbe la fête au village, viole la mariée, s’enfuit, séduit la fille du roi des montagnes qui l’entraîne dans le monde des trolls, leur vend son âme puis tente de se désister, s’enfuit à nouveau.

Derrière ses vagabondages qui célèbrent la vie, deux femmes illuminent son parcours : Ase, sa mère, avec laquelle il célèbre ses retrouvailles dans une petite roulotte, elle qui le connaît si bien dans ses affabulations et qui oscille entre surprotection et colère, lui qui l’accompagnera tendrement jusqu’à la mort ; Solveig – qui signifie le chemin du soleil – dont il tombe éperdument amoureux et qu’il retrouvera à l’approche de la mort, trop occupé par les affaires extraordinaires qu’il essaye de faire. Car il a de l’ambition et rêve de reconnaissance.

Après la mort de sa mère en un moment très émouvant où il lui fait croire qu’ils chevauchent ensemble dans la voie lactée, en route vers Saint-Pierre, après un saut dans le temps, on retrouve Peer Gynt loin de la Norvège, marchand d’esclaves à la tête d’une fructueuse affaire au Maroc. Comme toujours l’affaire tourne court et ses rencontres sont autant de mises à l’épreuve. Son partenaire le dévalise et le bateau plein de ses richesses sombre en mer, lors d’un retour qu’il souhaitait triomphal. Une série de péripéties s’en suivent. On le retrouve en Arabie où sa dernière conquête, Anitra, lui dérobe ses derniers biens puis en Egypte où il est sacré empereur des fous, dans un asile. Sur le vaisseau du retour au pays il subit encore toutes sortes d’inquiétudes par ses aventures, notamment avec un mystérieux fondeur de boutons-sorte d’alchimiste, avant de retrouver Solveig et de mourir entre ses mains : « Ton voyage est fini, Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur. »

Dans une scénographie monumentale sur le thème de la fête foraine constituée de passerelles modulables manipulées à vue par les acteurs, toujours tous présents sur scène, ces échafaudages magnifiquement éclairés deviennent montagnes, forêts, navires et équipages. David Bobée conçoit lui-même ses dispositifs scéniques et élabore à partir de là, dramaturgie et théâtralité. Fondateur de la compagnie Rictus et metteur en scène depuis 1999 après des études de cinéma et de théâtre, il dirige depuis 2013 le Centre dramatique national de Normandie-Rouen. Il a mis en scène entre autre Lucrèce Borgia en 2014, puis La Vie est un Songe en 2017 en Tunisie et vient de monter un premier opéra, The Rake’s Progress de Stravinsky.

L’excellent travail qu’il propose à travers la fable et cette figure mythique qu’est Peer Gynt, pièce emblématique d’Ibsen, lui permet de poursuivre ses expérimentations même si les moyens et les plateaux ont changé d’échelle. Il mêle théâtre, danse, musiques, lumières et tout ce qui fait spectacle, avec brio et sensibilité, accompagné d’acteurs qui servent avec justesse ce monde fantasmé et poétique venu du grand nord scandinave. Et il renvoie à la question pour le moins troublante et qui nous concerne tous : qu’est-ce qu’être au monde?

Brigitte Rémer, le 9 février 2018

Avec Clémence Ardoin, Jérôme Bidaux, Pierre Cartonnet, Amira Chebli, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal, Grégori Miège, Marius Moguiba – dramaturgie Catherine Dewitt – assistante à la mise en scène Sophie Colleu – scénographie David Bobée et Aurélie Lemaignen – composition et interprétation musicale Butch McKoy – création lumière Stéphane Babi Aubert – création son Jean-Noël Françoise – costume Pascale Barré – construction de la structure du décor par les ateliers du Grand T, théâtre de Loire- Atlantique – toiles peintes par les ateliers de l’Opéra de Limoges – construction des éléments mobiles Richard Rewers

Du 25 janvier au 4 février 2018, Les Gémeaux Scène Nationale de Sceaux, 49, av Georges Clé­men­ceau – RER B : Bourg-la-Reine et 5 mn à pieds – tél. : 01 46 61 36 67 – Site : www.​lesgemeaux.​com – En tournée : les 8 et 9 février 2018 au Théâtre des Salins, Martigues – vendredi 16 février à L’Avant-Scène, Colombes – 21 et 22 février à la Scène Nationale 61, Flers – 8 et 9 mars au Carré Colonne, Saint-Médard-en-Jalles – 20 et 21 mars 2018 à La Passerelle, Saint-Brieuc – 19 avril aux Scènes du Golfe, Vannes.