Archives par étiquette : CCN de Grenoble

R-A-U-X-A

Conception, chorégraphie et interprétation Aina Alegre / CCN de Grenoble & Studio Fictif – Musique live Josep Tutusaus – à Chaillot / Théâtre national de la danse.

© Guillaume Fraysse

Elle avait présenté R-A-U-X-A, une pièce en solo créée en 2020, en novembre dernier au Carreau du Temple avant de la danser à Chaillot. Chorégraphe, danseuse et performeuse, Aina Alegre allie grâce et puissance dans sa recherche de gravité. Elle imprime avec obsession l’espace, de ses bras, mains, pieds cambrures, sauts et rotations, ciselés par la lumière (création lumière Jan Fedinger)

La danseuse-chorégraphe métamorphose l’espace scénographique (conçu par James Brandily) qui devient comme liquide, et travaille sur la mémoire archaïque et archéologique. Elle martèle le sol avec lequel elle entretient un rapport organique et répond aux sons électro-acoustiques par ses vibrations, maîtrisant magnifiquement l’art du geste, simple et sophistiqué.

© Guillaume Fraysse

Avec elle on pénètre l’intime et la métaphore, le récit et l’abstraction. On tangue et on s’étourdit, on derwiche et on architecture, on s’élève entre ciel et terre sur une musique modulaire que rien n’arrête (musique live Josep Tutusaus). On est dans l’immersion et le cosmos, dans la tradition et la fiction. Aina Alegre pose un geste artistique avec détermination, travaille dans l’intensité et distille la beauté, là où danse, son et lumière s’interpénètrent.

La danseuse-chorégraphe codirige le Centre chorégraphique national de Grenoble avec Yannick Hugron, depuis 2023. Après une formation multidisciplinaire mêlant la danse, le théâtre et la musique, à Barcelone où elle est née, elle intègre le CNDC d’Angers en 2007 sous la direction d’Emmanuelle Huynh, co-signe le duo Speed en 2009 puis la pièce No se trata de un desnudo mitologico en 2012 d’abord créée sous forme de performance. Elle fonde à Paris la compagnie Studio Fictif en 2014 et crée de nombreuses autres pièces. Elle collabore également, comme interprète, avec des chorégraphes et metteurs en scène comme Vincent Thomasset, Betty Tchomanga, Vincent Macaigne et bien d’autres.

Parallèlement à ses créations, Aina Alegre s’intéresse à l’anthropologie du geste et mène un travail de recherche autour des notions de mémoire et d’archive qui traversent l’ensemble de son travail, rencontre des personnes et des territoires et collecte des récits et des danses liés à la gestuelle du martèlement, son axe de travail. « Si différents soient les spectacles que je crée, je poursuis une obsession pour les corps qui martèlent, qui se mettent en rythme et qui cherchent à révéler la part invisible du mouvement » nous donne-t-elle comme clé de lecture.

Brigitte Rémer le 15 juin 2025

© Guillaume Fraysse

Conception, chorégraphie et interprétation Aina Alegre – musique live Josep Tutusaus – lumière Jan Fedinger – conception espace James Brandily – costumes Andrea Otin – conseil artistique et dramaturgique Quim Bigas – régie générale et son Guillaume Olmeta – conseil sur le mouvement Elsa Dumontel, Mathieu Burner – stagiaire, Capucine Intrup – diffusion Damien Valette, Colette Siri – production Studio Fictif – production déléguée Centre chorégraphique national de Grenoble.

Vu le 22 mai 2025 à Chaillot / Théâtre national de la danse / Salle Firmin Gémier, 1 place du Trocadéro. 75116. Paris – métro : Trocadéro – site : theatre-chaillot.fr

Scala

© Géraldine Aresteanu

Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois –  à La Scala / Paris.

L’ai-je bien descendu ? L’escalier central du dispositif imaginé par Yoann Bourgeois, pour sa troupe a marqué la réouverture de la salle parisienne, Scala, à la programmation ouverte et éclectique et qui a inspiré le metteur en scène pour le titre de son spectacle.

Célèbre café-concert au début du XXe siècle, cinéma reconstruit à l’italienne après sa destruction dans l’entre-deux guerres à la manière du modèle milanais, temple du porno dans les années soixante-dix, la Scala est aujourd’hui « théâtre d’art privé d’intérêt public » à l’initiative de Mélanie et Frédéric Biessy.

Acrobate, jongleur et danseur, Yoann Bourgeois a mis en scène et en espace depuis 2010 une douzaine de spectacles comme Cavale et Les Fugues, Celui qui tombe ou Les Passants. Il co-dirige avec Rachid Ouramdane le Centre chorégraphique national de Grenoble, une première pour un artiste de cirque. Il présente aujourd’hui Scala avec sept danseurs-acrobates et fait tourner son poétique manège sur le déséquilibre, la chute, la suspension, l’illusion et la disparition avec une grande vitalité et virtuosité. Le grand escalier s’inscrit dans une scénographie pleine de cachettes, de toboggans et trampolines. Une histoire envolée se construit. Cela commence par des trous dans lesquels les danseurs-acrobates disparaissent un à un, où les cadres tombent et les portes grincent, où se démultiplient les personnages comme autant de sosies – quatre hommes en jeans et chemises à carreaux, deux femmes en shorts et tee-shirts – où les chaises sont truquées, où les meubles s’écroulent et se redressent. Mirage, génie du mirage… Yoann Bourgeois dit s’être inspiré des wakouwas, ces petits animaux de bois qui, d’un petit coup de poussoir se désarticulent, gisent et se relèvent.

Il se joue mille et une aventures sur le plateau de la Scala où les corps roulent comme l’eau en cascades descendant l’escalier, où se désynchronisent et se désarticulent de singuliers duos et trios, où de subtils mouvements collectifs, nous conduisent petit à petit dans le monde des morts-vivants. Un environnement animal rampant, des mouvements incessants et lancinants qui font penser aux travailleurs d’une mine d’or repartant inlassablement à l’assaut de leur montagne, ou à l’univers de la cave musicale et solidaire du Roi et l’Oiseau. Les lits sont truqués, la bande son joue entre le grésillement des criquets et les bruits d’usine, elle nourrit l’imagination. Hommes et femmes s’abattent comme des aigles et sont catapultés jusqu’au ciel. Ils sont virtuoses dans leur art.

Le spectacle débute dans l’insouciance du burlesque et la légèreté, puis la tension monte et l’horizon se charge. La construction dramaturgique nous conduit au gris- bleu nuit du trouble profond. C’est talentueux et magnifique, c’est inscrit dans le lieu, c’est la gravité même, tête en bas.

 Brigitte Rémer, le 3 novembre 2018

Avec : Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard, Lucas Struna – lumières Jérémie Cusenier – costumes Sigolène Petey – son Antoine Garry – conception et réalisation de machineries Yves Bouche – conseil scénographique Bénédicte Jolys – collaboration artistique Yurie Tsugawa.

La Scala/Paris, 13 bd de Strasbourg, 75010. Paris. Métro : Strasbourg-Saint-Denis. Jusqu’au 24 octobre 2018, puis en tournée – Tél. : 01 40 03 44 30 – www.lascala-paris.com – www.ccn2.fr