Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois – à La Scala / Paris.
L’ai-je bien descendu ? L’escalier central du dispositif imaginé par Yoann Bourgeois, pour sa troupe a marqué la réouverture de la salle parisienne, Scala, à la programmation ouverte et éclectique et qui a inspiré le metteur en scène pour le titre de son spectacle.
Célèbre café-concert au début du XXe siècle, cinéma reconstruit à l’italienne après sa destruction dans l’entre-deux guerres à la manière du modèle milanais, temple du porno dans les années soixante-dix, la Scala est aujourd’hui « théâtre d’art privé d’intérêt public » à l’initiative de Mélanie et Frédéric Biessy.
Acrobate, jongleur et danseur, Yoann Bourgeois a mis en scène et en espace depuis 2010 une douzaine de spectacles comme Cavale et Les Fugues, Celui qui tombe ou Les Passants. Il co-dirige avec Rachid Ouramdane le Centre chorégraphique national de Grenoble, une première pour un artiste de cirque. Il présente aujourd’hui Scala avec sept danseurs-acrobates et fait tourner son poétique manège sur le déséquilibre, la chute, la suspension, l’illusion et la disparition avec une grande vitalité et virtuosité. Le grand escalier s’inscrit dans une scénographie pleine de cachettes, de toboggans et trampolines. Une histoire envolée se construit. Cela commence par des trous dans lesquels les danseurs-acrobates disparaissent un à un, où les cadres tombent et les portes grincent, où se démultiplient les personnages comme autant de sosies – quatre hommes en jeans et chemises à carreaux, deux femmes en shorts et tee-shirts – où les chaises sont truquées, où les meubles s’écroulent et se redressent. Mirage, génie du mirage… Yoann Bourgeois dit s’être inspiré des wakouwas, ces petits animaux de bois qui, d’un petit coup de poussoir se désarticulent, gisent et se relèvent.
Il se joue mille et une aventures sur le plateau de la Scala où les corps roulent comme l’eau en cascades descendant l’escalier, où se désynchronisent et se désarticulent de singuliers duos et trios, où de subtils mouvements collectifs, nous conduisent petit à petit dans le monde des morts-vivants. Un environnement animal rampant, des mouvements incessants et lancinants qui font penser aux travailleurs d’une mine d’or repartant inlassablement à l’assaut de leur montagne, ou à l’univers de la cave musicale et solidaire du Roi et l’Oiseau. Les lits sont truqués, la bande son joue entre le grésillement des criquets et les bruits d’usine, elle nourrit l’imagination. Hommes et femmes s’abattent comme des aigles et sont catapultés jusqu’au ciel. Ils sont virtuoses dans leur art.
Le spectacle débute dans l’insouciance du burlesque et la légèreté, puis la tension monte et l’horizon se charge. La construction dramaturgique nous conduit au gris- bleu nuit du trouble profond. C’est talentueux et magnifique, c’est inscrit dans le lieu, c’est la gravité même, tête en bas.
Brigitte Rémer, le 3 novembre 2018
Avec : Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard, Lucas Struna – lumières Jérémie Cusenier – costumes Sigolène Petey – son Antoine Garry – conception et réalisation de machineries Yves Bouche – conseil scénographique Bénédicte Jolys – collaboration artistique Yurie Tsugawa.
La Scala/Paris, 13 bd de Strasbourg, 75010. Paris. Métro : Strasbourg-Saint-Denis. Jusqu’au 24 octobre 2018, puis en tournée – Tél. : 01 40 03 44 30 – www.lascala-paris.com – www.ccn2.fr
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