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Trois solos, aux « Plateaux »

Trois solos proposés le 28 septembre au Théâtre Jean Vilar de Vitry lors de la 26éme édition des Plateaux, plateforme internationale de danse programmée par La Briqueterie, Centre de développement chorégraphique national du Val-de-Marne : bang bang de Manuel Roque, Oh ! rage de Calixto Neto et NoirBlue d’Ana Pi.

A l’initiative de Daniel Favier, directeur de La Briqueterie, Les Plateaux proposent quatre jours d’échanges et de diffusion de la jeune création internationale en danse, cette année sous le concept de Visions élargies. Du solo aux pièces de groupe, danseurs et chorégraphes venant d’Australie, du Canada, du Brésil, d’Espagne et de France partagent leur perception du monde.

Dans le cadre des partenariats développés par La Briqueterie, le Théâtre Jean Vilar de Vitry son voisin, lui ouvre ses portes et son plateau, une belle surface carrée, dépouillée. Les danseurs y présentent leur solo, construisant leurs chemins singuliers loin des stéréotypes. Chacun, dans son espace et avec sa propre inventivité, propose un langage sonore construit, un environnement lumières élaboré, un style proche de la performance ou de l’installation si l’on fait référence aux arts visuels. Répétition et récurrence, concentration, accentuation et obstination, sont leurs points communs.

Manuel Roque, danseur et chorégraphe découvert par l’équipe de La Briqueterie en 2015 avec Matière Noire, pièce présentée dans le cadre du projet canadien/européen Migrant Bodies interprète son solo, bang bang. Formé aux arts du cirque et du théâtre à Montréal, avant d’aborder la danse et de travailler avec différents chorégraphes phares de la scène québécoise – dont Marie Chouinard, Sylvain Émard et Daniel Léveillé, il trace son propre parcours chorégraphique depuis plus d’une huitaine d’années. Bang bang fut créé au laboratoire Les Subsistances, à Lyon, en 2017. Manuel Roque a obtenu pour cette pièce comme meilleure œuvre chorégraphique de la saison (2016-2017) le Prix du Conseil des arts et des lettres du Québec ainsi que le Prix de la danse de Montréal, en catégorie Interprète (2017). La percussion ébranle le plateau de manière lancinante, avant même que le danseur apparaisse. Manuel Roque débute de manière mécanique, comme la presse d’une usine de construction automobile, répétant inlassablement le même geste, insistant, dérangeant. Il frappe le sol du pied dans toutes ses déclinaisons, avec détermination. Puis il s’anime, s’élève, dessine sur le sol par les pieds et les jambes en action, ses chemins de traverse, avec habileté, vélocité, virtuosité. Il disparait dans les brumes, dans la nuit, se métamorphose et devient animal, sorte d’iguane face à la lumière, son ombre projetée au mur. Le danseur s’est lancé des défis, posé des limites, donné des règles. Ancré au sol il change de parcours et transgresse les repères, va au-delà, jusqu’à l’absurde. Sa concentration et sa gravité, le dépassement de soi, obligent au respect. Avec obstination il travaille sur la répétition.

Le second solo, Oh ! rage, est chorégraphié et dansé par Calixto Neto. Le danseur a étudié le théâtre à l’université Fédérale de Pernambuco au Brésil, puis a commencé à danser à l’âge de vingt ans avec le Groupe Expérimental de Danse de Recife. De 2007 à 2013, il est avec la compagnie Lia Rodrigues et tourne au Brésil et en Europe. De 2013 à 2015 il crée le solo Petites explosions et le duo Pipoca, avec Bruno Freire dans le cadre de son Master d’études chorégraphiques/ formation Ex.e.r.ce. au CCN de Montpellier-Languedoc Roussillon. Il a depuis participé à la création de And we are not at the same place avec Aria Boumpaki, Noga Golan et Pauline Brun, pièce présentée au Festival d’Épidaure et à celle de la pièce Giovanni’s Club du chorégraphe Claudio Bernardo. Pour Oh ! rage, Calixto Neto a tracé au sol d’un trait rouge un parallélépipède et joue sur le dedans/dehors, passant les frontières avec un grand naturel. Il s’intéresse aux danses dites périphériques et travaille dans le discontinu. Il danse longtemps de dos. Pour lui qui construit sur et à partir de l’altérité, du croisement des cultures, des mouvements Afropunk, c’est un acte de résistance. Il joue de plusieurs styles à travers la célébration, la protestation, la révolte. L’œuvre de Gayatri Chakravorty Spivak, théoricienne de la littérature et critique littéraire indienne, l’inspire, notamment avec son ouvrage : les subalternes peuvent-elles parler, un des textes de la critique contemporaine et des études postcoloniales, très discuté, très polémique. Calixto Neto s’en empare et pose la question qu’il traduit par : Les subalternes peuvent-ils/elles enfin danser ?

Le troisième solo présenté, dans une chorégraphie et une interprétation d’Ana Pi, NoirBlue, décline la couleur bleue à la manière de Michel Pastoureau analyste des couleurs, quand il travaille sur le Bleu, histoire d’une couleur. Elle passe, sur un mode ludique, du bleu au noir, et du bleu émerge la danse noire. Diplômée de l’École de Danse de l’Université Fédérale de Bahia au Brésil, Ana Pi étudie la danse et l’image au Centre chorégraphique national de Montpellier sous la direction de Mathilde Monnier, dans le cadre de la formation Ex.e.r.ce. Performeuse, elle travaille sur les danses urbaines et présente une conférence dansée, Le Tour du Monde des Danses Urbaines en dix villes, avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Elle est interprète dans les créations de ces deux chorégraphes : Twerk et Dub Love, ainsi que pour Malika Djardi, Yves-Noel Genod, Mark Tompkins et Eric Mihn Cuong Castaing. Ana Pi commence au sol par des rotations et ondulations de pieds, chaussures cerclées d’un bleu fluo qui écrivent dans le noir. Elle se meut ensuite dans des fonds sous-marins, sirène parmi les murènes avant d’égrener avec le public toutes les nuances de bleu qu’elle symbolise, bleu après bleu, par une pastille collée sur la peau, bras, jambes, buste : bleu de cobalt, marine, outremer, ciel, pétrole etc. Quand la lumière tombe on repère sa gestuelle par ces petites pastilles fluorescentes. Puis elle souffle sur une poudre de pigment bleu, joue d’une longue natte de cette même couleur, met un disque vinyle noir posé sur un coin de pick-up. Ana Pi joue entre apparition et disparition, présence et absence, clin d’œil et réflexion. Son écriture chorégraphique est un syncrétisme entre danse traditionnelle, populaire et danse contemporaine.

Entre le spectacle d’ouverture, Opus, de Christos Papadopoulos, première pièce de la sélection « Aerowaves », suivie de Wreck, Scarabeo et Forecasting et celui de clôture, Molar de Quim Bigas Bassart, Les Plateaux présentent, cette année encore, beaucoup de jeunes artistes qui rivalisent en discours chorégraphiques, parcours et créativité, dans une poétique invitation au voyage.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2018

. Bang bang – création 2017 – 50 min, Québec – chorégraphie et interprétation Manuel Roque – répétitrices et
 conseillères artistiques Sophie Corriveau, Lucie Vigneault – dramaturgie Peter James – costumes et scénographie Marilène Bastien – lumières Marc Parent – trame sonore Manuel Roque incluant des extraits de Debussy, Chopin, Merzbow, 2001 Space Odyssey et Tarkowky.

. Oh ! rage – création 2018 – 40 min, Brésil – chorégraphie et interprétation Calixto Neto – lumières Eduardo Abdala – création sonore 
Charlotte Boisselier – regards extérieurs 
Carolina Campos, Isabela Fernandes Santana, Marcelo Sena.

. NoirBlue – création 2017- 50 min, France – Corpo & Imagens – chorégraphie, dramaturgie, costumes, objets et interprétation 
Ana Pi – musique originale Jideh High Elements – lumières Jean-Marc Ségalen – conseillers
 Taata Mutá Imê, Samuel Mwamé, Besrekè Ahou, Ousmane Baba Sy.

Les Plateaux : du 26 au 29 septembre 2018 – La Briqueterie
CDCN du Val-de-Marne 17 rue Robert Degert, Les Malassis. 
94407 Vitry-sur-Seine – Site : www. alabriqueterie.com – Tél. : + 33 (0 )1 46 86 17 61.