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Portrait de Rita

Texte et mise en scène de Laurène Marx, compagnie Hande Kader – jeu Bwanga Pilipili – à partir des entretiens réalisés avec Rita Nkat Bayang par Laurène Marx et Bwanga Pilipili – création à Théâtre Ouvert, dans le cadre du Festival d’Automne.

© Pauline Le Goff

L’actrice s’avance, dans une robe très élégante sur fond de fleurs et d’orangé, face au micro posé sur pied au centre de l’avant-scène. Elle commence son récit. Pas d’images, pas de déplacements, tout est dans le poids des mots. Et le poids des mots est lourd. C’est une histoire de racisme et de violence qui nous est livrée, partant de la vraie vie, de la vie de Rita Nkat Bayang.

L’école appelle Rita, mère d’un jeune garçon de neuf ans, Mathis, et la somme de venir le chercher, immédiatement. Rita se précipite dans un taxi sans même prendre le temps de s’habiller ni sans savoir pourquoi, son sang ne fait qu’un tour. La panique redouble quand les policiers la rappellent pour qu’elle se présente sur-le-champ, à l’école. Le taxi est bloqué elle ne peut faire plus vite. Arrivée en trombe on la mène devant son fils, plaqué au sol, maintenu par le genou d’un policier appelé par la directrice. Quel crime a commis l’enfant ? Il a juste répondu aux insultes racistes d’un camarade qui le traitait de chocolat et de sale nègre, mais une fois de trop, c’est trop !

© Christophe Raynaud de Lage

L’actrice remonte le temps pour suivre le fil rouge de l’histoire de Rita, Camerounaise, pleine d’énergie dans la vingtaine, jusqu’à ce que les amis de son père l’approchent d’un peu trop près. Elle s’est remise dans les mains de Dieu. On la suit dans les messages qu’elle échange avec un certain Christian, en Belgique, au départ marié, puis divorcé. Elle demande l’amitié il la persuade de venir en Belgique et de l’épouser, elle finit par y aller, plutôt à reculons, il trouve les arguments avec sa « sociabilité de blanc. »

La tragédie commence. Direction un petit bled frigorifié dans les fins fonds de derrière Charleroi, la jungle pour elle et le froid, la fille facile qu’on attrape comme un objet, le racisme familial, épouvantablement raciste. L’agent de mairie exhibe son trophée comme aux pires temps coloniaux, « T’es MA femme… » Il lui a trouvé du boulot : femme à tout faire auprès de la belle-mère, c’est gratos. La dégradation est au summum, la bêtise ambiante décuplée, comme la souffrance de Rita, qui s’enfonce, et qui s’enfonce d’autant qu’elle est très vite enceinte et donc piégée, incapable de partir. « Vous avez tout quitté alors il faut rester… » Lui, cogne et multiplie les coups quand elle se refuse, déversant toute sa rancœur de la vie et ses frustrations.

On la place pour la protéger, dans une petite maison « sans tapis et sans nappe » au bout de la nuit, une autre nuit. Rita attend que sa fille naisse. Les temps et les lieux se télescopent. On repart vers Mathis qui aurait lancé un parpaing sur celui qui l’insultait. Et Rita se remémore la naissance de ce premier enfant, la crèche où elle avait bien remarqué que les enfants à la peau blanche recevaient des câlins contrairement au sien qu’on posait au sol sans trop de précaution ni d’attention. Toutes les violences se mêlent, l’intime, celle vécue par l’enfant, et celle de Belgique, celle de la police qui maintient Mathis au sol. « Les larmes sont comme des fleuves… »

© Christophe Raynaud de Lage

Bwanga Pilipili est magnifique dans sa narration, qui se termine par un brin d’optimisme : « Il faut que le jour se lève…» Le texte de Laurène Marx est cru, ciselé et rythmé pour témoigner d’une vie pleine d’obstacles et de chagrins. C’est un brûlot dénonçant le racisme et sa bêtise brute, les injustices, le manque de considération, l’exclusion. Le théâtre est pour elle une tribune politique qui donne la parole à ceux que l’on n’entend pas. De sublimes séquences de blues permettent de reprendre souffle.

Par sa mise en scène, Laurène Marx – qui qualifie son théâtre de stand-up triste – redonne dignité à Rita, tombée dans de mauvaises mains mais qui, riche de ses enfants, est venue sur scène prendre la parole à la fin de la représentation et présenter sa fille de seize ans. On est sonnés de cette rencontre et du courage qu’il faut pour se livrer et faire théâtre de la vie. Car la vie continue, mais il faudrait qu’elle soit douce…

Brigitte Rémer, le 17 septembre 2025

Texte et mise en scène de Laurène Marx – jeu Bwanga Pilipili – à partir des entretiens réalisés avec Rita Nkat Bayang par Laurène Marx et Bwanga Pilipili – lumières Kelig Le Bars – création musicale Maïa Blondeau avec la participation de Nils Rougé – collaboration artistique Jessica Guilloud.

Du 11 au 30 septembre 2025, les lundis, mardis, mercredi à 19h30, les jeudis et vendredi à 20h30, le samedi à 20h – Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta. 75020. Métro : Gambetta, Pelleport, Porte des Lilas – En tournée : 8 et 9 janvier 2026, Les Quinconces, Le Mans – du 20 au 30 janvier 2026, Théâtre National de Strasbourg – 18 février 2026, Université de Lille – du 3 au 21 mars 2026, Théâtre National Wallonie Bruxelles.