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aSH

© Aglaé Bory

Conception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory – chorégraphie Shantala Shivalingappa, percussions Loïc Schild, à La Scala de Paris.

Une énergie cinétique circule entre la danseuse et l’univers visuel dans lequel elle évolue, énergie intérieure et extérieure. Shantala Shivalingappa fait face à un dispositif scénique, espace symbolique à la fois simple et ultra sophistiqué. C’est un « immense châssis de papier kraft suspendu, enduit de laque noire appliquée sur un bâti sonorisé et électrifié » avec lequel elle entre en dialogue, qui bruisse comme une voile au vent.

Dans sa confrontation avec les éléments représentés par l’univers mouvant et illusionniste de ce papier kraft aux froissements sonores, Shantala Shivalingappa mène avec grâce, force et précision son combat, comme David affronte Goliath. Travaillant entre Paris et Madras, elle a rencontré les grands et travaillé entre autres avec Peter Brook, Maurice Béjart, Bartabas, Pina Bausch, Giorgio Barberio Corsetti. Tout en étant contemporain son alphabet puise dans le Kuchipudi où elle excelle, cette danse indienne de l’Andhra Pradesh dans le sud du pays, autrefois uniquement dansée par les brahmanes et très codifiée. Shantala Shivalingappa fait le grand écart entre ce style ancestral, sculptural et sacré, et l’image abstraite sur grand écran, sorte de Krishna profane qui semble l’absorber. « Sa danse effectue un balancier perpétuel quelque part entre mystique hindoue et physique quantique » écrit Aurélien Bory. Partant du commencement, du vide, son art de la gestuelle, ses bras déployés et offrants, ses mudras superbement maîtrisées, sa rythmique des pieds donnée par les tempos du musicien, Loïc Schild, présent sur le plateau côté cour, sont de forme pure. Elle est porteuse d’une charge émotionnelle forte.

Shantala Shivalingappa est la déesse et la servante d’un rituel qu’elle trace au présent, dessine un cercle de bienvenue comme devant l’entrée de la maison. Formé de dessins au sol exécutés traditionnellement à la farine de riz, et maintenant à la chaux, le kolam se transmet de mère en fille, lignes sinueuses blanches au quotidien, sophistiquées et colorées pour la fête. Aurélien Bory s’est emparé des couleurs pour fondre dans son dispositif animé des motifs géométriques aux cercles concentriques, spirales et rosaces très élaborées. « La scénographie est au centre de mon travail, elle fait apparaître dans son rapport à la gravité entre autres, des lois physiques avec lesquelles les interprètes dialoguent » dit le metteur en scène. Lunaire, la création lumière d’Arno Veyrat éclaire subtilement le plateau.

aSH, le titre du spectacle, est composé des initiales et de la finale des prénom et nom de la danseuse, Shantala Shivalingappa, clin d’œil au dieu de la danse, Shiva, à la fois créateur et destructeur, et qui, en grand ordonnateur des lieux de crémation, se couvre le corps de cendres. C’est le troisième portrait de femmes qu’Aurélien Bory dessine de son talent atypique et au croisement des arts, les deux premiers, étaient consacrés à Stéphanie Fuster et Kaori Ito. Avec la première, dans Questcequetudeviens? il faisait fusionner le flamenco et son écriture de l’espace. Avec la seconde, dans Plexus, il tissait une toile de plus de de cinq mille fils suspendus.

Hybride et multidisciplinaire – entre cirque, danse, musique et théâtre – la palette du metteur en scène-plasticien est vaste, il traverse les styles. Son univers s’inspire de l’œuvre du plasticien allemand ­Oskar Schlemmer, de la réflexion d’Heinrich von Kleist Sur le théâtre de marionnettes, de l’univers de Georges Pérec. Il inscrit ses recherches de l’installation à la performance, et transforme les espaces, comme un magicien. Des sciences à l’esthétique, l’environnement scénographique qu’il invente influe sur la danseuse, la danse modifie la perspective visuelle, l’imaginaire du public se déplace.

Avec aSH, présenté au Festival Montpellier-Danse en 2018, l’espace, a valeur de symbole et fonde la dramaturgie. La scénographie comme métaphore de naissance et de mort, la rythmique des percussions, la fluidité des mouvements, sont autant d’éléments qui, mis en synergie, créent de l’inattendu et une véritable poétique.

Brigitte Rémer, le 20 février 2019

Avec Shantala Shivalingappa (danse), Loïc Schild (percussions). Collaboration artistique Taïcyr Fadel – création lumière Arno Veyrat, assisté de Mallory Duhamel- composition musicale Joan Cambon – Conception technique décor Pierre Dequivre, Stéphane Chipeaux-Dardé – costumes Manuela Agnesini, avec l’aide de Nathalie Trouvé – régie générale Arno Veyrat, Thomas Dupeyron, régie plateau Thomas Dupeyron ou Robin Jouanneau – régie son Stéphane Ley – régie lumière Mallory Duhamel ou Thomas Dupeyron – aSH a été présenté au Festival Montpellier-Danse, en 2018.

Du 16 Février au 1er Mars 2019, La Scala-Paris, 13, boulevard de Strasbourg, 75010. Paris – Métro Strasbourg Saint-Denis – Tél. : 01 40 03 44 30 – Site : www.lascalaparis.com – En tournée : 24 mai Théatre de l’Olivier, Istres – 28 et 29 mai Théâtre de Caen.

 

Sans objet

© Aglaé Bory

© Aglaé Bory

Théâtre visuel d’Aurélien Bory, dans le cadre du programme Paris Quartier d’été, au Théâtre de la Cité Internationale.

Multiforme, le travail d’Aurélien Bory côtoie toutes les disciplines entre autre la danse, les arts visuels, le théâtre, le cirque et la musique. Il inscrit la question de l’espace au cœur de sa démarche et crée ses propres scénographies. C’est un agité des sciences et des techniques, ses spectacles sont forcément singuliers et ne se ressemblent jamais. Bory expérimente et emballe sa vision dans une enveloppe poétique, burlesque et dérisoire. Dans Sans objet, la protagoniste est une machine à bras de fer, articulée, ni ange ni bête, plantée là, au milieu du plateau, lourde et gracieuse.

Comme Christo emballait son Pont-Neuf, Bory emballe sa machine infernale, dévoilée par deux acteurs acrobates vêtus de noir, jouant les petits mécanos à la Keaton, et coud l’espace de ses super marionnettes sorties de chez Kleist. Mais la messe est vite dite entre une machine à la mobilité sous contrôle qui mène la danse et règne en maître, et deux petits personnages animés qui tentent le dialogue avec la belle inconnue. David contre Goliath, l’absurde au rendez-vous. « Les acteurs n’avaient qu’une consigne. Être réceptif, passif, se laisser guider, s’accrocher. Ainsi Olivier Alenda et Olivier Boyer ont adapté leur corps à celui du robot… » dit le metteur en scène.

La bâche plastique qui, au début, recouvrait la machine, dans la dernière partie dérobe le premier rôle et brusquement se dresse en rideau de scène. Le premier impact d’une balle comme perdue, tirée du plateau, surprend le spectateur pris pour cible, puis deux puis trois, puis de nombreux impacts viennent faire des trous dans l’emballage, laissant filtrer la lumière comme des étoiles voie lactée ou comme dans les bains maures les faisceaux de lumières venant du plafond.

« Complètement sorti de son contexte industriel, le robot devient inutile. Et dans sa fonction perdue ne nous rappellerait-il pas la nature de l’art : être absolument sans objet ? » dit Aurélien Bory. On s’ennuie quand même un peu car l’incarnation machine et sa mise en contexte sont d’acier trempé. Le débat sur le rôle de l’art reste ouvert.

 Brigitte Rémer

Avec Olivier Alenda et Olivier Boyer – conception, scénographie et mise en scène Aurélien Bory – pilote programmation robot Tristan Baudouin – composition musicale Joan Cambon – Création lumière et régie générale Arno Veyrat – Conseiller artistique Pierre Rigal – assistante à la mise en scène et costumes Sylvie Marcucci – sonorisation Stéphane Ley – décor Pierre Dequivre – accessoire moniteur Frédéric Stoll – patine : Isadora de Ratuld – masques Guillermo Fernandez.

Vu au Théâtre de la Cité Internationale, 17 Boulevard Jourdan. 75014. www.theatredelacite.com et wwww.cie111.com. Paris quartiers d’été 2015.