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Le coeur au bord des lèvres – Asmahan / variation

© Jean-Louis Fernandez

Texte, mise en scène et interprétation Dea Liane, composition musicale, arrangements, interprétation Simon Sieger – à l’Athénée-Louis Jouvet.

C’est l’histoire d’une étoile filante, romanesque à souhait, une femme empreinte de grâce et de liberté, la chanteuse-actrice Asmahan (1917-1944) – dont le nom se traduit par la sublime, en persan – de son vrai nom Amal al-Atrache, Amal signifiant espoir. Son père, Fahd al-Atrache, Syrien, est issu d’une famille royale, le clan druze Al-Atrash Djébel el-Druze qui a lutté contre les armées coloniales françaises en poste en Syrie. Sa mère, Alia, est une princesse libanaise, druze aussi, musicienne, passionnée par les mélodies des années 1930-1960 et les comédies musicales égyptiennes. Pour raisons politiques, la famille se voit contrainte de fuir vers le Liban d’abord puis vers l’Egypte où elle s’installe, au début des années 20.

© Image d’archive

Le destin d’Asmahan est vertigineux. Première légende autour de la figure mythique de la chanteuse : elle serait née sur un bateau, en pleine tempête, entre Izmir et Beyrouth. Autre légende, les conditions très suspectes de sa disparition, à l’âge de vingt-sept ans : sa mort par noyade dans l’eau du Nil où sa voiture sombre – le 14 juillet 1944, jour de l’anniversaire de sa fille – conduite par un chauffeur de remplacement qui s’évanouit dans la nature,. Tragique destin, attentat ou assassinat ? La question reste posée. L’eau est son point de départ, elle sera son point d’arrivée, une voyante le lui avait annoncé quand elle avait quinze ans : « Tu es née dans l’eau, dans l’eau tu périras ».

Superbe femme aux yeux verts, Asmahan en effet pouvait déranger par sa liberté affichée, loin du moule familial et de la culture druze. Tiraillée entre l’orient et l’occident, elle vit à cent à l’heure et jusqu’aux extrêmes avec un certain fatalisme et une dose d’âpreté, et se brûle parfois les ailes. Elle fait plusieurs tentatives de suicide. Audacieuse et fantasque, au plan personnel elle convole en noces à trois ou quatre reprises, aura une fille qu’elle n’élèvera pas, une carrière en discontinue, sera joueuse et séductrice à souhait et même agent secret, entre autres pour le renseignement britannique.

Asmahan a quinze ans quand elle débute sa fulgurante carrière et enregistre chez Columbia, guidée par le compositeur Dawood Hosni, et par Mohamed el-Asabgi qui écrivit principalement pour Oum Kalthoum qu’il accompagna jusqu’à sa mort, en 1966. On place même les deux femmes en rivalité. Asmahan chante entre autres des qasidas, ces poèmes en arabe littéral très répandus également dans le monde perse. On la remarque immédiatement et elle obtient très vite un grand succès pour sa voix, divine, tant dans la texture que dans l’harmonie, et pour sa grande mélancolie.

© Jean-Louis Fernandez

Ses chansons sont issues des deux principaux films dans lesquels elle a tourné : Intisar al-chabab /Victoire de la jeunesse,en 1941, dans lequel Farid el-Atrache, (1910-1974), son frère et grand nom du oud et de la musique classique arabe, signe la bande originale. C’est un peu leur vie qui est racontée à travers l’histoire d’un homme et de sa sœur qui voulaient réussir et qui travaillent dans des cabarets, montrant la vie nocturne de l’époque, au Caire, autour de la rue Emad Eddine. « Comme aux Etats-Unis le cinéma égyptien chanta avant de savoir parler » écrit Frédéric Lagrange, grand spécialiste des musiques d’Egypte, qui ajoute : « C’est le compositeur Zakariyyâ Ahmad qui le premier s’attaquera à la composition de chansons pour le cinéma, dans le premier film parlant produit par l’Égypte en 1932, Unshûdat al-fu’ad/L’Hymne du cœur. » Les chansons sont liées aux intrigues des films de l’époque qui évoquent souvent les amours contrariés. Il n’y a pas d’enregistrement en direct, on est en play-back. Asmahan tourne son second film en 1944, Amour et vengeance, mais elle disparaît avant la fin du tournage. Le réalisateur, Youssef Wahbi achève pourtant le film et en modifie le début, qui devient un flashback sur l’accident.

Plus chanteuse qu’actrice, Asmahan est une image de film à la présence magnétique. Elle chante à l’Opéra Royal mais on n’a aucune trace d’elle sur scène, où elle n’aime pas se produire. De sa toute jeunesse on peut retenir la chanson Aïna el Layali « ma souffrance, ma brûlure, les larmes de mon œil qui sont mêlées de mon sang », plus tard, les chansons Al Touyour mêlant des mélodies occidentales au chant arabe et s’inspirent du tango et de la valse, ou encore Ya habibi Taala elhaani rythmée par les violons et les accordéons : « Viens mon amour, viens voir dans quelle situation je vis quand tu es absent. » Le ton est déchirant : « Ce côté passionnel est lié à ce qui fait un chanteur arabe, le gage de qualité pour pouvoir être considéré comme un grand interprète de musique arabe. Cette capacité à théâtraliser, à communiquer une émotion et la sublimer par la voix » dit Frédéric Lagrange au cours d’une émission à France-Culture, en décembre 2021. Le chant exprime la liberté et les lieux de mémoire sont les lieux de la vie. A travers la voix grave et intense d’Asmahan, se lit sa force autant que sa fragilité.

Le spectacle s’ouvre sur l’éloge du risque et rend compte de ses différentes facettes, symbole de l’Orient moderne. Le récit biographique de Dea Liane, qui a écrit le spectacle et l’interprète, suit les géographies de la chanteuse, entre Syrie et Liban où elle-même est née et a vécu. Elle tire quelques fils de sa propre généalogie en vis-à-vis et très librement dessine sur le plateau les variations de la musique orientale. « En 1999 j’ai neuf ans, c’est la fin de la guerre civile au Liban » raconte-t-elle. La dernière image la montrera en photo sur la corniche de Beyrouth, à cet âge-là. Sur la scène, elle dialogue avec le musicien, Simon Sieger, pianiste, qui entre dans son jeu, donne la réplique, garde des espaces d’improvisation et jouera aussi de l’accordéon et du trombone à un moment du spectacle. L’auteure donne sa vision de la diva disparue, l’actrice l’incarne progressivement. Lors de sa première apparition, elle chante, d’une voix profonde, un voile noir recouvre son visage car dans la tradition druze, même si le voile est blanc, la femme ne se découvre pas. On la retrouve ensuite et à plusieurs reprises en vêtements de ville dans le rôle de la narratrice, fil rouge du spectacle. Quelques images s’affichent sur écran, photos et extraits de films, traces d’un monde disparu, celui de la comédie musicale en Egypte, au début du XXème, sorte de ferment artistique pour le Moyen-Orient et bien au-delà.

© Jean-Louis Fernandez

Dea Liane invente aussi une « fausse vraie interview » d’Asmahan, sorte d’archive reconstituée d’un document abîmé dans laquelle le journaliste est un de ses amis proches (rôle ici tenu par le musicien), référence à l’amitié indéfectible du journaliste et critique musical Mohamed al-Taba’i à son égard. L’actrice ici se maquille et se prépare pour cette interview fictive qu’elle a écrit en français et fait traduire en arabe égyptien – et qui s’inscrit sur écran avec sur-titrages. A la table de maquillage, elle est en peignoir, reprise en gros plan par caméra. Elle se présente : Je suis… Il la présente : Tu es… Et ils se répondent en écho. Plus tard, elle chante et s’accompagne au piano, ils jouent à quatre mains. Lui, porte un tarbouche. A un autre moment, son fauteuil d’abord face au public se tourne. Elle est de dos, à l’Hôtel King David de Jérusalem, une scène qui fait référence à sa face trouble d’agent secret. « Tu dansais avec les officiers britanniques, faisais des transactions avec les nazis… » dit le texte. Le doute plane. A un autre moment, portant une robe argentée, elle chante au son de l’accordéon. Une photo prise avec le général De Gaulle, au Caire, s’affiche à l’écran, à partir d’une véritable archive, Asmahan a réellement rencontré le général. Petit jeu de la vérité entre l’actrice et le musicien : « Syrienne ou Égyptienne, or ou argent, solitaire ou… ? Je viens de nulle part, répond-elle, C’est ici que je me sens bien, au Caire. » Il y a une belle complicité entre l’actrice et le musicien.

Dea Liane explore les identités multiples d’Asmahan, femme solaire et singulière, morcelée et baroque, et donne vie au mythe. L’exercice est assez réussi. Parfois mon cœur est vide et pendant que je chante quelque chose s’allège. Dans la petite salle Christian Bérard de l’Athénée-Louis Jouvet, elle a suspendu des lustres. Côté jardin le piano, côté cour une loge, au centre un micro. On se croirait dans un cabaret. La fin du spectacle ramène à sa disparition, non élucidée, comme si tous avaient évité de savoir. « Mon âme, mon cœur, mon corps, mon esprit et même ma beauté, tu les tiens dans ta main » dit la chanson.

Brigitte Rémer, le 24 février 2023

Interprétation Dea Liane, Simon Sieger – scénographie Salma Bordes, en collaboration avec Marianne Tricot – costumes Anaïs Romand, réalisation costumes Florence Brucon, Pauline Kocher, Milena Sloata – création vidéo François Weber, régie vidéo Lou Zimmer – création et régie lumières Sébastien Lemarchand – traduction en arabe égyptien et voix du Journaliste Georges Daaboul – avec la collaboration artistique de Célie Pauthe. Coproduit par le TNS de Strasbourg, le spectacle a été créé en janvier 2023 au CDN de Besançon. Une tournée est en cours.

Du jeudi 9 au mercredi 22 février 2023, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet. 75009. Paris – métro : Opéra – tél. : 01 53 05 19 19 – site : athenee-theatre.com

La Douleur

© Ros Ribas

Texte Marguerite Duras, mise en scène Patrice Chéreau et Thierry Thieû-Niang – avec Dominique Blanc, sociétaire de la Comédie-Française – Athénée/Théâtre Louis Jouvet.

C’est un texte écrit entre 1946 et 1948, dans le deuxième Cahier de la guerre rédigé par Marguerite Duras et qui ne sera publié qu’en 1985 – l’ensemble de ses Cahiers couvrent les années 1943 à 1949 -. « J’ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château. Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit… » dira-t-elle plus tard.

Robert Antelme son époux, écrivain et résistant, dans le texte Robert L, a été arrêté puis déporté à Dachau en 1944. L’année précédente ils avaient emménagé au 5 rue Saint-Benoît, à Saint-Germain des Prés, leur appartement était alors le quartier général d’intellectuels comme Edgar Morin, Claude Roy, Maurice Nadeau, Dyonis Mascolo, très ami avec Robert Antelme – que Marguerite Duras épousera en 1947 et dont elle aura un enfant. Elle, en l’absence de Robert L, consigne ses émotions, son interminable attente, sa douleur au moment de sa disparition et par petites touches esquisse le chaos de l’époque. À la Libération, les camps se libèrent, petit à petit. Robert Antelme en sort, il est dans un état critique.

L’Athénée remet à l’affiche La Douleur dont Patrice Chéreau, disparu en 2013, avait signé la mise en scène cinq ans auparavant, avec Thierry Thieû-Niang. C’est sous le regard de ce dernier que la vertigineuse Dominique Blanc, qui avait obtenu le Molière de la meilleure comédienne, en 2010 pour ce texte, le reprend. Sociétaire de la Comédie-Française depuis 2016, l’actrice avait auparavant travaillé avec de nombreux grands metteurs en scène entre autres Luc Bondy, Jean-Pierre Vincent, Antoine Vitez, Deborah Warner. C’est en 1981 qu’elle avait rencontré Patrice Chéreau et joué pour la première fois sous sa direction dans Peer Gynt d’Ibsen, avant de tourner dans deux de ses films, La Reine Margot et Ceux qui m’aiment prendront le train. « Je suis née au théâtre en 1981 avec Peer Gynt au TNP de Villeurbanne » dit-elle « huit heures de théâtre et la folie des mots d’Ibsen : être soi ! » En 2003 la Phèdre qu’elle interprète dans la mise en scène de Chéreau fait date.

Dans son préambule à La Douleur, Marguerite Duras écrit : « La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie… » Dominique Blanc nous la fait percevoir avec beaucoup de finesse. Robert L, est absent, l’auteure tourne dans la maison. Elle aime la vie et la vie se suspend. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement. Il sommerait à la porte d’entrée… » L’actrice est assise à la table, son sac sur les genoux, le téléphone tout près d’elle. De l’autre côté, une rangée de chaises. Tout est simple, dépouillé, évident et douloureux, son cœur mis à nu.

Le retour est terrible. « Dans mon souvenir, à un moment donné, les bruits s’éteignent et je le vois. Immense. Devant moi. Je ne le reconnais pas. Il me regarde. Il sourit. Il se laisse regarder. » Le corps doit se remettre en marche. Se réalimenter. Éliminer. « La lutte a commencé très vite avec la mort. » Quelques-unes des pages portées par Dominique Blanc à la fin du spectacle sont rudes, toute la crasse des camps et la noirceur de la situation semblant ressortir par tous les orifices, jusqu’au jour où il put dire enfin : « J’ai faim. » Dominique Blanc restitue un texte en sa plus simple expression, dans toutes les nuances de l’attente, de l’angoisse, de la douleur, de l’espoir et lui donne une grande force. Un magnifique travail !

Brigitte Rémer, le 4 décembre 2022

Sous l’œil de Thierry Thieû-Niang – création et régie lumière Gilles Bottachi – régie générale Paul Besnard – production : Les Visiteurs du Soir – Le texte de Marguerite Duras, La Douleur, est publié chez P.O.L.

Du 23 novembre au 11 décembre 2022 à 20h, dimanche à 16h – Athénée/Théâtre Louis Jouvet, 2/4 square de l’Opéra. 75009. Paris – métro : Opéra, Havre Caumartin – tél. : 01 53 05 19 19 – Site : athenee-theatre.com. En tournée 2022/23 : du 13 au 18 décembre, Théâtre des Bernardines, Marseille – mardi 23 mai 2023 Maison des Arts, Thonon-les-Bains – jeudi 25 mai, Le Mail, Soissons – 30/31 mai La Coursive, La Rochelle – 2/3 juin, Théâtre National de Nice – 6 au 8 juin MC2, Grenoble – mardi 13 juin, Anjou Festival, Angers – vendredi 16 juin, Perugia (IT), Teatro del Umbria, Perugia Festival.

Le voyage de Gulliver

© Fabrice Robin

D’après une libre adaptation du roman de Jonathan Swift par Valérie Lesort – mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq – à l’Athénée Louis Jouvet.

L’essayiste et pamphlétaire de langue anglaise, pasteur anglican et franc-maçon né à Dublin (Irlande), Jonathan Swift (1667-1745), écrit Les voyages (extraordinaires) de Gulliver en 1721. Publiés cinq ans plus tard et d’abord censurés par l’éditeur, ils ne seront publiés dans leur version intégrale qu’en 1735 sous le titre Voyages du capitaine Lemuel Gulliver en divers pays éloignés. Conte philosophique, satire sociale et politique, ces Voyages sont écrits après le krach financier de 1720 qui avait entraîné entre autres l’effondrement des actions de la Compagnie des mers du Sud, toute l’économie du pays était anéantie. La miniaturisation de la richesse en un temps très court lui a probablement donné l’idée des changements d’échelle et de taille, idée sur laquelle repose le premier récit, Le Voyage à Lilliput. Trois autres le complètent : Le Voyage à Brobdingnag, qui à l’inverse représente la cité des géants, Le Voyage à Laputa et Le Voyage au pays des Houyhnhnms. L’œuvre est écrite à la première personne.

Valérie Lesort s’est penchée sur Le Voyage à Lilliput qu’elle a librement adapté. Lemuel Gulliver, médecin de marine, naviguait sur Le Bristol et se retrouve sur l’île de Liliput après un naufrage. Les habitants qu’il y rencontre ne mesurent que six pouces de haut (15 centimètres) et sont en guerre avec ceux de l’île voisine, Blefuscu. Le débat est existentiel : les œufs à la coque doivent-ils s’ouvrir par le bout rond ou de l’autre côté ? Gros-boutistes et Petits-boutistes s’affrontent. Sous la protection des Liliputiens qui l’avaient adopté, Gulliver doit ensuite les fuir et se réfugier à  Blefuscu. Il perd en effet les grâces d’un Empereur tyrannique suite à un complot fomenté par le Grand Amiral et certains ministres lilliputiens. Menacé de mort il se réfugie de l’autre côté, parvient à pacifier les deux parties, avant de retrouver une embarcation pour retourner en Angleterre.

Le traitement scénique du récit mêlant acteur, le grand Gulliver qui est aussi le narrateur, sympathiquement interprété par Renan Carteaux, le seul à taille humaine et les marionnettes, est gai, plein d’humour et enlevé. La prouesse technique repose sur les sept comédiens qui prêtent leur visage à ces petites marionnettes d’environ 50 centimètres, par la magie du théâtre noir. On les découvre au salut, entièrement vêtus de noir. Ils jouent devant un fond noir mettant sur le devant de la scène les marionnettes lumineuses et phosphorescentes tels des personnages qui fendent l’obscurité, ce qui permet des effets visuels assez spectaculaires.

Née dans la Chine ancienne, cette technique était utilisée à la lueur de la bougie pour les divertissements de l’empereur. Le cinéma en ses balbutiements, à la fin du dix-neuvième siècle, s’en est emparé, Méliès en tête. La danseuse américaine Loïe Fuller, à la même époque fut la première à lancer ses voiles vaporeux sur une scène de verre éclairée électriquement par en dessous et à utiliser des projections lumineuses, semblant ainsi danser dans l’espace. Dans les années vingt, Konstantin Stanislavski, par ses expériences scéniques, a redécouvert le cabinet noir des magiciens qui a nourri sa réflexion et son travail théâtral. Il s’en était exprimé dans Ma vie dans l’art. Dans les années 1950, c’est l’artiste avant-gardiste français Georges Lafaye, considéré comme le père du théâtre noir, qui réanime la technique, au moment de l’invention de la lampe à rayons ultraviolets. Le Théâtre Noir de Prague, en Tchécoslovaquie, en a fait son art de vivre et de travailler.

© Fabrice Robin

Avec Le voyage de Gulliver on entre ici dans l’univers du merveilleux et du burlesque par la technique du théâtre noir digne des prestidigitateurs et illusionnistes, et magnifiquement maitrisée. Les petites marionnettes pleines de vie et de couleurs en sont les personnages, extrêmement fluides et pleins d’humour, sortis du castelet et dialoguant avec le grand naufragé. À la fin du spectacle, la danse de l’impératrice Cachaça est craquante et drôle à souhait.

Valérie Lesort et Christian Hecq n’en sont pas à leur coup d’essai. Ensemble ils ont créé 20 000 lieues sous les mers en 2015 avec la troupe de la Comédie-Française, puis Le Domino noir à l’Opéra royal de Wallonie à Liège et à l’Opéra-Comique en 2018, Ercole amante de Cavalli à l’Opéra-Comique en 2019 et La Mouche, au Théâtre des Bouffes du Nord, en 2020. Leur duo est un état de grâce, duo à la ville comme au théâtre, tous deux très talentueux. Elle, metteuse en scène, plasticienne, auteure et comédienne, s’est spécialisée dans la création de masques, d’accessoires, de marionnettes et d’effets spéciaux pour le spectacle vivant notamment avec la compagnie Philippe Genty. Acteur et metteur en scène d’origine belge, lui est acteur et metteur en scène, sociétaire de la Comédie Française depuis 2013, au demeurant possédant un véritable don comique et se retrouvant parfois sur la piste, clown de cirque.

Créé en janvier 2022, Le voyage de Gulliver a obtenu deux Molière, celui du/des Metteur(s) en scène dans un spectacle de Théâtre public et celui de la Création visuelle et sonore. Il peut se lire à différents niveaux et être vu à tout âge, il est enjoué, bon enfant, poétique, riche et plein d’humour. Costumes, décor, musique, interprétation sont justes. Un peu baroque, un peu hétéroclite, un peu naïf, ni trop ni pas assez, c’est un spectacle qui, par son savant équilibre, enchante tout en donnant du grain à moudre.

Brigitte Rémer, le 8 novembre 2022

Avec : Skyresh, Soldat, David Alexis – Cachaça, Soldat blefescudien, Emmanuelle Bougerol/Valérie Lesort – Gulliver, Renan Carteaux – Myéline, Soldat blefescudien, la Reine de Blefescu, Valérie Keruzoré/Caroline Mounier – Le Savant, Soldat, Soldat blefesducien, Thierry Lopez – Soldat, Sollis, Pauline Tricot – Soldat, Cérumen, le Cuisinier, Soldat blefescudien Nicolas Verdier – L’Empereur, Éric Verdin. Assistant à la mise en scène Florimond Plantier – création et réalisation des marionnettes Carole Allemand, Fabienne Tourzi dit Terzi – assistante à la réalisation des marionnettes Louise Digard, Alexandra Leseur-Lecocq – scénographie Audrey Vuong – costumes Vanessa Sannino – lumières Pascal Laajili – musique Mich Ochowiak, Dominique Bataille – accessoires Sophie Coeffic, Juliette Nozières – collaboration artistique Sami Adjali – création maquillage Hugo Bardin.

Du 15 octobre au 5 novembre 2022, l’Athénée Louis Jouvet, 2/4 square de l’Opéra Louis Jouvet. 75009. Paris – tél. : 01 53 05 19 19 – site : athenee-theatre.com – En tournée : 10 novembre 2022 Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine – 24 et 25 novembre, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – 30 novembre au 2 décembre, Théâtre de Cornouaille, scène nationale – 8 et 9 décembre, Espace des Arts, scène nationale de Chalon – 15 et 16 décembre, Le Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon – 7 et 8 janvier 2023, Palais des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique) – 13 et 14 janvier, Le Bateau Feu, Dunkerque –  19 au 22 janvier, Théâtre Montansier, Versailles.