Archives par étiquette : Atelier de Paris CDCN

Une forme brève

© Martin Argyroglo

Chorégraphie et interprétation Rémy Héritier, à l’Atelier de Paris/CDCN.

Le danseur, Rémy Héritier, fait corps avec les pendrillons qui entourent le plateau. Il cherche à s’échapper mais en vain, glisse, tombe, se cache, fait des tentatives, sa main toujours rattrape le velours et ne peut s’en détacher. Au centre un cercle de lumière, sorte d’indice cabalistique, revient à différents moments.

Rémy Héritier dessine son labyrinthe, apparaît et disparaît, s’allonge, ébauche quelques gestes, traces toujours mystérieuses, un rien magiques, puis les efface. Il saisit une barre de métal, sorte de bâton qu’il mêle à sa gestuelle. À l’arrière-plan, côté jardin, une clôture presque invisible selon les éclairages, brouille la perception du spectateur. Plus tard, autre élément de ses installations, un plastique ni opaque ni transparent avec lequel il joue et dont il se pare, comme une âme morte.

Dans Une forme brève, le chorégraphe et danseur présente un flot ininterrompu d’actions, pas toujours décodables, qui se sculptent dans l’espace comme des installations in progress. Il inscrit sa recherche dans un cadre d’art conceptuel, quand les attitudes deviennent formes ou encore dans les zones de sensibilité picturale immatérielle d’Yves Klein. Rémy Héritier donne pour référence Roland Barthes et sa définition de la forme brève sur laquelle le philosophe s’est souvent interrogé, notamment dans La Rhétorique de l’image et Le Degré zéro de l’écriture ou dans les cours qu’il donnait au Collège de France, rassemblés dans La Préparation du roman. Barthes parle « d’acte minimal d’écriture qu’est la Notation, le Haïku » et entremêle le principe de l’image dénotée qui n’implique aucun code, les traits discontinus et la forme déviée.

Rémy Héritier est interprète, depuis 1999, de nombreux chorégraphes dont Boris Charmatz, Laurent Chétouane, Christophe Fiat, Philipp Gehmacher, Matthieu Kavyrchine, Jennifer Lacey, Mathilde Monnier, Laurent Pichaud, Sylvain Prunnenec et Loïc Touzé. Il crée ses propres pièces depuis 2005, en solo, duo ou formations diverses, diffusées en France et à l’étranger et enseigne dans différentes écoles d’art. Il est en perpétuelle recherche vers le déplacement des notions et de nouvelles poétiques du geste.

Dans Une forme brève, la danse est comme une expérience. Le chorégraphe travaille sur la ligne droite qu’il décale en courbes : « Avancer tout droit en inscrivant de la courbe, veut dire qu’il se passe quelque chose ailleurs de très léger mais de très puissant dans le haut de la tête, les épaules, le bassin » dit-il. La musique, la lumière, les interventions d’objets et la danse placent le spectateur sur le seuil du mouvement et du sens, et, définissant le point-limite, lui font perdre les références.

Brigitte Rémer, le 10 février 2022

Chorégraphie et interprétation Rémy Héritier. Musique Eric Yvelin. Lumière Ludovic Rivière. Costume Valentine Solé. Sculpture Gyan Panchal. Collaboration artistique Jean-Baptiste Veyret-Logerias (chant-voix), David Marques (regard extérieur)

Vu le 4 février 2022, à l’Atelier de Paris – CDCN, Cartoucherie de Vincennes, 2 route du Champ de Manœuvre, 75012 – site : atelierdeparis.org – tél. : 01 41 74 17 07.

June Events 2019

© Charlotte Audureau – “Näss”, Compagnie Massala.

13ème édition du Festival / Danse Paris. Direction Anne Sauvage.

Comme chaque année depuis douze ans, June Events clôture la saison du Centre de Développement chorégraphique national à la Cartoucherie de Vincennes qui, toute l’année accueille de jeunes créateurs, dans le cadre de sa Saison en création(s). Le Festival se tient à l’Atelier de Paris fondé il y a vingt ans par Carolyn Carlson, et au Théâtre de l’Aquarium ainsi que dans différents lieux de la capitale dont cette année le 12ème arrondissement, et parfois dans la rue. Anne Sauvage le dirige, ses priorités vont aux résidences d’artistes et à la jeune création. « Sans hiérarchie de formes, les expériences à voir, à vivre et à danser se croisent, s’affrontent ou se répondent… » Elle permet des rencontres professionnelles et développe de nombreux partenariats, offre à des chorégraphes de montrer leurs work in progress.

Le coup d’envoi avait été donné le 6 mai au Conservatoire Paul Dukas du 12ème arrondissement, par Cécile Proust, chorégraphe et féministe engagée et Pierre Fourny, poète à « 2 mi-mots » qui découpe et recompose le langage, avec leur spectacle FénanOQ présenté l’an dernier à Avignon dans le cadre de Sujets à vif.

L’une des soirées s’est déroulée en coréalisation avec Le Printemps de la danse arabe #1 de l’Institut du Monde Arabe. Un regard sur la pièce intitulée Sérénités, trio de Danya Hammoud, danseuse et chorégraphe libanaise également formée au théâtre, à la recherche d’apaisement, a été proposé en première partie de soirée. « Peut-être que l’arme de résistance c’est le viscéral, le bassin… quand mon territoire redevient mon corps. » disait-elle en 2013 en présentant son solo Mahalli.

Cláudia Dias, artiste portugaise, présentait en seconde partie un duo, Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar, d’après les mots de Karl Marx : Tout ce qui est solide se fond dans l’air. On ne sait si le solide serait ici le corps des danseurs – qui ne dansent pas tout au long de la pièce – ou ce fil blanc de type pâte à modeler qui se faufile dans l’espace du spectacle, pour laisser traces. Le thème évoque l’exil, par les bribes de texte qui s’impriment sur écran, mais l’ensemble de la démarche reste flou dans le rapport entre Marx, l’exil et ce qui est donné à voir. Le principe de travail de Cláudia Dias repose sur l’invitation qu’elle lance auprès d’un artiste, ici Luca Belleze et son projet global se déroule sur sept ans, à raison de la création d’une pièce par an. Il y a pourtant dans cette pièce des moments d’émotion liés notamment au travail de la voix et du son, enregistré in situ.

Troisième spectacle de la soirée, Näss / Les gens, pièce pour sept danseurs, proposée par la Compagnie Massala, dans une chorégraphie de Fouad Boussouf, imprégnée de hip hop, de danse traditionnelle, de danse jazz et de nouveau cirque et digressant entre ces différents vocabulaires. Sept danseurs investissent le plateau, puissants, intenses et acrobatiques. Aucun répit pour le spectateur. Rythmes, scansions, cadences infernales, acrobaties, dans un paroxysme et une saturation images et sons. Mouvements d’ensembles et partitions solos, jeux de maillots et de masques, figures gymnastes et break dance virtuoses, écritures percutées par les rythmes obsédant, jusqu’à la transe, au sol et dans les airs. C’est de la haute voltige. On est au Maroc, entre gnawas, soufis, et choc des cultures. Le chorégraphe se présente ainsi : “Artiste engagé, ma danse est au service du partage de cet héritage artistique et culturel, elle questionne les identités plurielles, entre rupture et continuité.”

Ce « moment d’utopie collective » comme le dit la directrice de June Events, sur le thème cette année de Faisons corps permet de donner de la force face aux mutations du monde. On traverse des expériences, on décale les codes. Joanne Leighton fête d’une manière ludique la fin de sa résidence à Paris Réseau Danse au Palais de la Porte Dorée avec Walk #3 ; Vincent Thomasset joue sur les équilibres, avec Carrousel ; Aina Alegre interroge les identités avec La nuit, nous autres ; Nina Santes, nouvellement associée à l’Atelier de Paris, organise un récit de nuit, Fictions, une nuit en créations, avec des performances multiples au cours d’une nocturne multiforme et électrique.

La programmation est riche et ouverte, et on y trouve tous types d’initiatives et de spectacles. Elle est fantaisie, recherche et  décalage, venant de différentes régions de France – entre autres  le Ballet de Lorraine sous la houlette du chorégraphe japonais Saburo Teshigawara et celle de Thomas Hauert avec vingt-deux danseurs – et venant de partout, entre autres d’Allemagne, Belgique, Espagne, Portugal, Israël, dans l’idée d’être ensemble. Découverte et plaisir sont à la clé de June Events. Suivez la piste !

Brigitte Rémer, le 9 juin 2019

Sérénités, Association L’Heure en Communavec : Yasmine Youcef, Ghida Hachicho, Danya Hammoud – Chorégraphie Danya Hammoud – accompagnatrice Marion Sage.

Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar – Compagnie Alkantara – avec Claudia Dias et Luca Bellezze – conception Claudia Dias – regard extérieur Jorge Loura.o Figueira – assistance Karas – créations lumières et décor Thomas Walgrave – animation Bruno Canas.

Näss/ Les gens – Compagnie Massala – avec :  Élias Ardoin ou Yanice Djae, Sami Blond, Mathieu Bord, Maxime Cozic, Loïc Elice, Justin Gouin, Nicolas Grosclaude – chorégraphie Fouad Boussouf – assistant Bruno Domingues Torres – création lumière Françoise Michel – habillage sonore et arrangements Romain Bestion – costumes et scénographie Camille Vallat – En tournée : 13 juin 2019 Festival Perspective de Sarrebruck (Allemagne) – Juillet Avignon Off et Festival de Sanvicenti (Croatie) – Beijing Dance Festival, Pékin (Chine) – Août : Shanghai international Dance Center, Shangai (Chine) – Septembre Dansens Hus d’Oslo (Norvège) et Stockholm (Suède).

June Events – Jusqu’au 15 juin 2019 – Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. 75012 – Tél. : 01 41 74 17 07. Voir aussi nos articles Ubiquité-Cultures, pour Le Printemps de la danse arabe #1 des 31 mars et 8 avril 2019.